Hasard.

Ça fait une semaine que je n'ai pas revu Gabriel, les mots qu'il m'a dit me hante. Je n'arrive pas à sortir ce rosier de mon esprit, l'idée qu'ils aient tous une rose me mal à l'aise. Une fleur fanée au milieu d'un livre ou sous du verre.

Une part de moi veut partir, veut quitter la ville, mais pour aller où ? Je n'ai personne, plus d'endroit, je ne me sens chez moi nul part, à part ici, et encore même ici je ne me sens pas ma place.

Je n'ai pas fait attention à l'heure, mais il fait nuit, assis sur un banc, je suis sorti de mes pensées par Balthazar qui fait la fête à mes pieds. Je fronce les sourcils et me lève pour le caresser en regardant autour de moi. Ils ne sont pas loin, je les vois, ce n'est pas le parc où ils se promènent d'habitude. J'hésite pendant une seconde à m'enfuir, mais je sais qu'ils m'ont vu, surtout avec Balthazar qui se frotte à mes jambes.

On sort pour promener Balti. Au début, j’arrêtais pas de râler parce que j’ai toujours eu l’habitude d’avoir un jardin et que j’avais l’impression que c’était une contrainte mais maintenant que c’est une habitude, j’adore ça. C’est un moment privilégié où on discute.

On a l’habitude d’aller au même endroit mais en ce moment le trottoir est en travaux et pour le chien c’est pas terrible alors on va ailleurs. On le lâche toujours un peu quand y a moins de monde et là ils foncent comme un fou.

« BALTHAZAR ! »

Je tire sur la main de Matthew pour qu’on se dépêche et je m’arrête net quand je vois qu’il court dans les jambes d’Austin. Merde. Je m’approche pour l’accrocher avec sa laisse.

« Désolé. »

Balthazar court comme un dingue et moi, ça me fait rire. Ce chien est tout le temps en mouvement, comme son maître, et ça m'a fait l'aimer tout aussi vite que lui.

— Pardon du dérangement. On le contrôle plus quand on le lâche un peu, faut bien qu'ils s'amusent aussi.

Je souris pour tout de suite entamer un discours avec le type et qu'il ne se braque pas. On ne sait jamais.

— Vous aimez les chiens vous aussi ?

Je me racle la gorge. Pourquoi est-ce que j’ai un mec aussi sociable.

— Mattie, j’te présente Austin. Et Austin.. Matthew, mon petit ami.

Gabriel arrive et lui remet sa laisse. Je regarde son mec bizarrement, jusqu'à ce que Gabriel nous présente. Je comprends qu'il n'a jamais vu mon visage, et qu'il ne doit plus y avoir de photos de moi dans l'entrée chez Madeleine et Paul. Je ne sais pas ce que Gabriel attend, mais je ne compte pas répondre que je suis enchanté, même par politesse.
Mais malgré tout je fais un signe de tête pour le saluer, avant de regarder Gabriel.

— Je ne savais pas que vous veniez ici.

Quand j'entends son prénom dans la bouche de Gabriel mon sang ne fait qu'un tour. C'est donc d'un type aux cheveux gras et qui fait 50 kilos a tout casser dont je dois me méfier ? Très bien. Je ne réponds pas à son signe de tête, et je fais même en sorte de rester calme en apparence. Mais je suis obligé de l'ouvrir quand il s'adresse à mon petit-ami, que je rapproche d'ailleurs de moi en passant un bras autour de sa taille.

— C'est bien la seule chose dont t'es pas au courant dans notre vie apparemment. Tu sais où on habite, où on promène notre chien, quand je suis là où non. Je m'attends presque à ce que tu saches quand on a envie aller pisser.

— Hey...

Je mets un gentil coup de coude à Matthew. Je n’aime pas vraiment qu’il pose ses couilles sur la table comme ça.

— Le chemin qu’on prend d’habitude est en travaux mais... la ville est pas bien grande alors..

