Tentative. — Austin & Gabriel

Presque deux semaines maintenant que Gabriel m'ignore malgré mes nombreux messages. MINUIT. Je me gare dans la rue, devant la maison des Saint-Clair et je coupe le contact (((de sa nouvelle voiture, un vieux pickup rouge, rouillé))) pour ne pas les réveiller.

SMS : Descends. Si tu le fais pas, je lancerai une rumeur au lycée comme quoi tu as la Chlamydia, tu sais que j'en suis capable.
SMS : ps - c'est une MST. Au cas où.

Spoiler:

Il arrive et je vois à son visage que ça ne va vraiment pas. J'ai du le menacer pour réussir à le voir, je ne comprends pas. Il grimpe dans la voiture, en silence, sans un mot et quelques secondes après la poignée intérieure se décroche et tombe.

— C'est pas une Ferrari, mais elle roule. À peu près.

Je tente avec un petit sourire pour détendre l'atmosphère.

La poignée tombe et je me penche pour la ramasser, pendant qu'il me rassure. Je la dépose sur le tableau de bord.

— C'est mieux que rien.

Je réponds sur un ton neutre.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Je démarre, de toute façon il ne risque pas de sortir, il n'y a plus de poignée et la fenêtre ne s'ouvre pas.

— Je ne comprends pas.

Je ne quitte pas la route des yeux.

— Pourquoi tu me rejettes comme ça. Qu'est-ce que j'ai fait ?

Je soupire tristement. Il n'a vraiment rien compris et savoir que mon attitude lui fait de la peine ne m'aide pas à y voir plus clair.

— J'te rejette pas, ça n'a rien à voir... c'est juste... Je sais pas comment te parler. Je sais pas si je peux t'en parler. Je sais pas si...

D'être là, avec lui au volant, j'ai l'impression qu'il est obligé de rester calme pour ne pas qu'on se plante et ça me rassure un peu. Je garde ça depuis très longtemps. Si je ne lui en parle pas, je le perds et si je lui en parle, il y a une chance sur deux pour que ça ne change rien pour lui. J'y pense tout le temps, je n'arrive plus à me concentrer, c'est invivable. Alors... quitte à être au fond du trou.

— Tu vois rien du tout et ça me rend malade. J'aime pas Jenny parce que j'ai pas envie qu'elle passe du temps avec toi, tu comprends ? Et plus le temps passe, plus vous êtes ensemble depuis longtemps et plus je réalise qu'elle prend plus de place que moi et j'ai pas envie, putain. J'ai pas envie que tu l'aimes plus que moi parce que ça me tord le ventre. J'ai pas envie de te partager, Austin. J'sais pas quand c'est arrivé et j'sais même pas pourquoi, mais j'ai envie que tu sois avec moi. Pas avec elle. J'ai envie que ce soit avec moi que tu aies des projets d'avenir parce que je suis amoureux de toi et que c'est insupportable de te voir avec Miss Parfaite.

Et l'espace d'une seconde, ça me fait vraiment du bien.

Quand il me dit qu'il ne me rejette pas, je sens un poids se retirer de mes épaules. C'était dur cette derrière semaine sans lui. Et quand il se met à parler je me sens soulagé car je vais enfin savoir ce qui ne va pas, et j'espère pouvoir l'aider.

Sauf qu'il commence par me dire qu'il aime pas Jenny. Je me dis qu'il me fait une crise de jalousie et je m'apprête à le rassurer, à lui dire qu'il est mon meilleur ami et qu'il aura toujours sa place dans ma vie, que Jenny ne le remplacera jamais. Mais le reste de ses paroles sont comme un coup de poings dans l'estomac. J'ai l'impression de recevoir un choc violent, je sens quelque chose se fermer complètement en moi. J'entends pas, je veux pas. J'entends pas. Je ne quitte pas la route des yeux.

— Non.

J'essai de rester concentrer sur la route mais j'ai de plus en plus de mal à conduire. Ses mots résonnent dans mon crâne et je veux me persuader qu'il ne vient pas de me dire tout ça, que ce n'est pas en train de se produire. Je n'arrive même pas à avoir une réelle réaction. J'ai juste l'impression de chuter, et de savoir que je vais avoir mal à l'arrivée mais que le sol est encore loin. Quand il se met à gueuler je me gare à l'entrée de la forêt. Je coupe le contact et je serre fort le volant que je fixe.

