Need you now. — Adam & Gabi

Il est tôt, certainement 7 h 30 du matin, mais mes parents ont déjà signé tous les papiers pour que je sorte. Ils restent avec Austin avant de le ramener à la maison et, en attendant, je veux que ce soit Adam qui vienne me chercher. J'ai envie qu'il m'éclaire et qu'il me rassure – même si j'ai conscience de ce qui me pend au nez.

Mon coeur est complètement serré quand je l'appelle avec le portable que papa m'a laissé. Il ne décroche pas tout de suite et la pression monte tellement que lorsque j'entends sa voix, j'ai juste le temps de prononcer :

— Allô, Adam ?

Et de me mettre à pleurer.

— Adam, ton téléphone sonne.

Je grogne à l'encontre de Max et fais comme si je ne l'avais pas entendu. Mais je le sens passer au dessus de moi et je sais qu'il regarde qui c'est. Il fait encore nuit dehors, il doit être tôt, et il doit déjà imaginer qu'un appel à cette heure là est forcément un appel à prendre.

— C'est qui ? je demande sans grande conviction.
— J'en sais rien, c'est un numéro masqué. Tu devrais répondre mon Amour.

Je soupire, mais dans le fond, je sais qu'il a raison. On ne sait jamais. Je balbutie un vague mot en décrochant et quand j'entends la voix de Gabriel et qu'il se mets à pleurer aussitôt, tout mon sommeil semble s'éclipser. Je me relève brusquement, le cœur serré au possible.

— Trésor c'est moi, qu'est ce qu'il se passe ?

Je n'ai pas du l'appeler comme ça depuis qu'il avait dix ans, mais je ne supporte pas de l'entendre comme ça.

— J’ai la main cassée et je peux sortir mais je dois aller au commissariat et maintenant je pourrais plus être médecin à de ça. J’ai pas envie d’aller en prison.

Ça part dans tous les sens, mais je ne sais même pas comment m’y prendre autrement avec tous ces sanglots. Je pleure tellement rarement que je me sens submergé.

— Viens me chercher à la clinique s’il te plaît. Mais toi tout seul.

Je ne comprends absolument rien. Il parle de main cassée, de commissariat, de prison et de clinique. Il semble tellement bouleversé que j'en ai le ventre tout retourné. Je pourrais me vomir dessus.

— Pourquoi t'irais en prison Gabou, voyons ?

Hier tout allait bien, il a pas pu butter un gars en pleine nuit ! Et puis si ce qu'il avait fait était si grave, il y serait déjà en prison, il serait pas à l'hosto !

— T'es à la clinique, c'est ça ? Je peux venir maintenant ?

Je ne lui laisse pas le temps de répondre que je sors déjà du lit et enfile les premiers vêtements que je trouve dans la pièce. Ils ne sont peut-être même pas à moi, mais je m'en fous.

— Oui. Viens. Je me calme.

Je lui dis avant de raccrocher. Je m’assois dans le hall d’entrée, face à la porte. J’essuie mes larmes et j’essaie de me recentrer.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Je ne sais pas trop... Il pleure, il a parlé de prison et je suis mort de peur.

Je m'en rends compte quand je m'y reprends à trois fois pour nouer mes chaussures, tellement mes mains tremblent.

— Tu vas le chercher, tu veux que je t'accompagne ?
— Il a besoin de moi Max, je préfère y aller tout seul...

Et Gabriel me l'a demandé aussi, mais même sans ça, je n'aurais pas autorisé Max à venir avec moi. Je sais qu'il ne le prends pas mal, que c'est simplement son inquiétude à lui aussi qui parle. Pour moi et pour Gabou. Je l'embrasse rapidement, l'informe que je n'ai aucune idée de quand je rentrerais et que je lui enverrais un message.

Après ça, arriver à la clinique ne me prends pas beaucoup de temps. A cette heure là, et en plein mois d’août, les rues sont vides. Je me gare rapidement et je ne suis même pas sûr de fermer ma voiture à clé en partant au pas de course rejoindre le hall principal. Là, j'y trouve mon petit frère assis le regard droit devant et je ne peux m'empêcher de presser le pas vers lui et de le prendre dans mes bras.

— Qu'est-ce qu'il se passe, pourquoi t'es là ? T'es tout seul ? Fallait m'appeler avant Trésor...

