Tu m'aimes plus ? — Darcy, Gabriel & Austin

Le lendemain matin j'ai récupéré Darcy, et on n'a plus remis les pieds chez les Saint-Clair depuis une semaine. C'est la première fois en 17 ans qu'on reste autant de temps séparés Gabriel et moi. C'est dur, c'est vraiment dur. Je ne sais pas comment gérer ça. Il me manque, c'est affreux. Depuis toujours il est tellement présent dans ma vie, que j'aurais jamais imaginé qu'il en disparaisse un jour. Je n'aurais jamais pu imaginer que je pouvais le perdre.

Darcy et moi on se retrouve seuls tous les deux. Maman n'est pas rentrée depuis plusieurs jours. Elle a rencontré un nouveau mec, un bon à rien qui est aussi alcoolique qu'elle, et elle passe tout son temps chez lui. Ce n'est pas plus mal. C'est les vacances de Noel, heureusement notre voisine garde Darcy la journée pendant que je vais travailler. J'ai réussi à trouver un contrat de quinze jours à la supérette du coin.

— Pourquoi on va plus chez tatie Maddie ?

Depuis qu'elle sait parler, elle a toujours appelé Madeleine comme ça. Sa question me sort de me pensées alors que je range les courses que j'ai été faire, pendant qu'elle dessine assise sur la table de la cuisine.

— Parce qu'on s'est fâchés Gabriel et moi.

Je lui dis toujours la vérité, dans la mesure du possible.

— Pour toujours ?

Je lui souris tristement. Puis je la rassure en lui disant que tout va bien se passer et on parle de plein de choses.  

Vers 13h après le déjeuner je la dépose chez Mme Baker, avant de partir travailler.


**********
DARCY. 16H.

Assise sur le tapis dans le salon de Mme Baker, elle joue avec ses poupées. La vieille dame s'est endormie. Sans faire de bruits, avec des gestes maladroits, elle remet son manteau rose, son bonnet, son écharpe et ses moufles. Elle quitte la maison de Mme Baker et elle récupère son petit vélo rose avec des volants qui pendant aux poignées. Elle installe doudou dans le petit panier et elle part. Heureusement il ne neige pas aujourd'hui. Elle se rend à la maison des Saint-Clair mais il n'y a personne. Elle réfléchit, elle sait qu'Austin l'emmène souvent au parc avec Gabriel parce que c'est là où vont tous leurs amis. 20 minutes après elle y arrive et elle sourit quand elle voit Gabriel au loin avec plein de copains. Elle a froid et le bout de son nez et rouge. Elle pédale jusqu'à eux.

J’ai passé une semaine affreuse ; autant parce que j’ai tout gâché en étant honnête et en pensant que rien ne changerait, que parce que j’ai été malade comme un chien. Je suis monté à 40 de fièvre plusieurs reprises et, pour une fois, ça ne m’a pas dérangé que ma mère reste à côté de moi.

Aujourd’hui, elle a bien voulu que je sorte faire quelques courses alors je suis rapidement passé au parc. Mais juste pour voir si Austin y serait aussi. Il n’est pas là alors je donne vite fait de mes nouvelles et je m’apprete à partir quand je vois Darcy arriver toute seule.

— Hey.. mais t’as pas le droit de prendre ton vélo toute seule !

Je cours jusqu’à elle et j’ignore les autres.

— Il fait froid, tu vas tomber malade.

Je m’approche pour mettre sa capuche par-dessus son bonnet. Et je la serre dans mes bras un moment.

— Ma mère va bientôt rentrer de la paroisse. On ferait mieux de rentrer.

Je sors immédiatement mon portable pour écrire un bref message à Austin.

SMS : Darcy est avec moi. Mme Baker a encore dû s’endormir Quoi que tu fasses, ne te presse pas, ma mère sera heureuse de la voir.

J’envoie et je réalise que c’est la première fois depuis la forêt que je prends contact avec lui. Instantanément, je me souviens et, instantanément, j’ai peur qu’il m’envoie de nouveau chier.

