Distance. Gabriel / Austin

Trois jours que je suis revenu chez les Saint Clair. Ils ne sont pas au courant de ce qu'il se passe entre Gabriel et moi. Je viens souvent dormir ici pour être avec Darcy, depuis qu'on a déménagé, elle a retrouvé sa chambre à l'étage mais le sous-sol est toujours pour nous quand je suis là. Seulement d'habitude ce n'est qu'une nuit, j'ai conscience que Madeleine et Paul se posent des questions mais je ne me sens pas prêt à rentrer maintenant.

Ça fait trois jours que je refuse tous les appels de Gabriel et que je ne réponds pas à ses messages. Je suis rentré prendre des affaires à l'appartement quand je savais qu'il était à la fac. Il était la dernière personne que j'imaginais me blesser un jour. Ça tourne en boucle dans ma tête, et je me remets tellement en questions que je finis par me sentir coupable et responsable. La seule chose qui m'apaise s'est d'être auprès de Darcy. Aujourd'hui je me suis même fait sortir du bassin parce que je n'étais pas concentré. J'ai mal mais je n'arrive pas à l'admettre.

Il est 19h quand je pousse la porte de la maison, Darcy court et me saute dans les bras.

— Y'a Gabi !

Elle me dit avec un grand sourire, je perds le mien et mon coeur rate un battement. Je la repose par terre et j'avance vers la cuisine. Il est bien là, avec Madeleine.

Trois jours que je n’ai pas de nouvelle et ça me rend dingue. Je l’appelle, je lui envoie des tonnes de messages pour tenter de m’expliquer alors qu’il n’y a rien à expliquer. Il m’a dit qu’il allait rentrer et je lui fais confiance mais c’est affreusement long.

J’al bien trainé devant son boulot sans oser entrer et j’ai sauté sur l’occasion d’aller chez mes parents quand ma mère m’a demandé de venir récuperer un vêtement que Marie avait laissé pour moi.

Je veux lui laisser le choix du temps de réflexion mais il me manque tout le temps et j’aimerais bien le croiser. Je suis sur le départ quand j’entends la porte. C’est lui ! Mon cœur bat à mille à l’heure et j’ai envie d’aller le serrer contre moi et l’embrasser, mais ce serait le forcer alors je reste près de ma mère. Je lui adresse un pâle sourire alors qu’il évite mon regard.

— Bon.. je dois y aller.

C’était pas une bonne idée de le croiser et je vois à sa mine à quel point il ne va pas bien. C’est de ma faute et c’est affreux de le réaliser. J’ai réussi, finalement. Je me suis prouver que je n’étais vraiment qu’une merde en blessant la personne que j’aime le plus au monde.

— Gabriel ?

Ma mère me jette un regard et elle comprend tout de suite. Elle comprend que je suis nul et elle ne dit rien. Elle se tait.

— Darcy, mon cœur, tu viens m’aider à récuperer le linge ?

Darcy court dans la buanderie, suivie de près par ma mère. Moi je rassemble mes affaires, ma honte et je laisse ma dignité par terre, avant de rejoindre l’entrée.

— Désolé, je voulais simplement récupérer un truc alors.. je m’impose pas. Je sais que t’as pas envie de me voir. Même si tu me manques.

Je ne pensais pas que ce serait si dur, je n'arrive pas à le regarder, ça me fait trop de mal. J'entends la conversation, mais je ne regarde pas Madeleine non plus car je sais qu'elle a compris que quelque chose n'allait pas. Elle trouve une excuse pour nous laisser seuls. Je réalise que je ne serai jamais prêt à affronter Gabriel, mais je prends conscience que plus je recule, plus ce sera difficile. Ce n'est que quand la porte d'entrée se ferme que je réagis. Je le rejoins dehors, mais comme il y a trois jours, je laisse une distance entre nous.

— Pourquoi ?

Je demande la gorge complètement serrée.

