Life isn't that easy. — Charlie & Lexie

Je ne sais pas combien de temps je dors, une heure, peut-être deux, ou plus. Quand j’ouvre le yeux, c’est parce que j’ai envie d’aller aux toilettes et ça ne va pas mieux du tout. J’ai mal aux os, j’ai froid. Je dois avoir la grippe, en fait.

Je vais récupérer un énorme pull et je l’enfile avant d’aller dans la salle de bain.

Ça fait bien deux que Lexie était enfermée dans la chambre quand j'entends du bruit. Avachi sur le canapé à faire semblant de réussir à bosser, je la vois sortir avec un gros pull et j'essaie de ne pas penser à tout ce qui est négatif. Mais c'est difficile, parce qu'elle a froid et qu'il fait presque vingt cinq dans l'appart actuellement.

Une partie de moi veux savoir comment elle va, l'autre est encore tellement en colère que je pourrais tout relancer rien qu'en me levant. Alors je reste là et j'essaie de scruter ce qu'elle fait, de loin.

Je vais pisser et quand je me relève, je vais directement dans le salon pour m’asseoir contre Charlie et lui faire un câlin. Même s’il est chiant, j’aime pas qu’on soit fâchés.

— J’vais aller chez le médecin et demander à passer à mi-temps.

J'ai un temps de latence de plusieurs secondes entre le moment où elle s'assoit contre moi l'air de rien et celui où je me rends compte que ça ne va pas fonctionner aujourd'hui.

— T'es sérieuse ?

Et je ne parle pas de son mi temps. Très clairement.

— T'as pas l'impression qu'il y a comme un malaise là ?

Je me détache de lui ; c’est la première fois qu’il me rejette comme ça.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

J'ouvre grand les yeux, sur le cul qu'elle considère ce qu'il vient de se passer comme une de nos petites embrouilles habituelles.

— T'as conscience de ce que tu es en train de faire ou tu ne réalises vraiment pas ?

Je demande en la regardant droit dans les yeux.

— Que tu le veuilles ou non Alexis, va falloir qu'on parle de certaines choses toi et moi !

Je soutiens son regard sans mal.

— Bah vide ton sac, j’t’en prie.

— Pourquoi tu me dis que tu vas manger un bout à l'hôpital et qu'à l'hôpital tu leur dit que t'as déjà mangé ici ?

Je ne pouvais pas faire plus franc. Et pourtant, ce n'est qu'un début.

Je le regarde un long moment sans savoir quoi dire, comme une gamine prise sur le fait. Je ne sais pas avec qui il a parlé, mais je me sens vraiment mal. Et ça me braque.

— Parce que ça fait deux semaines que mon ventre est gonflé en permanence, comme si j’avais trop mangé.

Je la dévisage, avec cet infime espoir qu'elle plaisante, mais je peux lire sur tous ses traits que ce n'est pas le cas.

— Mais t'es enceinte de trois mois putain de merde ! Heureusement que ton ventre est en train de gonfler. Heureusement parce que ça voudrait dire qu'il serait mort notre gosse !

J'emploie des mots qui sont forts, mais j'ai la sensation que c'est ce qu'elle doit entendre. Elle ne se rends pas compte.

— Ça ne fait vraiment que deux semaines ?

— Que mon ventre a gonflé, oui. Et tu dis n’importe quoi, il va pas mourir, s’il a besoin il prend mes ressources et c’est tout.

Je réponds après quelques secondes. Il est tellement en colère que j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose de grave alors que c’est pas le cas.

— Mais quelles ressources ? Tu veux qu'il prenne quoi si tu manges trois bouts de jambon que tu vas vomir avant même de les digérer ?

Je me lève, parce que j'ai besoin de bouger pour ne pas péter un truc.

— Tu continue de croire que tu fais des malaises seulement à cause de la fatigue ? Tu vas aussi me dire que t'as un pull pour faire joli ? Il fait vingt cinq putain de degré dans la pièce ! Ouvre les yeux Alexis ! Me force pas à le faire pour toi !

— Arrête, Charlie. Je mange très bien.

Malgré tout, j’ai la gorge vraiment serrée et une envie dingue de pleurer.

— Je fais juste attention.

— Moi je veux bien te croire ! Je ne demande que ça !

Mais je sais par expérience que sur ce genre de chose, ce n'est pas évident.

— T'as mangé quoi aujourd'hui ? Et hier ?

— Mais j’en sais rien, Charlie !! Je sais pas, d’accord ! Je note pas tout, j’en sais rien ! Tu m’emmerdes avec ta bouffe, là !

