Croyance.

Ça fait maintenant environ trois semaines que je travaille à l'église. En ce moment on prépare les décorations pour le spectacle des enfants. Je sais que Darcy devrait être en cinquième, mais quand elle était petite elle a participé pratiquement à tous ces spectacles. Dans mes souvenirs maman n'est venue la voir qu'une fois, elle n'était jamais assez sobre pour venir assister à ses représentations. Ça n'a pas d'importance, j'étais toujours là et je le serai toujours. Je suis en train de discuter avec l'un des organisateurs quand je vois Jenny arriver. Il termine rapidement de m'expliquer ce qu'il nous reste à faire, puis je le salue d'un signe de tête avant de la rejoindre.

— Hey. Je ne m'attendais pas à te voir ici, tu as fini plus tôt ?

Quand j’arrive à l’église, Austin est présent comme je m’y attendais. J’ai l’impression qu’en ce moment il est ailleurs. Quelque chose ne va pas et ça me chiffonne de le voir comme ça. Alors j’essaie de passer un maximum de temps avec lui. Comme pour rattraper le temps perdu.

— Je devais faire un remplacement mais finalement non alors... j’me suis dit que j’allais venir voir où en était la fête des fleurs.

Je m’approche pour le serrer brièvement dans mes bras.

— Ça avance ?

Je dépose mon sac sur un banc derrière moi.

Je me suis habitué au fait qu'elle me prenne souvent dans ses bras ou que par moment elle m'embrasse sur la joue. C'est nouveau, car quand on était en couple elle n'était pas comme ça, nous n'étions pas énormément démonstratifs l'un envers l'autre. Je hoche la tête.

— On a presque terminé les décorations.

Je lui fais signe de me suivre. Je l'emmène dans une pièce derrière l'autel où l'on a tout entreposé. Il y a des faux arbres qui semblent vraiment réalistes, des décors en papier mâché. Il y aussi les costumes des différentes classes.

— Tout n'est pas encore prêt, il faut que je repeigne encore les arbres, et vendredi matin on installera tout.

Je regarde tout le travail qu’il a abattu en quelques semaines seulement, c’est impressionnant.

— C’est magnifique. Darcy aurait adoré ça. Surtout l’arbre avec les fleurs violettes là.

Je regarde l'arbre qu'elle me montre et je hoche la tête pour confirmé.

— C'était sa couleur préférée.

C'est pour elle que je l'ai fait cette couleur et ça me fait plaisir qu'elle s'en rende compte. Je me retourne vers elle.

— Tu veux m'accompagner vendredi soir ?

J’acquiesce.

— Ouais, bien sûr ! Et tu rentres maintenant ou t’as un peu besoin d’aide ? Quitte à rien faire...

Je lui souris. J’aime passer du temps avec lui.

— Hm.

Je hoche la tête. Ici il y a toujours du travail à faire, encore plus quand il y a des événements comme celui là. On s'installe tous les deux à la grande table.

— Il faut qu'on colle toutes ces plumes sur les costumes.

Normalement ce n'est pas réellement à moi de faire ça, mais j'ai besoin d'être occupé, comme à l'époque où même quand je n'avais pas besoin de travailler, je le faisais quand même. Par moment je m'arrête pour la regarder.

— Tu fronces toujours le nez quand tu es concentrée.

Quand je vois toutes les plumes, je pense qu’on en a pour la nuit mais ça ne me dérange pas, au fond. J’ai vraiment beaucoup sa compagnie. Je relève la tête quand il me parle.

— Ah oui ?

Je souris.

— Je ne m’en rends pas compte.

Y avait que lui pour remarquer ce genre de chose. Puis il a décidé de se mettre avec Gabriel alors...

— T’as revu Gabriel depuis que t’es rentré ?

On ne parle pas trop de ça, comme si c’était un sujet tabou. Mais je ne comprends pas ce qu’il fait avec moi alors que Gabriel est certainement encore en ville.

Je la regarde plusieurs secondes.

— Oui, plusieurs fois.

Puis je baisse les yeux sur les plumes que je recommence à coller.

— Mais c'était une erreur.

— Oh.. et... je peux te demander pour c’est une erreur ?

Je me mords la lèvre, je cherche mes mots parce que ça reste dur pour moi d'en parler. Ça fait tout juste une semaine que je l'ai croisé dans la supérette du centre ville.

— En revenant ici j'avais l'espoir de le retrouver, mais...

Je soupire et je relève les yeux vers elle.

— Ce n'est plus le même.

Je fronce les sourcils.

— Comment ça ?

Ce soir-là, le soir où il m'a annoncé qu'il était fiancé, après que Darcy ait terminé de manger ses pâtes, quand elle a été se coucher et que je me suis retrouvé de nouveau de tout seul, j'ai retourné beaucoup de choses dans mon esprit. J'ai repensé à chacune de nos rencontres, au début j'ai cru que s'il était aussi distant c'est parce qu'il m'en voulait d'être parti, que je l'avais fait souffrir. Peut être que ça a été ça aussi début, peut être que c'est ce qu'il a ressenti pendant les premiers moments. Je pensais qu'il avait besoin de temps pour accepter mon retour, je n'attendais rien de lui, je n'attendais pas que tout redevienne comme avant, même si je l'aimais toujours, je n'espérais pas qu'il quitte l'homme avec qui il est, pour moi. Avant tout on était meilleurs amis. J'espérais qu'il tienne encore un peu à moi, mais la semaine dernière j'ai réalisé que je me mentais à moi-même. On s'est vu plusieurs fois et pas une seule fois il ne m'a demandé comment j'allais, pas une seule. Ce n'est peut être qu'un détail, mais ça m'a aidé à ouvrir les yeux. Il ne me l'a pas demandé parce qu'il était blessé ou en colère, mais tout simplement parce qu'il s'en foutait. Il n'a pas fait semblant de ne pas s'intéresser à moi pour me faire payer d'être parti, c'est juste que ça lui était égal. Je revois son regard dédaigneux la première fois que je l'ai revu, à me proposer de l'argent comme si j'étais un mendiant croisé dans la rue. J'ai repassé toutes nos rencontres dans ma tête, comme des images et j'ai réalisé qu'à chaque fois il n'avait pas envie de me voir. Peut être parce que ça lui faisait mal, mais surtout parce qu'il n'en avait pas envie et que ça le dérangeait dans sa nouvelle vie. Gabriel n'a plus aucune considération pour moi, j'ai mis du temps à le comprendre et c'est douloureux mais c'est comme ça. Je ne suis plus rien pour lui. Lui a eu droit à l'erreur quand on était ensemble, mais moi non. Et il a tout effacé de nous.