Je n’ai pas de vraie réponse à ça ; seulement quelques excuses minables visant à me rassurer moi-même. La vérité, c’est que je ne sais pas pourquoi. Je l’aime, je suis heureux et comblé - même sexuellement - et j’ai quand même fait ça.

Si lui refuse de croiser mon regard, moi je ne le quitte pas des yeux. La douleur de pouvoir le voir sans Le toucher est presque intolérable.

— Parce que je ne suis pas quelqu’un de bien.

C’est la réponse la plus honnête que je pouvais lui faire ; il méritait bien ça, après tout.

Je relève les yeux vers lui.

— Non, ça s'est trop facile Gabriel.

Je réalise qu'il va mal lui aussi, ses yeux sont cernés, il a l'air vraiment fatigué.

— C'est qui ce gars ? Tu as des sentiments pour lui ?

C'est dur d'accepter que l'on ait une conversation comme ça tous les deux.

— Non !

Je réponds immédiatement.

— Non, je ressens rien pour lui. Rien du tout. Y a rien, c’était juste..

Ma gorge se serre.

— J’en sais rien. Ça n’avait aucune importance parce que c’est toi que j’aime. Que toi.

Je crois qu'intérieurement ça me rassure qu'il ne ressente rien pour lui.

— Alors pourquoi ? C'est parce que tu t'ennuies avec moi ? Je ne te satisfais plus ? Je sais que je travaille beaucoup, qu'on ne se voit pas souvent mais je ne pense pas-

Je n'arrive plus à parler tellement ma voix se brise. Mais j'ai besoin de comprendre, j'ai besoin de savoir pourquoi il a été voir cet homme.

— J’en sais rien.. j’ai pas de réponse à te donner parce que t’as rien à voir là-dedans. Je t’aime, j’aime notre vie et je suis plus que satisfait. Je ne me l’explique pas... j’en sais rien.

Je m’approche un peu, j’ai envie de le prendre dans mes bras mais je n’ose pas.

— J’ai toujours envie de faire ma vie avec toi, rien ne change. J’ai agi comme un connard. Et ça ne signifiait rien. J’ai simplement pas d’excuses.

Quand il s'approche, c'est plus fort que moi, je recule d'un pas.

— Comment tu te sentirais si je te trompais ? Parce que moi je suis perdu, et je t'en veux autant que je m'en veux.

— Mais je t’ai pas trompé ! C’est pas ça ! J’ai pas de sentiments pour cette personne, je m’en fiche ! Ça n’a rien à voir. C’est comme aller sur un site porno.

Je ne crois pas que ça soit la meilleure image mais je ne saurais pas comment lui dire autrement.

— Pourquoi t’en vouloir à toi même ? T’as rien fait de mal.

Je m'apprête à lui dire d'arrête de se foutre de moi, mais quand je relève les yeux vers lui, je vois dans son regard qu'il est sincère, que pour lui il ne m'a pas trompé. Je repense à cette histoire qu'il a eu avec ce professeur du lycée, du peu qu'il m'en a parlé je n'ai pas eu l'impression qu'il réalisait la gravité de ce qu'il s'est passé entre eux. Ça me brise le coeur.

— Si, tu m'as trompé Gabriel.

C'est la première fois que je le dis à voix haute, que je l'admets intérieurement et c'est vraiment douloureux, mais il doit le réaliser.

— Et je m'en veux parce que si je me sentais coupable il y a quelques minutes encore, je réalise maintenant que j'aurais dû voir que tu... tu avais une vision déformée de tout ça.

Il insiste et ça me met vraiment mal de l’entendre ; il n’arrive pas à comprendre et apparemment je ne le comprends pas non plus. J’ai conscience que lui dire que c’était juste pour passer le temps et décompresser n’est pas une bonne idée, mais je ne veux pas qu’il se sente coupable de quoi que ce soit.

— J’ai pas une vision.. déformée.

Je sais même pas ce qu’il veut me dire.