— Mais moi aussi tu m'emmerdes ! Arrêtes d'agir comme une enfant ! Ta santé, aussi infime soit le problème, se répercute sur celle du fœtus ! Moi je veux bien t'aider, je veux bien tout faire pour toi, mais si tu refuses d'admettre que t'es en train de recommencer tes conneries, je peux pas avancer tout seul !

Je m'emporte en criant sans me contenir. J'ai peur et ça me fait perdre tous mes moyens.

— Si t'en voulais pas de ce bébé, fallait aller avorter ! Ça aurait été mieux que de le laisser te mourir dans le ventre. C'est ça que tu cherches ? Le tuer ?

Il me hurle dessus et ce qu’il me dit me choque tellement que je me mets à pleurer silencieusement.

— Mais je voulais pas l’avorter ! Je le veux ce bébé ! Je le laisse pas mourir !

J’ai tellement honte de prononcer ces mots tant ils me choquent que j’en ai des sanglots de plus en plus fort.

— T’es vraiment dégueulasse de dire des trucs comme ça parce que j’essaie vraiment de bien faire mais j’y arrive pas ! J’peux pas me voir dans le miroir, j’ai l’impression de gonfler à vue d’oeil, du visage, des hanches, des seins, du ventre. De partout.

Je dis en pleurant toujours.

— Ma mère elle l’a vu que je grossissais et si elle me voyait maintenant elle se gênerait pas de me le dire ! J’ai peur de grossir, j’ai peur parce que je contrôle rien avec cette grossesse et que je contrôle toujours tout normalement, mais tu comprends vraiment rien ! T’es là à me dire que j’ai envie de tuer notre bébé comme un connard alors que t’es même pas foutu de comprendre parce que personne comprend jamais !

Moi aussi, je hurle maintenant, mes joues complètement inondées par mes larmes.

— Grossir ça m’effraie et je suis désolée si ça se répercute sur ton bébé !

Je me lève pour aller ouvrir le frigo et en sortir l’un des sandwiches qui s’y trouve. Je mords dedans.

— Voilà t’es content ? J’vais bien manger pour ton bébé et maintenant arrête de me faire chier et de dire que j’ai envie de le tuer !

Manger ce truc plein de beurre me file des hauts le cœur et c’est vraiment difficile. J’en chiale encore plus, mais je mange sa merde pour avoir la paix.

— Moi je suis pas capable de comprendre ? Mais tu te fous de ma gueule ! Qui est là depuis quinze ans ? Qui a été à tes côtés depuis presque toujours ? Qui a tout fait pour toi ? Putain mais c'est tellement ingrat de me dire ca, à moi !

Elle pleure, je hurle, c'est en train de partir en vrille.

— Qu'est-ce qu'on s'en fout de ta mère ! Elle va régir notre vie jusqu'à ce qu'on crève ? Jusqu'à ce qu'elle crève ? Sinon je vais la planter tout de suite et on n'en parle plus !

Je la suis jusque dans la cuisine où elle attrape un sandwich pour le croquer à pleine bouche.

— Pourquoi t'en parle comme de MON bébé ? C'est pas censé être le notre, à tous les deux ? On est pas censé vouloir le protéger ensemble ?

Je tremble. Je crois que j'ai envie de pleurer moi aussi.

— Ca me fait tellement de peine que tu sois toujours pas capable de te reposer sur moi, même en portant mon enfant.

— Me supporter ne fait pas de toi quelqu’un de compréhensif ! Putain mais t’es vraiment trop con ! Tu vois bien que t’y comprends rien parce que me hurler dessus ne changera rien du tout ! Je suis dépassée par les événements et t’agis comme si je faisais un caprice, alors va te faire foutre !

Je suis tellement blessée par ce qu’il dit que je ne sais même plus comment poursuivre la conversation.

— C’est toi qui agit comme si c’était ton bébé ! Comme si t’étais le seul à vouloir le protéger et à vouloir son bien ! C’est toi qui est odieux, putain ! Je fais que ça, me reposer sur toi ! Tout le temps ! Sauf que je te fais confiance tu me fais bouffer des insectes, putain ! C’est la merde dans ma tête et toi tu prends ça pour un jeu et après tu me fais passer pour une connasse qui veut tuer nôtre bébé ? Mais j’arrive plus là ! J’ai honte, tout le temps et je me tue au travail parce que y a que ça que je maîtrise et maintenant j’ai même plus le droit et y a tout qui m’échappe ! Je sais pas quoi faire ! Je sais pas comment le faire ! Je suis perdue et tu me hurles dessus... je suis fatiguée, Charlie. Là, j’y arrive plus.