Je suis soulagé d’avoir déjà pleuré comme ça, quand mon frère arrive, je n’ai aucun mal à retenir mes larmes. Mais j’accepte son câlin volontiers.

— Hier Austin s’est fait agresser par son père à la sortie de son travail.. et quand j’ai su ça, j’ai complètement pété un plomb. Je sais pas pourquoi.. et j’ai cherché son père et je l’ai explosé et ce connard porte plainte et maintenant j’ai la main cassée et en plus, je dois aller au commissariat tout à l’heure parce que j’aurais certainement une comparution immédiate et je veux pas faire de prison, et avec un casier je peux même plus être médecin maintenant.

Rien que d’y penser, ma gorge se serre. J’ai pas réfléchis avant d’agir et je ne vois même plus l’intérêt de faire quoi que ce soit maintenant.

— Est-ce qu’on peut aller ailleurs avant que j’aille au commissariat ? J’ai pas envie de rester ici.

Ça fais beaucoup d'informations, beaucoup de zones de flou aussi, et je tente d'essayer de tout remettre en place.

— Austin aussi est ici du coup ? Il va bien ?

Putain mais je comprends pas comment ça a pu arriver hier soir et comment ça se fait que ce ne soit que ce matin qu'on soit prévenus ! Austin est mineur en plus, merde !

— Viens, ça te dis qu'on aille au Starbucks boire un truc chaud et manger un peu ? On va pouvoir parler tranquillement là bas.

Je passe mon bras autour de ses épaules quand il se lève et regarde sa main plâtrée.

— J'ai pas encore toute la version de l'histoire, mais... J'espère que tu lui as fait vraiment très mal à ce gros enfoiré.

Je rigole doucement pour détendre l'atmosphère, alors que j'ai envie de vomir de la plainte qu'il a porté. Il faut qu'on parle de ça posément, parce que la, je vais faire une syncope.

— Bof... il va pas bien. Il a mal à son épaule, la blessure est pas terrible apparemment. Puis le moral n’y est pas non plus. Alors bon... ah et il est avec papa et maman. Je voulais pas qu’ils t’appellent. Je voulais le faire moi-même mais j’avais trop honte hier soir. Et peur aussi.

Il me propose Starbucks et ça me va. J’esquisse un sourire quand il espère que je ne l´air pas raté.

— Je l’ai explosé. Il a même perdu des dents.

— Honte et peur de quoi ?

J'essaie de passer outre le fait que mes parents étaient là et que c'est lui qui a refusé qu'on me prévienne. C'est pas le moment de se sentir mis de côté, alors qu'il en est en train de m'expliquer pourquoi il a fait ça.

— À quel moment t'as à avoir honte face à moi ? Merde, Gabou... On fais tous des erreurs et des mauvais choix, mais si même avec nous tu as peur, avec qui tu pourras être libre ?

Je soupire, en démarrant vers le Starbucks.

— Évidemment que j'aurais honte si demain tu venais m'annoncer un truc impardonnable du genre que t'as couché avec mon mec ou que... Ou que rien. Je crois que c'est la seule chose que j'arriverai pas à te pardonner, je précise. Bien sûr que t'aurais pu te contrôler et que ça t'éviterais des ennuis, mais... T'as agis pour défendre un être cher à ton cœur et je crois que personne peut te blâmer pour ça. En tout cas, ce ne sera pas moi qui le ferait.

Je hausse les épaules.

— Je voulais pas te décevoir, c'est tout.

Maintenant, je peux plus être médecin. Je vais encore être celui dont tout le monde parle en ville et ce sont eux qui en paieront les pots cassés. Il ne comprend pas que je n'ai pas honte d'avoir fait ce que j'ai fait. J'ai juste honte qu'ils doivent encaisser le fait que je fasse partie de leur famille.

— Toi plus que les autres.

Parce qu'il ne réalise pas à quel point je l'admire et à quel point j'aimerais lui ressembler. Je voudrais l'égaler juste un petit peu, mais je ne lui arrive même pas à la cheville. Il avait l'air tellement fier du nouveau Gabriel que maintenant c'est terminé.

— Tu me déçois pas Gabou... J'ai peur pour toi, de ce qui va arriver suite à sa plainte, de ce qu'il pourrait se passer comme verdict, mais tu ne me déçois pas.

Je souris, parce que tout est vrai. Je suis mort de trouille, mais je ne suis absolument pas déçu de lui ou de qui il est.

