Quand la vie te malmène. — Adam & Gabi & Logan

Il est 18 h 30, nous sommes vendredi et, comme depuis des semaines, je suis forcé d’assurer le cathéchisme pour ces petits abrutis de CM2. Ils faisaient trop chier ma mère – une fois, ils l’ont fait pleurer – alors j’ai pris le relais et j’les explose chaque fois que je peux. Ces merdeux ne bronchent plus et ils vont aimer Jésus autant qu’ils ont aimé faire chier ma mère. D’après le père Victor, je fais du bon travail. D’après moi, y a un problème d’éducation et les parents sont vraiment mauvais. Mais bon.

Aujourd’hui Adam est là. Ça fait des jours qu’il déprime, il est carrément venu dormir à la maison plusieurs fois. Il nous invente des mytho comme j’en ai jamais vu avant, mais bon... j’vais pas le forcer à parler. Alors je l’ai pris avec moi parce qu’il me fait de la peine. Il est assis sur un tabouret à fixer le vide, il fait peur aux gosses, je suis sûr.

À la fin du cours, tout le monde s’en va et, si normalement on range, aujourd’hui je suis chargé de transformer la salle. Maman fait son groupe de parole exceptionnellement aujourd’hui car demain, il y a un enterrement. Elle ne peut pas être là avant car elle doit aller chercher l’un des membres qui ne peut pas se déplacer car il est toujours trop bourré pour prendre le volant et un autre qui, apparemment, galère a marcher depuis un accident de voiture qui lui a complètement broyé une partie de la hanche. Il doit se faire opérer bientôt et blah blah blah. Maman me raconte toujours la vie de tout le monde, j’ai du mal à suivre. Mais j’crois qu’elle aime bien son groupe de gens au fond du gouffre, elle se sent utile, elle a l’impression de leur venir en aide avec la parole de Dieu.

— Oh, Adam ? Tu vas m’aider ou faire la plante encore longtemps ? Faut mettre les tables sur le côté et mettre les chaises en U.

Gabriel m'a traîné au cathé ce soir, mais je ne sais même pas pourquoi j'ai dis oui. Sûrement parce que c'est toujours mieux que d'être seul chez moi à attendre Maximilien que je fui des que je peux. Parfois, j'arrive à me dire qu'on est heureux et dans ces moments là, ça va. Mais dès lors que je laisse mon esprit voguer un peu et que Logan arrive dans mon esprit, je l'évite. J'ai conscience que je ne pourrais pas passer ma vie ainsi, qu'un jour il faudra soit que j'assume ce que je ressens pour Logan et blesser Max, soit enterrer ces sentiments et être heureux comme Max me l'a promis. Finalement... Dans les deux cas, j'ai des sentiments pour Logan et c'est pas bon signe. Ça commence à poser un problème à mon éthique, je crois...

— Pourquoi en U ? Ils écrivent pas ?

Mon frère me lance un regard blasé et j'assimile enfin que c'est le groupe de parole qui va démarrer, pas une énième séance de cathé à laquelle j'assiste sans vraiment être là.

— Y'a que maman qui gère ça, hein ? On a pas le droit d'être ici nous je suppose ?

Ma mère est mon modèle, encore plus cette dernière année. Bien des maux ont été pansées et on vit enfin la relation mère/fils dont ont à toujours voulu tous les deux. Je suis fier d'être son fils et aussi d'être le frère de cet abruti qui pourra dire tout ce qu'il voudra, mais est en train d'enseigner à des gamins des principes essentiels.

— Bah... tu peux y assister, si tu veux. De toute façon vu ton état j’crois même que t’as une place. Tu veux une chaise ?

Est-ce que c'est si horrible que ça d'avoir hésité à dire oui ? Je crois que j'ai besoin d'en parler à quelqu'un, mais que je n'ai aucune envie d'entendre Gabriel me dire que je suis stupide et que la réponse est écrite sur la bague que j'ai au doigt.

