I Need Your Time - Adam & Max.

Des jumeaux. Ma gorge se serre instantanément quand je réalise qu’il n’est pas venu là pour moi, mais bien pour lui. Parce qu’il va avoir des jumeaux et qu’il est dans l’urgence. C’est pour ça qu’Édouard hurlait. Parce qu’il n’est pas venu présenter des condoléances. Il s’en fiche. Il apprend que j’ai perdu mon bébé et il m’annonce presque avec le sourire qu’il va en avoir deux, en récuperer une troisième et il est devant moi pour que je lui fasse des plans parce qu’il est juste financièrement.

Je le regarde un moment parce que je sais à quel point je l’aime, mais c’est dur de réaliser que je ne suis plus qu’un architecte pour lui. Il ne fait même pas semblant d’être venu pour autre chose, il ne fait pas semblant de s’interesser à mon bébé ; est-ce que c’était un garçon ou une fille, son prénom. Je le regarde et même si c’est bien lui, je ne le reconnais pas. Mes yeux sont complètement embrumer et je prends une grande inspiration pour me recentrer.

— Tout est noté. Dès que t’as la superficie du terrain, tu peux m’envoyer un message ou un mail. Je vous ferais trois propositions.

Ma voix tremble et j’ai l’air ridicule, mais je n’arrive pas à lui dire non parce que, contrairement à lui, j’en suis encore amoureux. Si c’est le seul lien qu’on peut avoir alors je prends. Je serais son architecte.

Ses yeux se voilent et mon cœur ne se pince que plus. J'aimerais lui dire que tout ira bien, mais je ne le peux pas. Parce que c'est faux, d'abord, mais surtout parce que je ne peux pas imaginer un seul instant ce qu'il peut vivre et ressentir.

— Ça va aller...?

Je murmure en déposant ma main sur son genou. Je me sens stupide de demander ça, mais j'ai l'impression de ne pas avoir le droit d'en faire plus. Qui je suis pour lui dire de pleurer sur mon épaule ?

— Ça te dit d'aller boire un café ? Juste histoire de prendre un peu l'air... ?

— Non, ça ne va pas aller.

Je dis en me défaisant de lui. J’attends une seule chose en ce moment : mourir. Je suis fatigué de cette vie gâchée que je déteste. Mais est-ce que je peux lui dire ça ? Je ne crois pas. Parce que je n’oublie pas qu’il ne voulait plus me voir, je n’oublie pas qu’il ne m’aime pas et que cette année passée à mes côtés à l’église n’était qu’une manière de panser ses blessures avant de repartir vers quelqu’un qui le rend véritablement heureux.

— Je n’ai pas envie de sortir et je me souviens qu’il ne vaut mieux pas que tu me fréquentes. Puis...

Je reprends d’une voix douce.

— Si tu avais voulu qu’on reste amis, tu aurais été là alors... ne te force pas uniquement pour te donner bonne conscience. C’est pire. Édouard est là, de toute façon.

Jusqu’à ce que je lui assure que je vais mieux et ensuite on me foutra la paix.

— C'est pas aussi facile Max... C'est pas tout blanc, ou tout noir.

Les larmes me montent aux yeux, mais je les retiens, parce que ce n'est pas moi qui souffre le plus dans cette pièce.

— Si ça ne faisait de mal à personne, je viendrais te voir chaque semaine pour parler de tout et de rien avec toi. Juste pour t'avoir encore dans ma vie. J'aurais su pour le bébé, j'aurais su pour Louise, et je serai pas effrayé de te poser la moindre question à ce sujet, de peur d'être trop indiscret ou que tu prennes ça pour de la curiosité mal placée. Mais ce serait égoïste de ma part.

Je déglutit difficilement.

— Comment tu vivrais de me voir aussi souvent en m'écoutant te raconter ma nouvelle vie ? Comment je pourrais expliquer à mon mari que je continue de te voir, malgré notre passé, parce que t'es le meilleur ami que j'ai jamais eu ? Comment tu aurais expliqué ça à Louise, aussi ? Et à Édouard ? Je crois que t'imagines pas le nombre de fois où j'ai pu me disputer avec Logan à ton propos, parce que même si je comprends qu'il ne souhaite plus que tu fasses parti de ma vie, j'arrive pas à te voir comme un étranger...