— J'aimerais être capable de défendre ainsi l'honneur de ceux que j'aime. Sans aller jusqu'à les frapper, j'aurais aimé envoyer chier les enculés de la fac qui parlaient mal de toi à une époque. J'aurais aimé pouvoir défendre Max quand on était au lycée et que les abrutis du coin se foutait de nos gueules parce qu'on est gay. Ne serait ce que me défendre moi je ne sais pas le faire, alors que... T'aurais jamais laissé passer ça toi, et c'est admirable de ne pas savoir s'écraser.

Là, tout de suite, j'ai vraiment envie d'un câlin de mon frère. Pas que je veux qu'il me rassure, mais je veux aussi qu'il réalise qu'on n'a pas besoin d'avoir une grande gueule pour défendre les gens qu'on aime et lui aussi, il sait très bien le faire.

— Adam... c'est pas parce que tu disais rien que tu t'écrases. J't'assure. Toi, tu protèges les gens et c'est tout aussi admirable. Tu les protèges en les aimant et en leur cachant ce qu'ils ne méritent pas d'entendre.

Il m'a jamais rapporté que des gens parlaient mal de moi et il m'empêchait juste d'aller à telle ou telle soirée à sa manière ; en me disant qu'il ne voulait pas rester tout seul, qu'il y avait une soirée jeux de société à la paroisse ou bien en se disputant avec moi pour que je me fasse punir et que je préfère retrouver Austin quelque part plutôt que d'aller me bourrer la gueule n'importe où. Je soupire tristement.

— J'ai l'impression que tout fout le camp et c'est tellement injuste.

Je souris tout en haussant les épaules. Je le trouve beaucoup plus fort, courageux et audacieux que je ne le serais jamais. On est tellement différent qu'on en devient complémentaire sur beaucoup de choses. On se canalise et on se conseille l'un et l'autre, c'est une des plus belles choses de la relation qu'on a maintenant.

— Tout n'est pas encore foutu Trésor... Tout va dépendre de ce qu'ils vont décider au commissariat. Il a porté plainte contre toi, c'est ça ? T'as déjà des antécédents ?

Je le questionne sur des choses dures et je m'en veux, parce que ça doit lui faire de la peine, mais on a besoin d'en parler.

— T'as tué personne Gabou, ça va pas arriver dans les hauts de ton casier... T'as encore une chance pour la médecine ! Crois-en le lecteur de polar que je suis, ok ?

Je rigole doucement, parce qu'il se fout de ma gueule à être tout le temps dans mes bouquins, mais au moins en lisant j'apprends des trucs parfois.

Je secoue la tête et je n'arrive pas à esquisser le moindre sourire.

— Si je suis condamné, c'est terminé. J'crois pas qu'on ait le droit d'être médecin avec un casier judiciaire. De toute façon, j'y serais même pas arrivé.

— Y'a plusieurs bulletins dans un casier judiciaire Gabou. Le premier pour les délits mineurs, un second pour des récidives il me semble et le troisième qui concerne tout ce qui est peine de plus de deux ans ! Regarde sur internet ! Je suis sûr qu'on demande pas le premier bulletin pour s'inscrire à l'ordre des médecins ! Tu vas pas aller en prison pour ça putain... Ils peuvent pas te foutre en taule.

J'essaie de paraître calme et détendu. Je suis aussi là pour ça, le canaliser, l'aider à y voir plus clair, lui montrer qu'il y a toujours de l'espoir...

— Sois pas défaitiste ! Si tu bosses et que tu écoutes ce qu'on te dis, tu peux aller loin. C'est parce que t'en avais rien à foutre que tu étais mauvais, pas parce que tu es bête !

Je hausse les épaules ; je suis complètement démotivé et je sais que c'est parce que c'est plus facile de me retirer moi-même de la course, plutôt que de réaliser que je risque d'échouer.

— J'ai envie d'être à dans une semaine pour savoir déjà comment ça se passe. J'ai plus du tout envie d'être là.

Il se gare et je sors directement de la voiture. Je ne veux pas couper court à la conversation, mais j'étouffe et j'ai beaucoup de mal à ne pas m'enfuir comme d'habitude. Je lutte pour ne pas m'isoler et m'enfermer tout seul dans mes problèmes.