— Si tu pouvais éviter de te foutre de ma gueule, je t'en serai reconnaissant.

Je souris malgré moi, parce qu'il est con et que je l'aime. Évidemment qu'il s'est rendu compte que ça ne va pas.

— Y a quoi ?

Je finis par demander.

— J’te traîne partout genre c’est normal, mais t’as déjà menti à Max en lui disant que t’étais avec moi alors... y a quoi ? Genre c’est quoi cette tronche ? T’as peur de l’engagement d’un coup ? Tu veux plus ?

Je pousse les tables tout seul vu qu’il ne me sert à rien.

Je dis quoi à ça ? Non c'est pas l'engagement qui me fait peur, mais le choix de la personne avec qui le faire ? Merde, mais je me sens horrible ne serait-ce que de penser comme ça, alors comment je pourrais regarder Max dans les yeux et... Seigneur.

— T'es mon p'tit frère, hein... Même si tu me juges, même si tu me trouves horrible, t'as pas le droit de plus m'aimer, non ?

— T’as fumé un joint c’est ça ? T’es en bad trip dans l’église ? T’as pas honte ?

Je lache tout ce que je suis en train de faire. Je fais une blague, mais je sais que lui ne rigole pas.

— J’ai tous les droits. Si j’ai plus envie de t’aimer ça me regarder. Mais bon... à moins que t’aies tué maman et que son corps soit dans ton coffre, y a peu de chance pour que je t’aime moins.

Quand il dit qu'il a tous les droits de ne plus m'aimer, j'ai tout mon corps qui se décompose. Heureusement, ses derniers mots arrivent à mes oreilles aussi et je me calme doucement.

Je n'ai même pas la foi de répondre à sa blague, je crois. Je deviens une vraie larve.

— Logan est revenu. Enfin, il était pas parti, mais... Je l'ai revu.

Je soupire, le regard perdu au loin.

Pour l’instant, je ne panique pas.

— Et alors tu lui as mis la haine avec ton bonheur ?

— Ouais à mort, j'ai casé ça entre mes larmes et mon choc.

Je fais un geste pour montrer mon visage et ma dégaine à mon frère.

— Tu trouves que ça reflète le bonheur ça ?

J’essaie de ne pas rire mais son sarcasme m’a tué.

— Bah j’essayais de me dire que c’était autre chose. Peut-être que t’étais devenu moche, j’en sais rien.

Je soupire.

— Pourquoi t’es dans cet état ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Il arrive à me faire rire et ça me rassure. Ma cause n'est pas perdu.

— Je serai triste depuis ma naissance si c'était juste ma beauté le problème.

Quand il me demande ce que Logan m'a dit, je me liquéfie. Comment résumer ça...

— Il m'a appris qu'il a quitté sa femme peu de temps après notre rupture et qu'elle n'a jamais été enceinte... Elle a juste inventé ça parce qu'elle a su pour nous deux. Il voulait venir me voir, pour qu'on en parle, pour qu'on reprenne là où tout s'était arrêté, mais...

Je soupire, je ne l'ai pas encore dit à haute voix et c'est plus dur que je l'aurais cru.

— Il a eu un grave accident, en septembre. Il a été dans le coma pendant neuf mois.

Gabriel semble sceptique, alors je poursuis.

— Et je peux t'assurer qu'il n'a rien inventé. Il a perdu... Je sais pas, peut être dix kilos et il a des problèmes avec ses jambes. Il veux pas me dire quoi, mais ça se voit qu'il souffre putain...

J'ai envie de chialer, parce que tout semble plus réel que jamais et que je suis en train de me baffer mentalement de ne pas être avec lui pour l'aider à traverser tout ça.

— Oh putain.

Je me décompose et je reprends vite l’arrangement de la sallew

— Aide-moi maman va me tuer si c’est pas prêt, on va en parler après.

White Falls c’est petit. Des mecs qui ont des accidents de voiture et qui restent des mois dans le coma, y en n’a pas des masses. Y en a juste un, en fait, et ma mère arrive avec lui, fière de le traîner là et de le sortir de chez lui.