Je pousse un souffle ironique sans le quitter des yeux, il a vite perdu son amabilité pour montrer un visage détestable.
L'attaque est la meilleure défense, et on attaque seulement quand on se sent en danger, comme le montre son geste quand il resserre Gabriel contre lui. Au fond ce n'est pas à lui que j'en veux, il défend son territoire. Non, ce qui me blesse c'est Gabriel, c'est la première fois de ma vie que je me sens trahi par lui. Il lui a parlé et vu ce qu'il vient de me dire, ce devait être loin d'être agréable à entendre. Avant c'était nous deux contre le monde entier, même si je sais que j'ai merdé en disparaissant, jamais le Gabriel d'avant n'aurait laissé quelqu'un me parler comme ça. Même si c'est injuste, je suis déçu par lui, et je crois que ça fait encore plus mal que d'être rejeté. Et quand je les regarde tous les deux, enlacés, ça me donnerait presque envie de vomir, mais pas par jalousie comme je l'aurais cru. J'ignore son mec, comme s'il n'existait pas.

— Comme tu dis, elle n'est pas bien grande.

Et je ne compte en partir finalement. J'ai grandi ici moi aussi, et j'ai autant le droit d'être là qu'eux, même si ça me fait souffrir. Puis je retourne m'asseoir sur le banc comme je l'étais avant que Balthazar arrive.

J'ai envie de dire à Gabriel que c'est pas de ma faute si son ex est flippant à nous épier, mais je vais encore avoir tort alors je la ferme. Je préfère qu'on s'engueule chez nous que devant lui.

Mais à l'évidence ça ne va pas durer longtemps, comme il repart s'asseoir comme si rien ne s'était passé.

— Il a un problème comme garçon.

Je me contente de dire en le regardant faire. J'ai rien compris à ce qu'il vient de se passer.

C’est la situation la plus étrange du monde et ça me peine presque de vivre ça. Moi, j’ai rien demandé à personne et aujourd’hui j’arrive à me sentir coupable d’avoir avancé malgré tout et d’avoir un passé, tout ça en même temps.

Austin retourne s’asseoir sur mon banc et ça m’inqui De le voir comme ça. Mais qu’est-ce que je peux faire ou dire que Matthew n’interprèterait pas de travers ?

— Bon bah... bonne soirée.

Je tire sur la laisse de Balthazar, la boule au ventre, et je repars dans l’autre sens. J’ai hâte de rentrer et de m’embrouiller avec Matthew parce que je le connais, je sais que ça me pend au nez.

J'attends d'entendre leurs pas s'éloigner pour relever la tête. Je les regarde s'éloigner. Et ça me broie le coeur de voir Gabriel tenir quelqu'un d'autre que moi par la taille, voir cet homme tenir la laisse de Balthazar. Le voir être à ma place. J'ai envie de hurler, de crier à Gabriel que je suis désolé de l'avoir abandonné, que je l'aime toujours autant et qu'il doit revenir. Que c'est nous deux et personne d'autre comme ça l'a toujours été. Mais même si je lui hurlais à plein poumons que je suis amoureux de lui à en crever, il ne l'entendrait pas car maintenant j'ai l'impression que c'est à peine si j'existe pour lui.

On s'éloigne tous les deux, mon bras autour de la taille de Gabriel, au cas où Austin est toujours en train de nous regarder.

On marche en silence, c'est un peu pesant, mais sans être à la maison je ne dirais rien. Alors quand on arrive enfin, je n'attends même pas une seconde. Ou si, juste le temps d'enlever la laisse de Balthazar.

— Tu m'as fais quoi là ?

Allez, comme prévu, il pète directement un câble. Parfois j’aime bien qu’il soit jaloux. Parfois pas du tout.

— C’est toi, qu’est-ce que tu m’as fait ? T’as besoin d’être sur la défensive comme ça ?

— Mais tu te fous de ma gueule ? Tu t'attendais à ce que je lui serre la main en souriant ?

Je demande, alors que ça me semble évident que j'allais pas bien réagir.

— Et pardon, mais j'ai pas l'impression que tu realises que t'as défendu ce mec plutôt que moi !

