It's been a long time. — Adam & Max

14 heures est vite arrivé ; je terminais de déballer mes derniers cartons, entre deux coups de fil à mes parents. Quand je leur ai annoncé que je souhaite retourner vivre à White Falls, même si ça me faisait prendre le train tous les jours pour rentrer chez moi, ils ont tout de suite commencé à s'inquiéter. Personne n'ose prononcer le nom tabou et, pourtant, il est sur toutes les lèvres. Tout le monde sait pourquoi j'ai choisi White Falls et personne n'ose me dire que c'est une mauvaise idée. Alors je fais l'ignorant et je n'écoute que moi car je pense que, si on veut récupérer quelqu'un, il faut s'en donner les moyens. C'est mon premier amour et même si j'ai eu quelques relations l'année dernière, je n'ai jamais réussi à tomber amoureux à nouveau. J'ai même réalisé qu'Adam me manquait vraiment et qu'on avait été idiot de penser qu'on ne tiendrait pas la distance. On aurait pu le faire, surtout maintenant que je reviens étudier ici.

Quoi qu'il en soit, quand l'heure a sonné, je me suis rapidement préparé et je me suis mis en route pour rejoindre. J'arrive un peu en avance alors je patiente sur le trottoir en attendant Adam – le coeur battant, je le reconnais.

Logan est à l'autre bout du Royaume-Uni et moi, je viens prendre un verre avec mon ex. C'est stupide, parce qu'il n'y a aucune connotation sentimentale ou sexuelle à ce qui va suivre, mais j'ai l'impression de le tromper. Pourtant c'est pas moi l'homme marié dans l'affaire. Je vais juste revoir un vieil ami.

Vieil ami certes, mais je n'oublie pas ce qu'il a été et j'ai envie de paraître bien devant lui. Pas comme si je voulais lui montrer ce qu'il a perdu, mais plutôt pour laisser entendre que je vais bien et que son départ n'a pas causé ma perte. Elle a failli, mais j'ai rebondi.

Il est 14h pile lorsque je me gare un peu plus loin dans la rue du Starbucks et je dois m'avouer que j'ai les mains moites, sans doute parce que je ne rejoins pas n'importe qui. Au loin, je ne vois personne lui correspondant sur le trottoir, mais lorsque j'approche et que je le répère, je reste bloqué. Est-ce que c'est possible d'être devenu une beauté pareille en seulement quelques années ? Il était déjà beau, mais alors là, j'ai l'impression qu'un TGV me passe dessus à toute vitesse tellement je suis estomaqué.

Finalement, je souris doucement lorsque son regard tombe dans le mien et je comprends ce que Gabriel voulait dire. J'ai beau ne plus être amoureux de lui, ça me ravi de le voir.

— Hey !

Je le vois me passer devant en voiture et ça me fait quelque chose parce que, la dernière fois que je l´ai vu, il ne conduisait pas encore. Pas tout seul en tout cas. Le temps passe vite et pourtant, quand il arrive devant, je réalise que tout ce qu’on a vécu n’est pas si loin. Il est toujours aussi beau, toujours aussi charmant. Toujours aussi Adam.

— Hey !

Je m’approche pour le serrer brièvement dans mes bras. Son contact, son odeur, tout se rappelle à moi comme une vieille chanson qu’on adore mais qu’on pensait avoir oubliée.

— Ça fait un bail.

Mon sourire n’en est que plus large et je l’entraine à l’intérieur.

— Alors, comment tu vas ? Comment va Gabi ? Ta sœur ? Tes parents ?

Entendre sa voix me replonge plusieurs années en arrière. Il a toujours la même, prévenante et remplie de joie. J'avais oublié à quel point son sourire était communicatif.

— Ça va plutôt bien, c'est une nouvelle année qui commence et je crois que je la démarre du bon pied.

Dans la queue pour nous commander à boire, nous commençons déjà à parler comme si on avait attendu ça depuis tant de temps.