Je colle une autre plume.

— Il a refait sa vie. J'étais attaché à un souvenir qui n'existe plus.

— Mouais.. ou qui a toujours existé et que finalement tu découvres.

Je dis dans un souffle.

— Il a toujours été égoïste et pas toujours... agréable.

Moi, je ne m’entendais pas avec lui. J’ai essayé plusieurs fois mais je le gênais dans sa relation avec Austin. C’est mieux pour Austin, au fond. Même si c’est triste, parce que je vois que ça le peine.

Avant j'aurais pris immédiatement la défense de Gabriel, tout comme je prenais immédiatement celle de Jenny quand l'un ou l'autre faisait des remarques, mais aujourd'hui je ne sais plus. Je n'ai pas envie de croire qu'elle peut avoir raison, car malgré tout je tiens toujours à Gabriel et qu'il ne peut pas être comme ça. Mais je suis perdu car je ne le reconnais plus. J'essaie de lui sourire, mais je crois que je n'y arrive pas.

— Ça n'a plus d'importance, il est fiancé maintenant.

Mais je crois que même sans ces fiançailles ça n'aurait rien changé. Gabriel ne veut plus de moi dans sa vie, peu importe la façon.

Ça valait la peine d’en faire tout un foin pour l’obtenir. Mais bon, je ne dis rien. Je vois bien qu’Austin est peiné et Gabriel ne le mérite pas. Il ne l’a jamais mérité.

— Si jamais t’as des choses sur le cœur ou l’envie d’en parler, je t’écouterai.

Je glisse quand même avant de reprendre le collage de plumes.

— Toi aussi.

Je réponds sincèrement. Et j'espère qu'elle sait qu'elle peut se reposer sur moi maintenant. Quand on quitte enfin l'église, la nuit est tombée depuis un moment.

— Ça te dit d'aller dîner au Palais Impérial ?

Elle a toujours aimé ça, mais on y allait rarement avant car c'est un buffet à volonté et que c'était des risques de manger trop calorique pour nous, mais nous ne sommes plus des sportifs maintenant.

L’espace d’un instant, je réfléchis à l’argent que j’ai encore de côté : je peux faire un écart.

— Ouais, carrément. J’y suis pas allée depuis un millénaire. Ça va être super !

J’attrape son bras pour traverser la rue et j’y reste accroché.

— T’as plein de choses à faire à l’église du coup ? Tu m’as pas dit ce que tu faisais vraiment ?

Je pose ma main sur son bras et on traverse la route. Le restaurant n'est pas loin et c'est plus facile d'y aller à pied qu'en voiture.

- Je m'occupe un petit peu tout. Les petites rénovations, la peinture, les plomberies. Hier j'ai aidé le mécanicien a réparer le bus qui appartient à la paroisse. Il m'arrive aussi d'aller chercher les personnes de la maison de retraite quand elles ont des ateliers.

De tous les petits boulots que j'ai pu faire, je crois que c'est celui que je préfère car je me sens vraiment utile.

— Ah c’est chouette ! T’es toujours occupé, en fait. Ça passe vite.

Finalement, lui qui n’aimait pas aller à l’église, j’ai l’impression qu’il s’y sent à sa place aujourd’hui.

— Tu vois souvent Madeleine, du coup ?

Je ne connais pas de personne plus impliquée dans la paroisse que la mère de Gabriel.

— De temps en temps, mais elle est là moins souvent qu'avant, elle profite beaucoup de ses petits enfants.

Je lui ouvre la porte du restaurant, et immédiatement l'odeur m'envahit, comme un souvenir. J'ai l'impression que de cette ville, tout me rappelle quelque chose, quand je ne m'y attends pas.

— Elle en a beaucoup ?

Je demande en entrant. Naturellement on va s’asseoir dans un coin et le serveur vient nous apporter une carafe d’eau en nous annonçant qu’on peut aller se servir au buffet.

Je remercie le serveur d'un signe de tête et me reconcentre sur elle.

— Marie a eu un petit garçon en plus des jumelles, et Adam et Logan ont adopté des jumeaux, une fille et un garçon et il y a aussi la fille ainée de Logan.

— Oh wow, la vache. En effet.. la famille s’est agrandie.

Je suis vachement surprise.

— Je crois que je ne sais même pas qui est Logan.

Je fais une petite grimace, car si elle ne connait pas Logan, le mari d'Adam, en revanche elle connait Logan, mon ancien kinésithérapeute, qui était marié à une femme. Elle avait même était le voir deux ou trois fois quand la sienne était en vacances.

— Tu te souviens de Logan Wheeler, mon ancien kiné ?