Gabriel vient tout de suite vers elle. Elle sourit même s'il la gronde car il lui fait un câlin. Mais quand elle le voit prendre son portable, elle s'inquiète.

— Tu dis à Austin ?...


*****
PENDANT CE TEMPS LÀ.

Mme Baker m'a appelé il y a 10 minutes, Darcy a disparue. J'ai quitté le travail précipitamment, j'ai essayé de l'appeler mais en partant tout à l'heure on a laissé son portable charger à la maison. Je ne pensais pas qu'elle aurait pu en avoir besoin. Je suis repassé à la maison, son vélo n'est plus là. Je suis complètement paniqué, c'est la première fois qu'elle fugue comme ça. Je tourne dans la rue, en voiture en essayant de regarder partout quand je reçois le message de Gabriel. Je le rappelle immédiatement. Je parle vite, sans m'en rendre compte.

— Elle est avec toi ? Elle va bien ? Vous êtes où ? Vous êtes chez toi ?

— Bien sûr que oui, je le préviens. Il va avoir peur s’il apprend que tu n’es pas là et qu’il te cherche.

Je n’ai même pas le temps de lui prendre la main pour la ramener chez moi qu’Austin appelle. Il est complètement paniqué.

— Oui, elle est avec moi. On est au parc. Tout va bien.

— J'arrive.

Je raccroche et c'est là que je réalise que je tremble, tellement j'ai eu peur.

*****
Austin ne sera là que dans une quinzaine de minutes.

— Mais il va me gronder...

— Bah.. c’est une bêtise, ma belle. C’est dangereux. T’es trop jeune pour sortir seule comme ça.

Même si ça craint rien ici. J’avais envie de rentrer chez moi mais apparemment, il arrive au parc. J’ai le nez en patate et je commence à avoir chaud et mal à la tête.

— Pourquoi tu es sortie ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle baisse les yeux honteuse parce qu'elle sait que c'est une bêtise, mais son grand frère est triste tous les jours.

— Tu m'aimes plus ?...

Elle demande avant ses grands yeux verts qui brillent.

— Quoi ? Mais bien sûr que si ! Qui t’as dit ça ? T’es toujours ma petite princesse.

Je dis en la prenant contre moi.

Il a prend contre lui, elle a presque envie de pleurer.

— Austin il a dit que je peux plus venir dans ta maison parce que c'est compliqué...

— Austin il est bête parce que c’est pas parce que lui et moi on s’est disputés que tu dois être punie aussi. T’as le droit de venir chez moi encore, ma mère te garde quand tu veux. Et Austin il vient quand il veut aussi.

Et quand je le vois arriver au loin, ça me tord le ventre. J’aide Darcy à reprendre son vélo.

— Allez, fonce vite !

Elle pédale vers lui et je le regarde quelques secondes avant de commencer à marcher vers l’arrêt de bus. De toute façon, s’il prive même Darcy de venir chez nous, c’est que je le dégoute à ce point-là et qu’il n’a plus du tout envie de me fréquenter. Ce que je comprends.

— Toi aussi t'es triste ? Austin il est tout le temps triste, pourquoi vous êtes plus amis ?

Elle demande.

Mais il n'a pas le temps de lui répondre, qu'elle voit son frère arrive.

******
Je les aperçois au loin. Je saute presque de la voiture.

— Darcy !

Elle finit par abandonner son vélo et court vers moi. Je la soulève et la prend dans mes bras en embrassant plein de fois son front.

— Pourquoi tu as fait ça ? Tu as pas le droit, tu le sais, tu n'as pas le droit de partir comme ça.

Je n'arrive pas à la gronder vraiment tellement j'ai eu peur et tellement je suis soulagé.

— J'étais avec Gabiriel.

Elle me montre GabIRIEL du doigts, il se dirige vers l'arrêt de bus.

— Il a dit que j'étais sa princesse, et qu'il m'aimait toujours. Moi je veux le voir.

Je la regarde quelques secondes avant de soupirer, Darcy toujours dans les bras, je le rattrape.

— Gabriel attends.