— À la maison aussi ça va, plein de choses ont changés dernièrement. Tu les reconnaîtrais pas. Gabriel surtout ! Quand je lui ai dit qu'on prenait un verre cet aprèm, c'est limite s'il a pas voulu venir avec moi.

Je rigole, mais en vrai il était hors de question qu'il vienne. Après sa tirade sur le retour de l'aéroport, je veux pas qu'il croit qu'il peut essayer de me recaser avec Max alors que j'ai Logan et que lui aussi a peut être quelqu'un.

— Et toi alors ? La galerie de ta mère ça a donné quoi ? Et ton frère le gangster ? je demande en riant.

Je suis heureux de le retrouver comme ça, aussi épanouie. Il rayonne et ce n’est pas que grace au soleil qui éclaire l’intérieur du café.

— Ah oui, il a dû bien grandir, Gabi.

Toujours dans nos jambes, à l’époque. Je l’apprécie beaucoup et je serais ravi de le revoir.

— Bah... ma mère, ça fonctionne vraiment bien. C’est dingue. Mon père expose ses photos avec elle, maintenant. Ils sont vraiment inséparables. Même au boulot. Puis mon frère bah... tu sais, c’est toujours la même rengaine. Il fait des conneries, c’est jamais de sa faute. On s’est fâchés l’année dernière et on se parle à peine maintenant. La cohabitation était compliquée parfois.

Je grimace, triste pour lui que ça ne se soit pas arrangé avec son frère. J'ai toujours envié les liens des jumeaux quand j'étais gosse, mais leur relation à eux est à l'opposé de ce qu'on peut lire ou voir dans les films.

— C'est rassurant de voir que certaines choses ne changent pas, je souris. Ton frère est toujours un con et tes parents sont le modèle du couple idéal.

Quand c'est à notre tour, je lui demande ce qu'il veux et ça aussi ca me fait sourire : des années après il boit toujours la même chose.

— Du coup tu es revenu en Angleterre tout seul ? Les écoles sont meilleures ici qu'en France ?

— C’est parce qu’on ne change jamais vraiment.

Il prend toujours la même chose, moi aussi. Même le starbucks n’a pas changé et nous reprenons naturellement la table à laquelle on s´asseyait régulièrement.

— Les écoles d’archi ? Meilleur à Londres qu’à Paris ?

Je ris.

— Non, pas du tout. Mais ce pays me manquait. Cette ville, surtout. Les gens qui y vivent.

Toi, je pense très fort. Je n’ai pas besoin de le prononcer puisque nos regards son accrochés et qu’il peut certainement le voir écrit en lettres scintillantes au fond de mes yeux. Adam m’a manqué et il n’a pas idée à quel point. Jamais nous n’aurions dû tenir cette promesse stupide de ne plus nous contacter.

— Je suis seul. Mes parents me louent un truc à Center Falls et je suis enfin indépendant.

C’était affreusement lourd de vivre avec Edward, ces derniers temps parce que, porter la culpabilité de tous ses échecs est difficile. Il est incapable de trouver un autre fautif que moi, tout simplement parce qu’on est jumeaux et qu’il se persuade que j’ai plus de chance.

— Et toi, alors ? Tu vis toujours chez tes parents ?

Comment est- ce que je suis censé réagir quand mon premier amour me regarde droit dans les yeux en me disant qu'il est de retour parce que les gens d'ici lui manquaient ? Je n'ai pas envie de lire dans son regard ce que je crains et il est beaucoup plus facile de me persuader que ça signifie tout autre chose.

— Ça va te faire du bien d'être loin de lui, même si j'espérais que votre départ lui permettrait de te laisser souffler un peu. Au moins ici, tu vas pouvoir le faire.

Je bois une gorgée, tout en le détaillant sans aucune discrétion. De toute façon, il me connaissait par cœur et je n'ai pas vraiment changé. Il saurait tout de suite le voir si j'essayais de me cacher. C'est dur à accepter après avoir juré le contraire à mon petit frère, mais je crois qu'il m'a manqué plus que je ne le pensais.