— Mais c’est pas ta faute, t’as pas à te sentir coupable. Avec la fac, les fêtes, j’en sais rien... c’est plus facile de se faire ce genre de contact. Et c’est pas que je t’aime moins ou que je manque de quelque chose, c’est pas ça. J’me vois pas sans toi et j’aurais préféré que tu l’apprennes pas... pas parce que je me suis fait prendre, mais parce que j’ai pas envie de te voir souffrir, j’ai pas envie que tu penses que je t’aime moins ou que j’ai plus de projets avec toi. C’est pas vrai.

Tout ce qu'il me dit n'a pas de sens, je comprends encore moins et je suis perdu. Si ce n'est pas moi le problème et qu'il m'aime toujours autant alors pourquoi ? Pourquoi il a fait ça ? Il savait que ça allait me faire souffrir, et il l'a fait quand même, mais ce qui me fait le plus de mal c'est comment il s'est comporté quand je suis arrivé, comme si de rien n'était et c'est là que je réalise quand il me parle de ce genre de contact.

— Ce n'était pas le premier, ni la première fois ?

Je n’ose même pas le regarder dans les yeux. J’ai honte et j’ai pas d’excuse. Rien n’excuse ce comportement et je me rends compte que j’ai agi comme ça simplement pour me faire mal à moi, mais que c’est lui qui en souffre le plus.

— Je suis désolé, ça n’arrivera plus. Je sais que t’es en droit de plus me faire confiance, mais.. je vais me rattraper. Je suis fou aoureux de toi depuis des années et j’ai pas envie d’avoir tout gâcher.

Je n'ose même pas lui demander combien de fois, avec combien de personnes, depuis combien de temps mais si je sais que ces questions vont me hanter. Et le pire c'est qu'il n'a aucune raison valable à me donner, je comprends encore moins. Mon coeur est tellement serré, que je comprends que je pleure intérieurement mais sans larmes.

— Pourquoi tu faisais ça ? Je ne comprends pas, tu es polygame c'est ça ? Tu as besoin de plus qu'une seule personne ?

Parce qu'il me dit qu'il arrêtera mai s'il ne réalise même pas la gravité, comment il pourrait arrêter ?

— Quoi ? Non ! Non, pas du tout.

J’aurais préféré qu’on soit chez nous, je sais que ma mère écoute et j’suis pas là de revenir un jour ici sans avoir honte d’être aussi minable.

— J’ai peur que tu partes.. c’est tout. Je t’aime tellement que j’ai peur que tu réalises que je suis vraiment nul parce que je comprends pas pourquoi tu restes alors j’me donne des raisons de me conforter dans ma médiocrité en allant voir ailleurs. Même si ça veut rien dire, j’le fais quand même et t’as tous les droits de partir maintenant. Je comprendrais.

Même si, sans lui, je meurs.

— J’ai besoin de toi. C’est tout.

Mais maintenant il sait à quel point je suis maivais pour lui. Alors il a le choix.

Quand il m'avoue ça je comprends enfin, et même si la situation et horrible je me sens soulagé de comprendre. J'en avais besoin, j'avais besoin de savoir. Je savais qu'il n'avait pas confiance en lui mais je n'aurais jamais pu imaginer que ça pouvait aller aussi loin.

— Depuis qu'on est ensemble, tu n'as toujours pas conscience que je suis complètement fou amoureux de toi ?

Je demande complètement impuissant et désemparé.

— Mais pourquoi ?

Il a beau me le répéter, je n’arrive pas à comprendre ce qu’il aime chez moi au point qu’il soit vraiment amoureux. Ça n’a aucun sens. Je ne suis rien du tout, j’ai toujours été rien et ce depuis que j’ai commencé à coucher avec ce putain de prof de bio. C’est comme ça. Je suis un parmi tant d’autre et lui, il continue de rester et je ne comprends pas.

— Mais j'en sais rien Gabriel ! C'est comme ça, c'est tout.