Austin me rappelle et devant Darcy, je n’ai pas envie de jouer à l’imbécile alors je m’arrete et je me tourne vers lui avec ma tête de cadavre. Une semaine queje ne suis pas allé en cours et c’est toujours aussi douloureux de le voir.

— Oui ?

Quand je croise son regard, je sens la boule dans mon ventre que j'essaie de refouler depuis une semaine, se reformer.

— Tu es malade ?

C'est tout ce que j'arrive à dire.

Je hoche la tête.

— Ma mère m’attend. J’ai pas envie de traîner.

J’ai conscience que, dans ma bouche, ça sonne étonnement bizarre, mais pour une fois, je ne mens pas. Je sens que j’ai envie de voir ma mère, parce que j’ai mal et que ça me ronge. J’ai envie qu’elle me cuisine un truc à manger parce qu’elle est douée pour ça. Et j’aimerais la retrouver avant d’avoir un nouveau pic de fièvre.

— T’sais.. j’sais bien que j’aurais pas dû te dire ça l’autre soir, mais... ce que tu fais, c’est méchant. Ma mère garde Darcy depuis qu’elle est bébé et elles y peuvent rien si j’suis pédé. Toi non plus d’ailleurs. Et me punir pour ça, c’est franchement horrible. T’avais qu’à répondre que toi tu m’aimais pas d’amour et j’aurais compris. Ça arrive. On peut rester ami quand même. Mais si t’as pas envie qu’on reste ami, je peux comprendre. C’est juste.. est-ce que tu pourrais au moins faire semblant pour ma famille ? T’as qu’à dormir dans la chambre d’ami comme c’est prévu depuis toujours et puis... c’est pas grave, j’veux dire. Je vais m’en remettre, passer à autre chose. Mais nous puni pas simplement à cause de moi car c’est pas juste. Vous n’êtes même pas venus à l’office de dimanche matin alors... enfin bref. C’est tout ce que je voulais dire.

Je l'écoute parler et je le trouve injuste, il n'a rien compris. Il ne m'a même pas laisser avoir le droit de réagir. D'assimiler ou de réaliser.

— C'est quoi pédé ?

Demande Darcy.

— Un gros mot, tu dois pas le répéter.

Je reporte mon attention sur lui.

— C'est toi qui m'a dit de-

Mais je me coupe.

— Je te raccompagne et on pourra discuter.

Je ne veux pas parler de tout ça devant ma soeur. D'ailleurs ses yeux se mettent à briller.

— On va chez toi ? Dans ta maison ? On peut ?

J’allais dire non, mais Darcy semble tellement heureuse que je hausse les épaules.

— Oui, c’est l’heure du goûter en plus.

Mais je sais qu’il n’y a plus rien à dire alors que c’est inutile de continuer la conversation.

On rejoint le pickup, j'installe Darcy entre nous et je l'attache. Le silence est lourd.

— Pourquoi tu punis Gabiriel ? Pourquoi tu veux plus être son ami.

Face aux questions de Darcy j'en veux à Gabriel, c'était puéril de dire toutes ces choses devant elle. Elle n'a que sept ans.

— C'est des histoires de grands Darcy.

Quand Darcy pose ces questions, je sens qu’Austin m’en veut encore plus et ça me tord l’estomac. Je ne sais pas pourquoi je m’inflige d’être avec lui alors que j’ai honte d’être moi en sa présence. Ça n’était jamais arrivé avant, mais pour la première fois depuis longtemps, j’aimerais être normal.

On arrive rapidement chez moi et, comme ma mère nous voit nous garer, elle sort tout de suite. Elle fait un énorme câlin à Darcy, alors qu’elle me jette un œil.

— Ça va pas ?

Je secoue la tête. Je m’approche et, quand elle touche mon front, elle fait la moue.

— Tu n’aurais pas dû sortir aussi longtemps. Va te coucher.

Moi, je n’insiste pas et je file dans ma chambre pour me glisser sous ma couette pendant que maman ramène les enfants qu’elle aurait préféré avoir dans la maison, pour les faire goûter.