— Je suis toujours chez eux pour le moment. De temps en temps je passe un peu de temps chez...

Chez mon petit-ami ? Est-ce que même je peux appeler Logan comme ça, alors qu'il est en Ecosse avec sa famille ? Je ne crois pas. Et à dire vrai, est ce que je peux réellement faire mention de son existence alors que personne ne sait qui il est à part Gabriel et Austin ? Et merde.

— ... un ami, mais voilà tout. Et heureusement, Gabriel est parti en mission humanitaire pendant trois mois, Marie est mariée et mère de famille, alors ma mère n'a eu que moi à couvrir de câlins pendant plusieurs semaines.

Ses yeux se relèvent et je soupire de me rendre compte que rien n'a changé. Il le connait toujours autant.

— Ok, j'aime ça autant qu'elle, on va pas en faire une affaire d'état.

Je hausse les épaules ; j'sais pas si ça me fera du bien parce que, malgré tout, on n'a jamais été séparé comme ça et c'est un peu étrange pour le moment. Je souffle, c'est sûr, mais mon frère n'est pas là. Il détaille mon visage et je ne suis pas gêné parce qu'il le faisait souvent. En fait, c'est toujours lui. En plus âgé et plus séduisant, mais c'est lui.

— Un... ami. Tiens donc. Tu as des amis chez qui tu dors, toi, maintenant ?

Je pouffe de rire ; je suis loin d'être idiot et, à mon avis, il ne fait pas que dormir là-bas. Adam, c'est pas tellement le genre à se faire des amis et encore moins à être aussi proches d'eux qu'il va dormir chez eux. Adam, c'est plutôt le genre à se consacrer à une personne à la fois pour pouvoir tout lui donner d'un coup — famille mis à part. Je crois que ça m'effraie un peu parce que je suis venu ici plein d'espoir et que cette nouvelle me serre le ventre, mais ce n'est pas le moment de penser à ça.

— Marie est mariée, oui. Et tu as deux superbes nièces. Salomé et Séphora, c'est ça ?

Je lui souris ; je ne sais pas si c'est volontaire parce que la Newsletter de la famille Saint-Clair est envoyée à tellement de personnes que je veux bien croire que Madeleine a simplement oublié de me retirer de la liste, mais, tous les ans, à la même période, je reçois le billant de l'année passée avec des photos et des commentaires par mois.

— Par contre, Gabi en mission humanitaire... whoa. Je l'aurais su seulement en décembre mais j'aurais été impressionné de la même façon. C'est un sacré changement, ça. Il est toujours inséparable d'Austin ? Avant que je parte, Austin venait tout juste de se trouver une copine et Gabi m'avait confié qu'il ne pouvait pas se la voir et qu'il espérait qu'elle dégage rapidement. Je lui avais dit que ça ressemblait à de la jalousie et on avait pas mal parlé...

Quand il me parle de câlins, je lui souris. Je sais à quel point il aime ça et lui en faire me manque beaucoup.

C'est même plus qu'un ami, je pense, lorsque je vois son regard s'illuminer. Je sais que j'aurais l'occasion d'en apprendre plus sur lui, alors pour l'instant je préfère prendre des nouvelles d'Adam en ignorant ce rival dont je ne sais rien.

— Elle ne m'a jamais retiré, en effet.

Mais pourquoi est-ce qu'elle aurait dû le faire, au fond ? On s'aimait encore, Adam et moi, quand j'ai déménagé. Puis ça m'a permis de garder un lien étroit avec cette famille dans laquelle je me sens si bien.

— J'irai rencontrer les filles de Marie, alors. Enfin, si tu veux bien m'accompagner, évidemment. Toi aussi, tu as beaucoup manqué à ma famille. Même si tu es devenu un sujet tabou depuis un moment.

