Tourner la page. GABRIEL & AUSTIN

Depuis que ma mère est partie en cure de désintoxication et que le juge a appris que c'était moi qui payais la plupart des loyers, la maison est restée à l'abandon. L'état l'a saisie il y a une semaine, je dois aller récupérer toutes nos affaires. On vient de se garer devant, j'éteins le contact. Je ne suis pas revenu ici, depuis le lendemain de l'accident. Ça fait plusieurs mois, l'extérieur semble encore plus minable qu'avant. J'ai une boule à l'estomac de me retrouver ici.

Je suis déjà venu des centaines et des milliers de fois ici, mais je crois que c’est différent aujourd’hui. Aujourd’hui je ne balance pas un caillou sur sa fenêtre pour qu’il sorte. Je l’accompagne et je vois que ça le met mal à l’aise d’être ici. Mais, comme d’habitude, je l’attendrais dehors pour ne pas le gêner encore plus.

— Ça va aller ?

Je hoche la tête et je finis par descendre. J'attrape les cartons sur la planche arrière du pick-up et je commence à avancer vers la maison quand je réalise qu'il ne descend pas.

— Tu ne viens pas ?

— Euh.. mais tu veux que je rentre avec toi ? Dans la maison ?

J'essaie de lui faire un petit sourire, mais je crois que ce n'est pas réussi.

— Ce n'est plus chez moi.

J'essaie de l'accepter.

— Ah.

Je ne sais pas si je dois bien le prendre, mais je ne fais pas de commentaire et je sors de la voiture.

— Allons-y alors !

Lui aussi récupère des cartons et on remonte l'allée. Il y a bien longtemps que l'herbe à sécher, mais toute évidence le devant de la maison a servi de déchèterie aux jeunes du coin. J'ouvre la porte et immédiatement une odeur de renfermée, de cigarettes froides et de moisissure nous envahi. Je baisse les yeux.

— Désolé...

J'ouvre la porte et on entre à l'intérieur. Je ne sais pas si c'est le fait de ne plus vivre ici, tout me semble encore plus minable et délabré qu'avant. Sale, vraiment très sale. Tout est resté comme les pompiers l'ont laissé. La moquette est rongée, tâchée. Il y a les tâches de sang là où Darcy est tombée, des poubelles qui trainent au milieu des cendriers et des bouteilles d'alcool vide. Le seul endroit propre malgré la poussière de ces derniers mois, c'est la chambre que je partageais avec Darcy qu'on peut voir au fond. J'ai tellement honte et je me sens tellement mal que je n'ose pas regarder Gabriel.

Quand on entre, la maison est dans un état lamentable. Je vois tout de suite qu’Austin a honte et s’il pouvait se cacher dans son corps, il le ferait. Mais à quoi est-ce qu’il s’attend ? Que je me moque ? Que j’ai honte ? Pitié ?

Je pose les cartons et je m’approche pour embrasser ses lèvres.

— Allez, c’est rien, te mets pas dans cet état, c’est qu’une maison. On va commencer par ouvrir les volets. On va nettoyer tout de fond en comble et rendre cette maison présentable, ok ? Je n’ai ni pitié, ni honte. Et je ne t’aime pas moins. T’as des sacs poubelle ?

Il s'approche de moi et embrasse mes lèvres. Je hoche la tête pour les sacs poubelles, j'en ai pris plusieurs paquets, je pose le carton au sol et on commence à vider. Au bout d'un moment je reprends la parole sans m'arrêter de ramasser.

— J'avais peur du regard des autres. Si je n'étais pas là pour laver Darcy, maman la faisait partir à l'école en étant sale, avec des vêtements tâchés ou déchirés. Quand on nous traitait de pouilleux, de pauvres, je faisais semblant de ne pas entendre, mais je n'avais pas envie que toi, tu me vois comme ça.

— Jamais je ne t’aurais vu comme ça, Austin. Ça me blesse presque que tu penses que quelques vêtements troués et une maison en ruine aurait pu entacher notre amitié. Comme si les apparences étaient plus importantes.

Moi aussi, je ne m’arrête pas de ramasser toutes les saletés qui traînent.

— Je t’aurais filé mes vêtements et mes baskets et tout ce dont t’aurais eu besoin si j’avais su.

Mais ma mère se chargeait de ça à ma place, je crois.

— Je sais que tu ne m'aurais jamais vu comme ça.

Je m'arrête pour le regarder.

— Seulement, moi j'avais honte.