— Je te demandais pas d’agir comme son meilleur pote, franchement ! Et c’est même pas que je l’ai défendu c’est juste que j’avais pas envie d’une embrouille !

Je soupire bruyamment.

— Tu veux pas comprendre que cette situation me chamboule ? Putain mais ça me ramène trois ans en arrière ! Quand je le vois, je pense à Darcy ! C’était comme ma petite sœur.

Rien que d’en parler, ma gorge se serre.

— Et lui il nous a planté parce qu’il a pas supporté sa perte. Quand je me vois je suis en colère. J’ai de la peine pour lui, pour moi, pour tout le monde. Ma vie s’est arrêtée pendant six mois quand il a disparu et le fait qu’il soit là à nouveau... putain mais ça s’explique même pas ! Il est vivant et il va bien. Il nous a juste abandonné. Ça change encore tout. Je vois qunil est au fond du gouffre. Il a dû perdre 15 kg. Quand il est parti j’en étais amoureux, tu comprends ? Alors même si ça a changé aujourd’hui, c’était mon meilleur ami. J’ai toujours été très seul, tu le sais. J’avais que lui. Et il est là al nouveau. Et c’est pas que je t’aime moins ou que je vais partir. C’est juste qu’il est là. C’est tout. J’arrive pas à expliquer ce que je ressens parce que je suis paumé. Je voulais simplement éviter une dispute de gamins de 12 ans. J’essaie de savoir où j’en suis. Aide-moi au lieu d’agir comme un imbécile.

Sa gorge se serre à chaque phrase et sans hésiter une seconde, je viens le prendre dans mes bras. Tant pis pour ma colère, sa peine passe avant.

— Je sais qu'il était tout pour toi, et si tu m'as jamais vraiment parlé de lui, c'est arrivé que ton frère et Logan le fasse quand on a commencé à se fréquenter. Histoire d'être sûrs que je me foutais pas de ta gueule. Et si c'était pas le cas, ça l'est toujours pas aujourd'hui.

Je lui avoue, sans le lâcher.

— Je suis amoureux de toi Gabriel. Et forcément que quand ton ex débarque, qu'il te suit à la trace certainement avec l'envie de te récupérer et que je te vois aussi désemparé face à lui, j'ai peur. J'ai peur parce que j'ai beau vouloir t'offrir la meilleure vie du monde, s'il se trouvait que tu ressentes toujours quelque chose pour lui, je pourrais rien faire d'autre que me battre pour toi ! Et je le ferais s'il le faut, mais au fond de moi j'espère tellement que tu m'aimes assez pour pas avoir besoin d'en arriver là.

Même moi qui n'ai pas peur de m'ouvrir, je suis rarement aussi direct et sincère.

— Je suis là pour toi, pour te soutenir et pour t'écouter. Pour t'épauler. C'est ça aussi mon rôle. C'est pas seulement d'etre une tuerie au lit.

Je souris en espérant le voir faire de même.

J’esquisse un pâle sourire. Finalement, il ne s’énerve pas et ça me fait du bien. J’ai pas du tout envie d’en rajouter une couche.

— J’ai juste besoin de diriger ce qu’il se passe. Mais c’est avec toi que je vis et j’avais beau l’aimer comme jamais... je crois que j’arriverai jamais à lui pardonner ce qu’il m’a fait. Moi aussi j’ai perdu Darcy. Moi aussi j’avais besoin de lui. Mais il a estimé que sa peine était plus grande ou j’en sais rien... je sais pas. J’ai perdu deux personnes et j’arrive pas à passer l’éponge.

Je hausse les épaules en pinçant les lèvres.

— Ce qu'il a fait était égoïste. Pour toute votre famille, mais encore plus pour toi. C'est normal que tu sois encore en colère même après trois ans.

Même si je ne peux pas me mettre à sa place, c'est évident.

— C'est dur de faire le deuil d'etres aussi chers, mais t'as réussi à te relever Gabi et c'est la preuve d'une force que tu sous estimes encore. Personne te demande d'oublier, tu dois juste apprendre à vivre avec, et qui sait pardonner à Austin.