Il m'explique un peu la situation de Gabriel et je souris quand il m'annonce qu'il est amoureux parce que, je le savais déjà. Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure et quand je lui en avait parlé, il avait tellement nié que c'était évident. Gabriel n'était pas très bien dans ses baskets et Adam n'était pas très proche de lui. J'ai l'impression que ça a un peu changé et ça me fait plaisir.

— Une histoire à la Gabi, quoi. Faut que je le vois, j'ai l'impression que ça fait une éternité.

— Un sujet tabou ?

J'ai toujours beaucoup aimé sa famille et ça me fait quelque chose de savoir ça. Si lui a continué d'avoir des nouvelles par les mails de ma mère, moi je n'avais plus eu aucune nouvelle des Weaver depuis le SMS de Max il y a quelques jours. Merde... C'est eux qui sont partis à des centaines de kilomètres, pas moi.

— T'as qu'à venir manger à la maison un dimanche ! Ça te dirait ?

Je sais que je pourrais le regretter, parce que ça va forcément faire écho au passé et que ce n'est jamais bon. Je sais aussi que c'est Logan que je voudrais convier à rencontrer ma famille un jour, mais lui il ne viendrait pas, pour bien des raisons et la sienne, de famille, est sans doute la première. Mais je sais aussi que l'idée me plaît et me fait sourire.

— Ça ferait plaisir à tout le monde, et tu les verrais tous à la fois ! je souris. Mais te sens pas obligé hein, c'est juste... Ça me ferait plaisir.

— J'ai beaucoup regretté cette décision qu'on a pris de se séparer alors ils n'ont plus vraiment osé m'en parler. Tu connais ma famille, c'est rare qu'on se dise les choses alors si en plus je leur fournis des raisons d'éviter de parler, c'est plus simple.

Il me propose un dimanche et j'acquiesce avec un large sourire.

— Ça me ferait plaisir de voir tout le monde, oui. Ce serait vraiment sympa. J'accepte avec grand plaisir !

— Ça a été dur pour moi aussi tu sais. Et au contraire de toi, ma mère a passé plusieurs mois à me demander si j'avais des nouvelles et comment tu allais. Je crois qu'elle a compris que j'en avais pas le jour où je l'ai envoyé se faire foutre.

Je me rappelle encore de ce jour là et c'est douloureux comme souvenir. Ma mère était désemparée, moi j'étais inconsolable et j'ai finis en larmes dans ses bras à lui demander pourquoi Max ne s'était pas battu au moins un peu pour rester. Elle a su me remettre les idées en place, me faire comprendre qu'à ma façon je ne m'étais pas battu non plus et c'est après ça que j'ai commencé à avancer et que j'ai réussi à passer à autre chose.

— Je verrais avec ma mère pour le dimanche et on se tiendra au courant !

— C'est fou c'qu'on peut être cons quand on est amoureux. Pourquoi on n'a pas juste essayé la relation longue distance ?

Je ris, mais, avec le recul, je crois que je m'en veux de ne pas avoir repris contact rapidement. On ne se serait pas séparés et je sais qu'on serait toujours ensemble aujourd'hui. C'est triste, je crois, le temps qu'on peut perdre en essayant de réfléchir rationnellement.

J'acquiesce quand il me dit qu'il va prévoir ma venue avec Madeleine.

— Alors, t'en es où dans tes études ? T'as terminé ta licence, non ?

— Au delà d'être amoureux, je crois que c'est la jeunesse qui nous a rendu con. Aujourd'hui, on quitterait pas la personne qu'on aime simplement à cause de quelques kilomètres, non ?

Je ne la quitte déjà pas alors qu'il est marié, alors ce serait certainement pas la distance qui me ferait flancher. Alors qu'à l'époque, Max et moi ont a été incapable d'envisager de continuer de se fréquenter sans se voir. Ma vie serait entièrement différente si on avait pas agi ainsi, je le sais. J'ai conscience que jamais je n'aurais pu détourner mon attention de lui si on était resté ensemble.