— Alors pas la peine de te déplacer pour la suite. On pourra communiquer par mail. Je n’ai pas envie de te faire prendre le risque d’une dispute avec ton mari juste parce que ma fille est morte et que t’étais pas là. T’arrives pas à me voir comme un étranger mais j’en suis un. Les scènes que te fait ton mari sont pas normales et tu le sais, mais tu choisis de te couper des autres. C’est pas compliqué, tu sais, quand on en a envie. Je l’ai attendu mon SMS qui aurait dit « alors, t’es papa ? » avant d’attendre celui des condoléances. Mais je n’ai rien reçu et ce n’est pas parce que c’est compliqué, c’est parce que tu t’en fous. Si t’as aucune arrière-pensée, aucune intention de tromper ton mari avec moi alors je ne vois pas en quoi ça aurait été compliqué de lui expliquer que tu allais voir un ami. Mais tu t’en fous Adam parce que tu as pris mon inquiétude et mon affection comme une menace. T’es revenu parce que t’avais besoin d’un archi gratuit et putain, t’imagines pas comme ça fait mal. Tu fais même pas semblant ! T’aurais pu me dire « non écoute, on en parlera une prochaine fois, aujourd’hui je suis vraiment venu pour te présenter mes condoléances » mais t’as même pas eu cette correction. Tu fais pas semblant, t’as jamais su le faire. Et tu sais le pire ? C’est que je devrais te détester et te maudire mais j’y arrive pas. Je m’en fiche que Louise se soit cassée parce qu’elle ne me manque pas alors que ton absence me rongue un peu plus chaque jour. J’arrive pas à ne plus t’aimer mais t’es foutrement dégueulasse d’agir comme si tu te fichais bien de ce que je pouvais ressentir. T’aurais pu mentir, Adam, me dire que tu voulais juste une grande maison.

Je ne sais pas depuis combien de temps les larmes coulent mais je m’en rends compte parce que je n’y vois plus rien.

— T’aurais pu mentir mais t’as préféré m’annoncer que t’allais avoir trois enfants alors que tu viens d’apprendre que je viens d’enterrer ma fille.

Je pourrais lui hurler que j'en savais rien, me confondre en excuses et lui dire que je viens de tout apprendre, là, dans cette même pièce, il y a vingt minutes. Mais je ne crois pas que ce soit la chose à faire. Si Édouard a préféré lui faire croire que je travaillais, je suppose que c'est qu'il sait que c'est le mieux pour Max.

— Je suis terriblement désolé. J'ai aucune excuse, ni aucune justification. J'ai pas été là pour toi, je le suis plus depuis des mois et j'aurais dû me battre plus que ça... J'aurais voulu l'être. Comme j'aurais voulu savoir te mentir, mais j'ai jamais été capable de le faire.

Je me sens tellement mal de le voir dans cet état, j'ai envie d'effacer toutes les larmes de ses joues. Chaque fois qu'on se voit, ça finit ainsi...

— Et je suis tellement désolé de pas avoir été là pour ta fille. De pas avoir pu ne serait-ce que te serrer contre moi et être présent. T'avais pas à vivre ça. Je me fiche pas de ce que tu ressens, tu sais que c'est pas le cas...

— C’est le cas, Adam. Et c’est pas grave, je m’y suis fait. J’te souhaite d’être heureux avec ta nouvelle famille. J’espère que Moon va bien. Enfin.. je ne sais plus son nouveau nom.

Parce que même ça, il me l’a pris. Changer le nom d’un animal, c’est renier ses souvenirs. Comme changer le prénom d’un enfant, ça n’a aucun sens.

Je ne réponds même pas, parce que ce serait remuer le couteau dans la plaie.

— Je n'ai jamais voulu te perdre encore une fois...

Que dire d'autre ? A part que je suis un con et qu'ils ont raison, en fait. Max, Gabriel, ma mère à l'époque etc. Je crois être présent pour les gens, mais je ne le suis pas de la façon dont ils le voudraient. Ou je ne le suis même pas du tout.

— J'aurais pas dû venir, c'était pas correct. Pas pour te parler des plans, je veux dire. Ça n'a sans doute aucune valeur pour toi, mais j'en suis désolé également.

— De toute façon, c’est fait. C’est passé.

J’essuie mes larmes je me reprends.

— Je vais quand même faire vos plans parce que ça m’occupera. Ne t’en fais pas. Mais vous devriez vite choisir un terrain, les prix sont en train de grimper dans le coin.

— Te sens pas obligé parce que tu as dis oui tout a l'heure. Jamais je ne te forcerais à quoique ce soit.

J'ai envie de lui dire plein de choses et en même temps, je continue de croire que tout serait déplacé. Surtout avec ce qu'il vient de me dire.

— Je ne me sens pas obligé, je sais que ça te ferait plaisir alors.. j’ai envie de le faire.

Je souris doucement. Max à des défauts, mais en me privant de lui, j'ai aussi mis toutes ses qualités de côté. C'est comme si je me rappelais a quel point la gentillesse faisait partie de lui.

— Merci pour tout.

Je souffle.

— J'ai pas spécialement envie de faire ça par mail, comme si je traitais avec le société du coin.... Si tu préfères je m'en accomoderais, sinon je serai ravi que ça nous permette de nous revoir.

— J’en sais rien. C’est dur pour moi de te voir. J’ai beaucoup de... enfin, c’est compliqué. Comme tu peux le voir, je ne suis pas à mon maximum et y a des jours où j’ai vraiment pas envie de quitter mon lit.

— Je veux bien croire...

Je ne peux pas dire que je le comprends, une fois encore.

— Si jamais y'a un jour où tu te sens d'attaque, même pour autre chose que ça, n'hésites pas. Je garde mon portable avec moi.