Je ne sais pas si je dois le suivre tout de suite ou le laisser respirer un peu. C'est une situation qui n'arrive pas tous les jours et j'ai peur de mal faire. Mon petit frère a besoin d'y voir plus clair, c'est évident, mais je ne sais pas s'il y arrivera mieux avec moi.

J'attends un instant avant de sortir de la voiture et je le rejoins doucement. C'est ma façon à moi de lui montrer que s'il veux rester un peu seul, il peut s'éloigner un peu.

— Tu veux rester un peu dehors pendant que je commande...?

J’acquiesce et comme y a une femme qui fume à l’extérieur, j’en profite pour lui taxer une clope. Je prends mon temps et je la laisse me parler de son patron qui est un con. Je m’en fous, au fond, mais ça m’occupe l’esprit.

— Mais.. on s’est pas déjà croisé ?
— Peut-être.
— Hey mais t’es pas un ami de Patty ?

Je soupire.

— Non, j’suis pas son ami.
— Mais si, t’es le gars de la soirée là ! Putain elle n’arrête pas de me parler de toi ! Genre t’as pas froid au yeux, toi.
— J’peux pas fumer tranquille ?
— Tu pourrais pas me filer ton numéro ?
— Non,
— Oh aller, t’étais l’un des meilleurs coups de sa vie ! Je suis sûre que tu t’en souviens ! Y avait un autre gars !
— Et donc tu te sens obligé de me racoller comme ça là ? Va sur tinder. Des mecs en chien pas regardant du physique des meufs qu’ils baisent, y en a à la pelle.

Vexée comme un pou, elle me gifle avant de balancer sa clope et de rentrer. J’en fais de même. Adam était sur le point de sortir mais je lui ai fait signe que tout allait bien. Je le rejoins pour porter ce qu’il a commandé. Il me dévisage alors je lui souris.

— Ça va, t’inquiète. C’est rien.

— Rien ? La dernière gifle que j'ai mise c'était à Max, en le prenant pour Monsieur Édouard, et c'était loin d'être pour rien ! Qui frappe pour rien ? je rigole.

Je n'ai pas l'habitude d'assister à ce genre de scène, alors quand en plus c'est mon frère qui mange, encore moins.

—Vous avez couché ensemble un jour et tu l'as jamais rappelé, c'est ça ?

Je lève les yeux au ciel alors qu’on s’installe dans un coin.

— Bah non. En fait elle voulait mon numéro et je lui ai dit non. J’ai eu une.. une aventure avec une amie à elle apparemment. On a déjà dû se croiser mais je ne m’en souviens pas.

C'est à mon tour de lever les yeux au ciel.

— Donc en tant qu'homme on est tous potentiel violeur, mais elle, elle prends le droit de te frapper parce que tu lui donnes pas ton numéro ?

Je ne comprends plus la société dans laquelle on évolue et je trouve ça triste à pleurer.

— Bon, mais sinon. Ça va ta main, tu souffres pas trop... ?

J’éclate de rire.

— Mais je lui ai dit qu’elle était moche et tout. J’t’ai juste fait un résumé de la situation. J’vais pas te raconter toute ma vie sexuelle, ça va te complexer.

Je dis pour le taquiner, avant de regarder ma main.

— Bah j’sais pas.. j’ai encore pris des cachets ce matin. Un peu, je pense. Enfin, ouais. J’ai mal.

Je le suis dans un grand éclat de rire.

— C'est sûr que niveau sexe, t'as dû vivre des choses bien plus folles que moi ! C'est à peine si je connais ça en dehors d'un lit déjà, alors.

Ça me complexe pas d'en parler avec mon frère, parce qu'on a deux visions de ça bien différentes et qu'en plus, la façon dont on l'aborde nous satisfait l'un et l'autre.

— Tu peux pas le dire dès le début, plutôt que de trouver trois chemins pour y arriver ? T'es parti avec des cachets d'ailleurs ? T'as aucun sac là !

Adam papa poule est de retour.

— Bah non, j'ai rien pris, c'est papa et maman qui ont ce qu'il faut. Enfin, ils vont aller les chercher à la pharmacie. Mais j'ai mal parce que je me souviens de la douleur d'hier, mais là.. bon ça passe. Hier j'ai carrément perdu connaissance.

Je rigole avant de percuter.

— Non mais attends, t'as vraiment jamais couché avec quelqu'un ailleurs que dans un lit ?