— T'es pas amoureux de moi.

— Non, bien sûr. Parce que tu sais mieux que moi. C’est évident.

Comme il ne bouge pas, je soupire.

— En fait, il faudrait que tu m’ouvres pour que je sorte.

Je secoue la tête, je refuse d'entendre.

— Non tu l'es pas.

Je sors de la voiture, la contourne et ouvre sa portière.

— Ok, ouais. J’le suis pas.

Quand il ouvre la porte, je descends rapidement.

— C’etait d’avoir parlé avec toi. À plus.

Je le regarde s'éloigner, perdu. J'arrive pas à réagir, j'ai l'impression que c'est toute ma vie qui s'effondre. Qu'il est en train de tout me prendre et je me sens en colère. Je lui cours après et je le rattrape par le bras.

— Putain mais pourquoi tu fais ça ?!

Il me court après et m’abboie dessus sans que je ne comprenne pourquoi. Alors je le regarde, perplexe. Je ne sais pas à quoi je m´attendais en lui révélant ça. À un rejet, sans doute. Mais ça fait si mal que je préfère enfouir mes émotions.

— J’ai rien fait. Maintenant, laisse-moi tranquille.

Ma gorge se serre et je le force à lâcher mon bras.

— Rentre chez toi.

Il se libère.

— T'es pas le droit de faire ça, Gabriel.

Ma gorge à moi aussi se serre et ça fait mal.

— Putain mals faire quoi ?

— Mais tout foutre en l'air entre nous putain !

Je me recule pour respirer, parce que j'ai l'impression de plus y arriver. Il réalise pas toutes les conséquences.

— T'es mon meilleur ami, la personne à qui je tiens le plus au monde, avec ma soeur alors à quoi tu joues ?!

Je répète.

— Je joue ?

Je lache un rire nerveux.

— Putain je joue moi ? Mais va te faire foutre t’as compris ? J’suis pas en train de jouer là. Fais juste comme si j’avais rien dit et ça ira. Tu peux balancer que j’ai une MST ou que j’Uis un enculé, je m’en fous. Mais oublie un peu que j’existe.

— Arrête tes conneries, tu sais très bien que j'al-

Je parle en même temps que lui mais il me coupe avec sa dernière phrase et j'ai un mouvement de recul. "Oublie que j'existe." C'est tellement blessant qu'un long silence s'installe et quand je sens mes yeux se mettre à briller, je m'en vais. Gabriel vient de me dire de l'oublier et même si au fond de moi j'ai conscience qu'il ne le pense pas réellement, c'est trop dur à entendre.

— Tu te casses ?

Je hurle.

— Je te dis que je suis amoureux de toi et tu te casses ? Putain, mais c’est parfait.

Je tourne les talons et je réalise qu’il neige à ce moment-là. J’ai même pas de manteau, putain mais bordel de merde.

— De mieux en mieux cette journée.

Je me fous dans le fossé pour rentrer chez moi à pied, même si j’aimerais mieux qu’on me renverse et quand je réalise ce qu’il se passe, j’ai un fou rire nerveux avant d’éclater en sanglots.

J'ai été trop blessé par sa dernière phrase. Je monte dans mon pickup et je démarre, il se met à neiger. Ça m'est égal. Il veut que j'oublie son existence. Je regarde plusieurs fois dans mon rétroviseur, puis je finis par soupirer et taper mon volant.

— Eh merde, putain.

Je fais demi tour et je m'arrête à sa hauteur. J'attends qu'il monte.

Quand je vois sa voiture de merde s’arreter à côté de moi, je l’ignore complètement. J’arrive même pas à m’arreter de pleurer, je me retiens de puis trop longtemps. Je continue de marcher, ça me calmera certainement.

Je descends de la voiture, j'attrape ma veste de l'équipe de Natation et je le rejoins.

— Monte dans la voiture Gabriel.

Ce n'est qu'en m'approchant de lui que je vois qu'il pleure et ça me tord le ventre car c'est la première fois que je ne sais pas comment pas le consoler car j'ai mal moi aussi.