— Parce que tu ne réagis pas ! Je suis censé faire quoi ? Te regarder faire ? Te regarder vous butter tous les deux ? Attendre que l'hôpital m'appelle pour me dire que t'as fais une fausse couche et que t'es sous perfusion parce que t'arrives plus à manger ?

Elle est dans un entre deux monde et j'ai l'impression qu'elle ne sait même pas comment en sortir.

— Tu sais pas ce que je ressens ! Tu peux pas savoir ce que ça me fait de penser que t'es peut-être en train de recommencer à te détruire ! T'aurais pu m'en parler, te confier à moi et au final, j'apprends par quelqu'un d'autre que toi que tu ne manges plus et que tu... T'aurais attendu quoi pour me le dire hein ? T'aurais attendu quel accident ?

J'ai plus envie d'être ici et de l'entendre me dire que je suis un connard odieux.

— J'ai vraiment pas envie de jouer...

— J’attendais pas d’accident.. Charlie j’te jure que c’est pas ça.

Je baisse la tête, je n’ai plus du tout envie de me fâcher avec lui. Je ne hurle plus parce que je n’en ai plus la force. Je ne pleure plus non plus, c’est inutile.

— Je pensais contrôler les choses et je vois que c’est pas le cas. J’ai pas envie de perdre notre bébé. Vraiment pas. Mais quand je me vois dans un miroir, quand je me pèse, quand je m’habille... ça m’effraie de grossir et je ne sais même pas pourquoi. J’ai envie que ça se passe bien, mais je ne sais pas comment faire et t’es en train de me détester. C’est jamais arrivé avant et ça aussi, ça m’effraie.

— Je ne te déteste pas Lexie, j'ai peur ! Je sais bien que tu peux pas te mettre à ma place, mais imagine une seconde ce que je peux ressentir vis à vis de toute la situation.

Ça ne doit même pas être réalisable pour elle. Qui n'a jamais vécue ça et qui en plus, n'aura jamais à me voir porter un enfant.

— J'arrête pas de me demander ce qu'il va se passer si ça recommence. Ce qui serait arriver dans les prochaines semaines si on m'avait pas prévenu aujourd'hui. J'arrête pas de me dire que je suis peut-être qu'une grosse merde parce que j'ai pas su voir que t'allais pas bien ! Putain je vis avec toi et j'ai même pas été capable de poser les yeux sur le problème ! Merde !

Je vois qu’il est sur le point de pleurer et ça me fend le cœur. Je m’approche pour embrasser ses lèvres à plusieurs reprises.

— Pardon mon amour. Je suis vraiment désolé... t’es pas une grosse merde, c’est pas vrai. Ça ne va pas recommencer parce que tu vas m’aider, d’accord ? On va tout reprendre comme avant et ça va aller.

Diététicienne, sport, psy s’il le veut. Je ne veux pas qu’il pense qu’il est nul. Je ne veux pas faire une fausse couche.

— J’ai besoin de toi. On a besoin de toi.

Je dis en attrapant ses mains pour les poser sur mon ventre. Mon cœur bat la chamade ; je ne l’ai jamais laissé me toucher le ventre depuis que je sais que je suis enceinte. C’était inconscient, je m’en rends compte. C’était surtout injuste.

— Je vais lutter mais me laisse pas tomber. S’il te plaît.

À la seconde ou Lexie pose mes mains sur son ventre, je fond en larmes.

— J'y arriverais pas sans toi... Je veux pas risquer de te perdre encore, de vous perdre tous les deux.

Mon front trouve son épaule et je sens que toute la pression que j'accumule depuis l'appel de Logan est en train de s'échapper

— Je t'aime mon Bébé, je veux plus jamais te laisser seule. Plus jamais. Mais tu dois me laisser t'approcher. On peut le faire ensemble. Tu as déjà surmonté ça, tu sais que tu en es capable. Mon Amour...

Il fond en larmes alors je lâche ses mains pour le serrer dans mes bras.

— Ça va aller, Charlie. Je vais vraiment me mettre en arrêt maladie et faire tout ce qu’il faut pour que notre bébé soit en bonne santé.

Je caresse tendrement son dos. Je réalise à peine que c’est grave et que, si ça se trouve, notre bébé a déjà des séquelles irréversibles. Mais j’ai survécu à ma mère, moi. L’alcool, la drogue, la cigarette. J’ai survécu. Alors j’espère que tout va bien.

— Ça va allez.