Il est certainement trop tard pour retisser quoique ce soit, mais si ça pouvait lui faire du bien un jour, je veux qu'il sache que je serai là, cette fois.

— C’est gentil, mais tu sais que je ne le ferais pas à cause de ton mari. Alors n’attends pas autre chose qu’une proposition de plan. Moi, je n’arrive pas à tourner la page alors...

Ma gorge se serre à nouveau.

— Tu me manques beaucoup, Adam. C’est vide ici, sans toi. Sans tes livres, sans ton rire, ta présence. Je suis vide, moi aussi. Mais savoir que tu es heureux, ça me rassure.

Même si j’aurais aimé que ce soit grâce à moi.

— Tu me manques aussi... Crois le ou non, mais tu me manques aussi.

Je m'approche de lui, prêt à le prendre dans mes bras. Je ne sais toujours pas si j'en ai le droit ou non, mais s'il peut comprendre ainsi que je suis sincère, je prends le risque.

— J'aurais voulu que ce soit ton cas, avec Louise, ou avec quelqu'un d'autre.

Parce que ce qu'il souhaite, jamais je ne pourrais le lui offrir. On le sait, tous les deux...

Je préfère lui tendre la main parce que si j’accepte son étreinte, je ne pourrais plus le lâcher.

— J’ai mon travail, je suppose que ce sera suffisant.

Même si je n’ai plus le cœur à rien pour l’instant.

— Je vais retourner me coucher alors... bon courage pour le terrain.

Je serre sa main et je remonte ; la sortie, il la connaît déjà. Une fois sous ma couette, à l’abris du reste du monde, je me remets à attendre que le temps passe. En espérant être emporté par une quelconque maladie cardiovasculaire ou un AVC. Bien sûr, rien ne se passe.

. . .

Quand Édouard se gare, Adam passe à peine le portail. Il semble bouleversé.

— Comment il va ? Tu as pu parler longtemps avec lui ?

— Je suppose que tu le sais déjà, à vivre ici avec lui. C'est écrit partout sur son visage.

J'ai envie de chialer, mais j'attends encore un peu. D'être seul et de pouvoir tout laisser sortir.

— Je sais que tu le fais déjà, et que tu vas me dire d'aller me faire foutre parce que je suis personne, mais prends soin de lui Édouard. Faut pas qu'il reste tout seul.

Je souffle.

— Est-ce que je peux te demander le prénom qu'il lui ont donné, à leur fille ? J'ai pas osé lui demander, j'ai aucune idée de comment aborder ça avec lui, mais j'aimerais beaucoup pouvoir aller au cimetière. S'il te plaît...

— Ouais, c’est sur son visage, mais il me parle à peine.

Il soupire tristement.

— Ils l’ont appelé Anne. Elle est dans la section des enfants, tu ne peux pas la rater. Essaie de te tenir loin de lui. T’as déjà causé trop de dégâts.

— Je crois qu'il n'a pas envie de parler à beaucoup de monde. Ça doit le forcer à penser à... Tout.

Maintenant je n'ai plus aucune colère envers Édouard, au contraire. Je n'ose pas imaginer Gabriel ou Marie dans cet état, et être impuissant face a leur détresse. Alors en plus eux deux, avec ce lien indescriptible qu'ils ont, ça doit être l'horreur.

— Merci beaucoup.

Je hoche la tête d'un signe entendu.

— Il me l'a demandé aussi, alors je ferais en sorte de ne pas causer plus de mal que je n'en ai déjà fait. Promis.

Les larmes sont dures à contenir, alors je dépasse Édouard, prêt à partir.

Édouard lui tourne le dos en marmonnant un « bon vent » avant de disparaître dans l’église.

Je mets bien plus longtemps à rentrer qu'à venir. Je me sens coupable d'enormements de choses, je pleurs sûrement plus que je ne l'ai fais ces derniers temps et si je n'avais pas oublié ma carte bancaire, je serai déjà au cimetière des fleurs à la main. Finalement, peut-être que le Seigneur préfère que je sois dans un meilleur état pour aller me recueillir.

Quand je rentre enfin dans la maison, Logan est là à faire sa vie et je ne sais même pas si je suis en colère contre lui, ou juste déçu. Il ne m'a pas entendu et quand je me manifeste, je me fous qu'il voit ma mine grise.

— Ça arrive souvent ? Que tu jettes mon courrier sans même me le dire...

Quand Admm rentre, mon cœur se serre de le voir dans cet état.

— Mais qu’est-ce qu’il y a ?? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Ta mère va bien ?

— Ma mère n'est pas venue. Elle a eu un empêchement de dernière minute avec Darcy, mais quitte à être en route j'y suis allé quand même.

Je réponds, las.

— Et non, ça va pas. Mais je te repose la question, tu jettes souvent mon courrier sans même m'en parler ? Ou c'était juste parce que ça venait de Max ?

Je fronce les sourcils.

— De quoi tu parles ? Ça m’arrive de jeter les pubs ou les trucs inutiles, ouais. Qu’est-ce qu’il y a ?