Je soupire quand je réalise que j'ai haussé le ton.

— Pardon.

Je frotte mon visage avec ma main.

— Il y a un million de raisons qui font que je t'aime, mais je n'arriverai pas à te les dire maintenant.

J’acquiesce. Parce que c’est fini, maintenant. Il ne m’aimera plus jamais comme avant.

— Je vais rentrer, Balthazar est... enfin j’vais le sortir un peu alors.. tu feras un bisou à Darcy. Enfin si tu veux bien. Je serais là si jamais tu veux rentrer. Et si tu veux pas... je comprendrais.

J’ai pas envie de lui imposer ma présence plus longtemps. Ni à personne d’autre d’ailleurs. Mon frère a déjà assez honte comme ça, je n’ai même pas eu la force d’aller voir ma sœur et ma mère parlera de tout ça à mon père ce soir. Demain c’est sûr, je n’irai pas à l’église.

— On se voit bientôt, alors ? Ou pas, d’ailleurs.

Je ne sais pas comment partir sans avoir besoin de dire au revoir. Parce que je n’ai pas envie de lui dire au revoir.

— Prends ton temps.

Je finis par dire, avàt de me diriger vers l’arrêt de bus.

Même si c'est vraiment dur de ne pas le rattraper, je le laisse partir. J'ai beaucoup trop de choses dans ma tête ce soir, j'ai besoin de d'analyser, d'accepter. Mais quand je rentre à l'intérieur et que je tombe face à Madeleine, je me décompose car je comprends qu'elle a probablement entendu.

— Tu n'étais pas dans la buanderie ?...

Je demande en essayant de me rassurer.

— Je suis venue récuperer quelque chose.. tout va bien ?

Elle demande poliment, même si elle a parfaitement compris ce qu’il se passait, avec le peu qu’elle a entendu malgré elle.

Je secoue la tête parce que je ne peux pas lui mentir, ne rien dire c'est différent, mais cette fois elle me pose une question.

— Mais je l'aime.

C'est tout ce que j'arrive à dire, parce que malgré ce qu'il a fait je me rends compte que je l'aime toujours aussi fort.

— C'est une bonne personne.

Je ne sais pas ce qu'elle a entendu, mais je ne veux pas qu'elle ait une mauvaise image de lui.

Elle ne répond rien, si ce n’est qu’elle s’approche pour déposer un baiser sur son front.

— Peu importe l’issu, nous ne vous aimerons pas moins. Ni l’un, ni l’autre. Tu devrais aller te reposer un peu, tu as vraiment mauvaise mine. Et si tu as envie de discuter, je t’écouterai.

Je ferme les yeux quand elle embrasse mon front, ce geste me fait du bien. Je la remercie avant de descendre. Je passe la soirée à m'occuper de Darcy, je l'aide à faire ses devoirs et je lui prépare un repas. Tout ce que je peux pour ne pas penser, mais une fois qu'elle est couchée et que je me retrouve seul, tout me retombe dessus. Je l'imagine avec tous ces hommes, je ne peux pas m'empêcher de repenser à tous nos moments, quand il me mentait sur ses journées, quand il m'embrassait ou que l'on faisait l'amour alors que peut être une heure avant il était avec un autre. Je sais que penser à tout ça est du masochisme, mais c'est plus fort que moi, ça vient dans mon esprit tout seul. Une partie de moi me dit de partir, de le quitter car je n'ai plus confiance en lui, mais une autre partie de moi sait que je serais incapable de m'éloigner de lui.

Je n'ai pas fermé les yeux de la nuit. Je rejoins tout le monde dans la cuisine, on avait pris l'habitude de venir déjeuner ici avec Gabriel tous les dimanches matin avant d'aller à l'église. Il n'est pas là et je n'y arrive pas. Je récupère mes clefs de voiture, et je roule jusqu'à l'appartement. Il est tôt quand j'ouvre la porte.