— Elle est terminée, mais j'ai encore aucun résultat ! Ça va arriver dans les prochains jours et je suis mort de peur, je rigole. Pas de pas l'avoir, je sais que j'ai tout donné, mais peur de pas avoir un niveau assez haut pour en disposer comme je le veux après ! Tu t'es lancé dans quoi toi, finalement ?

Et avec cette idée d'association qui me tourne en boucle en tête en ce moment, j'espère vraiment avoir une mention pouvant appuyer mon travail.

— Aujourd'hui, ça ferait six ans qu'on est ensemble.

La nostalgie dans ma voix n'est pas masquée du tout. Je suis ici parce que je regrette que ce soit terminé, je regrette qu'on ait continué nos chemins séparément.

— Oh ça va, t'as toujours eu les meilleures notes en tout. Quand tu veux un truc, tu l'as. Je sais même pas pourquoi t'es inquiet.

Je bois une gorgée de ma boisson.

— Bah... Architecte. A bien y réfléchir, c'est ce qui me plaisait le plus et ce qui me correspondait le plus.

— Ça fait déjà trois ans que t'es parti...

C'est comme ça que je comptais, au début. Je savais que j'avais passé trois années belles et heureuses et chaque fois que j'y pensais, j'ajoutais tant de mois d'absence à nos trois ans. À l'évidence c'est resté... Mais je ne suis pas le seul à avoir songé à tout ça.

— Justement ! Ça ne suffit pas d'être bon pour réaliser ses rêves. Si j'ai pas au moins une mention, je sais même pas si j'aurais le courage de me présenter en master tellement je serai déçu de moi même.

Je l'imagine bien architecte. C'est sérieux et carré, pas tout à fait comme lui, mais pas non plus à son opposé.

— Et ça te fais faire quoi tout ça ? Je veux dire... Tu dessines des plans ? Des bâtiments ? Ou t'es branché architecte d'intérieur ?

— Ah... mais tu t'inquiétais pour la mention ? Je pensais que tu t'inquiétais de savoir si tu étais dans le top trois.

Je ris un peu pour le taquiner ; dans les cours et les devoirs, on était assez complémentaire – et c'est encore valable aujourd'hui, je crois.

— Hm... non, en fait je vais plutôt être en dans la restauration de bâtiments anciens, tout ça. Je compte devenir architecte du patrimoine. Je bosse à fond l'histoire, là.

— Va te faire voir.

Le nez dans ma tasse, je grogne à son encontre avant de rire et de m'en mettre partout.

— Adam le boulet n'a pas changé lui non plus !

J'attrape avec plaisir la serviette qu'il me tends et j'essuis le thé que j'ai renversé sur la moitié de la table et de mon polo.

— T'as toujours tellement adoré l'histoire, j'aurais jamais pensé que tu puisses trouver un boulot qui te plaise dans lequel y glisser ça ! Ça me rends fier de toi...

Ça vient du fond du cœur et j'espère qu'il le sait. Il a sans doute accompli déjà tellement de choses de son côté pendant ces années et de l'entendre de vive voix, ça me rends heureux pour lui.

Avec un geste maladroit, il reverse son thé et je ne peux pas m'empêcher de sourire. C'est Adam, ça. Et ça fait partie des choses que j'apprécie chez lui. Mais je vois qu'il ne rougit plus quand il est mal à l'aise et son regard est bien moins fuyant qu'avant lorsqu'on se retrouve dans un lieu public ; c'est presque beau à voir, cette évolution.

— Merci. Moi aussi, je suis fier de toi. De ce que tu deviens. Même si j'aurais aimé partager tout ça avec toi.

Je termine mon latté d'une traite avant de me lever.

— Allez, viens. On va se balader un peu, y a un endroit que j'aimerais revoir. De toute façon, t'as presque plus de thé alors...

Je le taquine avec un sourire.

Je lève les yeux au ciel à sa remarque, bien obligé d'accepter qu'il ai raison.