Je soupire, ça m'arrache la gueule de l'avouer.

— Mais ça veux pas dire t'enfuir avec, d'accord ?

— Pour l’instant, j’ai pas envie de pardonner. Je suis fatigué de cette situation.

Je me reblottis contre lui.

— Je vais m’enfuir avec personne. Je ne vais même pas m’enfuir du tout. Je comprends que tu ne sois pas trop à l’aise avec la situation mais franchement, pas besoin de montrer que t’as pas confiance en moi.

— C'est pas en toi que j'ai pas confiance...

C'est en ma capacité à le rendre entièrement heureux. Ou du moins, autant heureux que cet Austin semblait le faire.

— On va se coucher ? Devant un bon film ? On sera plus à l'aise sous la couette que sur le canapé.

— T’es sérieux ? Genre c’est pas que t’as pas confiance et on va se coucher et on en parle plus ? Tu me fais quoi là ? T’as quel âge rappelle-moi ?

— Bah je sais pas, c'est pas toi qui a dit que tu voulais pas d'embrouille comme des gamins de 12 ans ?

Je demande en m'eloignant de lui.

— Tu veux que je te dise quoi ? Que j'ai la rage que devant lui tu m'ai fait passer pour un con ? Que j'ai la rage que tu realises même pas que ouais, pardon, mais il a une case en moins parce que, OUI, il nous as epié putain ! Excuse moi, je veux bien être gentil, essayer de te comprendre et faire toutce que tu veux, mais justement j'ai trente piges. Et je suis pas l'abruti que tu vas mener en bateau et tenter de pousser à bout pour passer ta rage contre Austin.

Je réponds sans pour autant m'énerver.

— Alors soit t'accepte qu'on pense pas pareil et que moi j'ai pas confiance en Austin, et tout se passe bien. Soit tu continues de te dire que le pauvre il a perdu 15 kilos, qu'il vaux mieux être gentil avec lui malgré le fait que cet enfoiré ai abandonné toute ta famille et si c'est ça, bah tu vas te coucher tout seul et moi je dors sur le canapé. Comme ça t'auras tour le loisir d'y réfléchir sans que je te dérange. Ça te va ?

Même si je ne le montre pas, je préfère ça. Je préfère qu’il s’énerve et qu’il me dise les choses. Si je veux qu’on me caresse dans le sens du poil, j’ai mon frère pour ça. C’est aussi pour ça que j’aime Matthew. Parce qu’il hésite pas à me pourrir, à me faire pleurer et qu’il est le seul qui me fasse plier, parfois. Matthew s’en fout de me brusquer et c’est le seul. C’est pour ça que je sais qu’il m’aime et qu’il sait que je l’aime. Parce que peu importe ce qu’il me dit, je reviens toujours vers lui parce que je sais que ce n’est pas pour me blesser, que c’est juste parce que c’est ce qu’il pense et que tant pis si je ne suis pas content. Si on s’aime, ça ne change rien. Et, en effet, ça ne change rien qu’on ne pense pas pareil.

Puis il est beau, ce con. Surtout quand il est agacé comme ça. Il est vraiment, vraiment beau. J’en suis dingue. Mais j’suis un con et tout le monde le sait.

— Bah tant que c’est moi qui aie la chambre, je m’en fous.

Je dis avant de lui tourner le dos pour traverser tout le salon jusqu’à la chambre.

Il tourne les talons et j'ai envie de lui faire une balayette. Mais je me contente de crier avant qu'il ferme la porte.

— Fais attention, peut-être qu'Austin sait déjà qu'on dort pas ensemble et que quand tu vas te réveiller, il aura escaladé la façade pour te regarder dormir comme un pervers !

— PAUVRE CON PARANOÏAQUE !

Je hurle à travers la porte. Après quelques secondes, je rouvre la porte.

— Balthazar !! Viens !

Mon chien arrive comme un fou et il saute directement sur le lit. Je referme la porte en la claquant. C’est même pas une vraie dispute, ça n’a aucun sens. Mais je sais qu’il n’est pas aussi énervé qu’il le laisse entendre.