L'ambiance est lourde dans la voiture. Quand on arrive, Darcy se détache et escalade carrément Gabriel pour descendre avant lui et courir vers Madeleine. Elles ont l'air tellement heureuses de se retrouver que ça me fait un pincement au coeur. Je suis tout le monde à l'intérieur, je regarde Gabriel monter à l'étage. Je me retrouve face à Madeleine et c'est la première fois que je suis mal à l'aise comme ça. Je ne sais même pas si elle est au courant, je ne sais rien. Darcy est collée dans ses jambes.

— Je... je vais monter le voir.

— D’accord, pas de problème. Ça lui fera plaisir de te voir, il est à peine sorti cette semaine. Il n’est pas très en forme..

Elle semble inquiète.

— Peut-être que tu pourrais lui demander ce qui ne va pas ? Il ne nous parle plus...

Je comprends qu'il ne lui a rien dit et pour ne pas lui mentir, je hoche seulement la tête. Je rejoins l'étage à mon tour, je frappe à la porte. Il est déjà allongé dans son lit. Je referme derrière moi.

— Pourquoi tu as dit toutes ces choses fausses devant Darcy ? Pour te venger ?

Je n'arrive même pas à être en colère.

Je ne prends même pas la peine de me tourner vers lui.

— Pardon.

Parce que de toute façon, pour lui, tout est de ma faute et il subit simplement mes déviances. J’crois que la religion a raison. Je devrais arrêter de penser qu’etre Avec un garçon me plaît aussi. C’est pas vrai.

— Je pensais pas qu’elle écoutait.

Je regarde sa chambre autour de moi, c'est la première fois que je me sens mal dans cette pièce.

— C'était faux. Tout ce que tu as dit dans la voiture, c'était faux.

Je reporte mon attention sur lui.

— C'est toi qui m'a dit d'oublier ton existence.

— On n’a plus 12 ans, Austin.

Je soupire et je me tourne vers lui, cette fois-ci. Il semble perdu et ça me peine autant que c’est douloureux de le voir ici alors qu’il n’a pas envie de l’être.

— Tu sais très bien que c’était pas au sens littéral que j’ai dit ça alors c’est pas utile de transformer en drame un truc qui ne l’est pas pour toi. T’es pas une victime. Ta vie ne change en rien. C’était pas la peine de ne plus venir ou...

Ma gorge se serre sans que je ne me l’explique. C’est agaçant.

— C’est pas grave si je suis qu’un ami pour toi. Ou qu’un frère.

Je ne peux pas m’empêcher de repenser à ce qu’Adam m’a dit ; apparemment, j'étais le seul à ne pas le considérer comme mon frère et le fait de le réaliser me brise le cœur.

— Ce que je veux dire c’est que tu dois pas t’empêcher de venir chez moi à cause de ma présence. De toute façon..

Je ne termine pas ma phrase. De toute façon, peut-être que je vais partir. Ce serait plus facile pour tout le monde – et sans être dramatique pour une fois.

— Je vais aller mieux. Je vais me trouver une copine et ça ira bien. T’as pas à changer ton comportement.

— Je ne me victimise pas Gabi, même si tu ne le pensais pas, c'était dur à entendre.

Quand il dit que ma vie ne change en rien, je réalise que lui ne réalise pas justement. Je m'assoie sur sa chaise de bureau.

— Bien sûr que si, ma vie va changer, ne dis pas n'importe quoi. Tu es mon meilleur ami depuis toujours et du jour au lendemain tu m'annonces que tu es amoureux de moi et rien de devrais changer ? Putain mais tu réalises pas comment c'est flippant pour moi. Je ne sais même plus comment me comporter avec toi, j'ai peur de te faire souffrir. Je ne sais même pas ce que j'ai fait, si j'ai pu sans le vouloir te donner de faux espoirs. C'est parce que je dors souvent avec toi ? Je ne sais même pas ce que tu attends de moi. Je comprends pas, je comprends pas ce qui a fait que...

Je n'arrive pas à trouver les mots.

— Je comprends pas ce que j'ai fait. Mais j'ai peur de tout perdre, de perdre Madeleine, ton père, Adam. J'ai peur de te perdre toi.

Et me retrouver seul, mais ça s'est trop dur pour le dire à voix haute.