— Tu ne devrais pas. Ok, t’as eu une enfance de merde, mais ton père, ta mère... tout ce que t’as vécu ici... toutes ces choses ont fait de toi la personne que tu es, celle que j’aime. Tu devrais être fier d’avoir vécu comme ça parce que t’es tellement une belle personne, tu aides les autres, tu es entièrement dévoué à ta sœur, tu es bon élève. C’est grace à tout ce bordel dans lequel t’as grandi que t’es aussi formidable. Alors n’aies pas honte !

Je n'imaginais pas qu'il pouvait voir ça comme ça. J'essaie de lui sourire mais encore une fois c'est pas une réussite. Je prends sa main.

— Viens...

Je l'entraine dans ma chambre et j'attrape une boite à chaussures cachées sous mon lit.

On s'assoit sur le lit et je l'ouvre. Dedans il y a plein de petites choses, comme un dessin qu'il m'avait un jour, le jouet d'un kinder surprise qu'il m'avait donné, une dent aussi. Je lui montre.

— Tu te souviens quand tu me l'as donné ?

Je la fais tourner dans ma main.

— Tu m'avais dit que je pourrais la mettre sous mon oreiller pour que la petit souris passe et me donne la pièce à ta place.

Je souris parce que je m’en souviens.

— Je vois que tu ne l’as pas mise sous ton oreiller. Bravo. Comment tu voulais recevoir ta pièce, hein ?

Je dis en riant un peu.

— Oh ça aussi, c’esr un porte-clé que je t’ai donné. Et mon chapelet.

Je ne lui dis pas que je n'ai jamais cru à la petite souris, parce qu'elle n'est jamais passée. Je souris.

- J'ai tout gardé, sans toi je crois que je n'aurais pas eu la force de tenir, surtout avant la naissance de Darcy.

— Oh bah tu sais, c’est surtout ma mère qui allait te chercher à cet âge-là. Tu restais avec nous pendant des semaines, jusqu’à ce que ta mère appelle. Moi je trouvais ça trop cool que tu restes avec moi, tu voulais toujours jouer avec moi au moins.

— Sans tes parents, je ne sais pas ce qu'on serait devenu, je ne comprendrais jamais comment les services sociaux n'ont jamais rien vu.

Je sais que je leur mentais, mais je réalise maintenant que je suis plus grand, que c'était grave qu'ils n'aient jamais agis.

— Parce que personne ne les a alerté..

Je dis, désolé pour eux. Est-ce que mes parents ont fait le bon choix en préférant les garder par intermittence ?

— Même si c'était dur, je crois que je préfère ça, je n'aurais pas supporté qu'on nous sépare Darcy et moi.

Et sans ses parents je sais que c'est ce qui serait arrivé, et je leur serais éternellement reconnaissant pour ça. Je regarde autour de nous.

— Je vais rassembler les affaires de Darcy et les miennes, et on pourra jeter tout le reste.

Malgré mes paroles, je sais que je vais ressembler les affaires auxquelles tient maman aussi.

— Ok. Bah je m’occupe de tout ce qui est déchets et que je suis sûr de pouvoir jeter sans me tromper.

Avant qu’il ne s'éloigne, je l’intercepte pour lui donner un baiser.

— Merci de m’avoir enfin montrer l’endroit où tu vis.

— Merci à toi de m'aider.

On se remet au travail, on fait plusieurs aller-retour à la décharge de la ville. Il fait nuit quand on a terminé de tout nettoyer, la maison est vide à part les trois cartons qui restent. Celui de Darcy, de ma mère et le mien. On est remplis de sueur, sale et plein de poussière. Je regarde ce qui nous entoure. Je suis né dans cette maison, littéralement, ma mère a accouché de moi avant l'arrivée des pompiers et même si je détestais cet endroit, c'était chez moi. J'ai du mal à me dire que c'est la dernière fois que je viens ici, et en même temps c'est une délivrance.

On y passe tellement de temps que voir enfin la maison propre et vide est un réel soulagement. Austin est au milieu du salon et je m’approche pour le prendre dans mes bras.

— Ça va ton épaule ?

Je me laisse aller contre lui quand il me prend dans ses bras. Je hoche la tête.

— Je prendrai un anti-douleur en rentrant. Et toi, ton poignet ?

Je sais qu'il est remis depuis un moment, mais ça reste fragile.

— Ça va. Toujours opérationnel pour la branlette.

Je dis sérieusement avant d’éclater de rire.

— Enfin ça va, quoi. Je vais donc porter ces cartons tout seul, parce que toi t’as mal.

Je me rapproche pour effleurer ses lèvres.

- Tes mains seront trop fatiguées pour ça, tu auras besoin des miennes.

Tout le monde sait où on est et c'est pour ça que Darcy est chez Marie ce soir, car on ne savait pas à quelle heure on allait rentrer.