Lorsqu'il se lève, j'ai un goût amer en bouche. La dernière fois que nous avons quitté ce Starbucks ensemble, c'est aussi la dernière fois que nous avons partagé un moment calme et paisible. Tout y fait écho aujourd'hui, si ce n'est notre statut.

— On a besoin de prendre la voiture ? je demande en frissonnant. Je ne prends toujours pas de veste pour sortir, au grand damne des personnes qui partagent ma vie.

— La voiture ? Pour traverser White Falls ? Tu te fiches de moi, j'espère. T'es pas devenu feignant, si ?

J'attrape sa main pour l'entraîner dehors et s'il fait frais aujourd'hui, je n'hésite pas deux secondes avant de lui filer ma veste en le voyant frissonner. Moi j'ai un pull et c'est largement suffisant.

— T'es toujours un voleur de veste, à ce que je vois.

Je lui souris et prends la route de la vieille église parce que c'est là que je veux aller. En quittant ce Starbucks main dans la main avec lui, j'ai eu l'impression de conjurer un mauvais sort. C'est idiot, sans doute, mais si c'est l'endroit qu'il a choisi pour des retrouvailles, c'est qu'il y a bien une raison, non ? Je me laisse facilement convaincre que oui.

Sur le trajet, on continue d'échanger quelques banalités, on rit, on se chamaille. Notre complicité se réinstalle sans qu'on ait besoin de forcer. J'ai l'impression de ne jamais l'avoir quitter et mon coeur ne cesse de battre la chamade.

Lorsqu'on arrive devant la vieille église, je sais qu'il va râler. Exactement comme la première fois ou bien toutes les autres fois où on est venus ici. Mais j'aime ce bâtiment et j'aime la sérénité qu'il dégage. Sans parler du fait qu'on y a échangé notre véritable premier baiser et que c'est certainement mon endroit préféré de cette ville. C'est ce bâtiment que je rêverai de rénover en tant qu'architecte du patrimoine.

On fait le tour, dans un endroit où la grille est assez abîmée pour qu'on puisse l'escalader.

— Je t'aide ?

— T'avais pas un autre endroit ou venir qu'ici ? Je passe ma vie à vivre avec Dieu, même comme ça je suis obligé de le côtoyer !

Il y a un laps de temps de quelques secondes avant qu'on ne rigolent tous les deux. J'ai toujours râlé en venant ici, parce que Max m'y emmenait dès qu'il le pouvait alors que moi, ça m'emmerdait. Et une fois encore, rien ne change. C'est comme si nous étions resté exactement les mêmes et que trois ans de séparation n'avait rien enlevé à ce que nous étions, lui et moi, mais aussi nous. C'est un peu comme si notre couple était né ici et même après tout ce qu'il s'est passé, je ne peux pas m'empêcher d'y penser.

— Évidemment que tu m'aides ! Je ne suis pas devenu un grand sportif !

Et j'attrape sa main sans hésiter, confiant et serein. Il ne me laissera pas tomber, je le sais.

Il râle et je fonds sans vraiment m'en rendre compte. Je crois que j'ai envie d'oublier la temporalité dans laquelle on se trouve, juste histoire de vivre ce moment sans ce soucier de ce qu'il s'est passé avant ou de ce qu'il se passera après. Je le retrouve, peut-être que ce sera simplement pour une heure, qu'il me dira qu'il ne préfère plus me revoir, mais pour l'instant il est là et on est ici.

— Tant mieux alors, je n'aime pas les grands sportifs.

Je lui dis avant de grimper aisément le premier pour pouvoir l'aider en retour. On se retrouve facilement de l'autre côté et, si les portes sont condamnées, on rejoint les portes en bois sur le sol à l'arrière, pour pouvoir entrer par les sous-sols. Rien à changé et c'est rassurant.

— Y aurait tellement de chose à refaire ici. Tu sais ce que j'en ferais moi, de cette église ? Une maison.