— Non mais je suis sérieux, aide-moi.

Je pète un plomb quand il ne bouge pas, il me regarde, prostré.

— Il a pas de problème aux jambes directement, c’est sa hanche. Il va bientôt se faire opérer. Pour la troisième fois. Et je t’assure que t’as envie de savoir comment je sais ça, hors de cette pièce. Alors tu m’aides !

— Mais t'es sérieux ? Je te parle du retour de Logan, qu'il a été dans le coma et tout, et toi, tu me petes les couilles avec ton U ?

Je suis choqué et j'ai envie de hurler. Putain mais pourquoi est-ce que j'ai l'impression de vivre ça tout seul ? Pourquoi y'a qu'à moi que ce genre de conneries arrive, hein ?

— Putain et puis c'est quoi cette histoire de hanches ? D'où tu sais ça ?

J'ecarquille des yeux et je le regarde, encore plus choqué. Y'a qu'une seule façon qu'il sache pour la prochaine opération.

— Attends... Tu savais qu'il était à l'hôpital et tu me l'as pas dis ? Gabou !

— Putain mais non ! C’est pas ça ! Reprends-toi là. Juste deux secondes, ok ?

Je le sais parce que c’est maman. Mais si je lui dis ça, il va s’évanouir.

— Voilà, j’ai fini, j’te dis pas merci. Viens. On va passer par l'autre porte.

— Putain mais c'est quoi ton problème ?

Je râle, parce que j'ai juste envie de pleurer et d'évacuer enfin ma peine à quelqu'un, et lui il me fait chier pour sortir au pas de courses.

— On n'a même pas de voiture, c'est Max qui devait venir me chercher ce soir ! Alors détends-toi !

Je soupire, complètement à l'ouest, et je suis Gabriel sans aucune conviction et sans me presser le moins du monde.

J’ai envie de lui dire qu’on rentrera à pied, mais dans la panique j’oublie carrément mon chien qui dormait dans son panier et quand je fais demi-tour, qu’Adam râle encore plus contre moi, la porte s’ouvre et c’est maman.

— Gabi ? T’es encore là ! Super, va me chercher Alfredo, il a trop bu, il ne m’aide vraiment pas.
— Maman, en fait j’allais partir alors...
— Gabi ! Oh Adam, coucou mon ange !

Elle ouvre plus grand la porte, pour mieux laisser entrer Logan. Bordel de merde.

— Mes fils sont là ! Je suis contente de pouvoir vous les présenter.

Le silence de mort qui s’abat sur la salle est étouffant. J’hésite carrément à simuler un malaise mais j’ai l’impression qu’Adam n’a pas besoin de faire semblant.

Je suis au bord du malaise. je ne sais pas comment je le sais, mais j'en suis convaincu. J'ai chaud, puis froid, mes yeux sont embués et mes jambes sont lourdes, très lourdes.

Mes yeux sont fixés sur Logan et je n'arrive même pas à détourner le regard de lui. Alors c'est comme ça que Gabriel a su ? C'est parce qu'il fait parti du groupe de paroles de maman et qu'il l'a soit déjà vu, soit qu'il a fait le lien entre ce que ma mère et moi ont lui a raconté...

— Ca va mon ange ? T'as pas l'air en forme ?

Ma mère s'approche de moi et quand elle passe une main sur mon front, j'ai la sensation que je vais m'écrouler là, dans ses bras.

Sans même qu’on n’ait le temps de l’asseoir, Adam tourne de l’oeil et s’effondre sur maman.

— Oh Seigneur ! Gabriel !

Je me dépêche mais l’autre tordu arrive avec ses béquilles dans l’intention de toucher mon frère.

— Toi tu t’éloignes, ok ?
— Gabriel !

On allonge Adam comme on peut, il n’a pas tout à fait perdu connaissance mais clairement il est ailleurs.

— Attends mais je ne t’ai pas déjà vu ?
— Si, si. À une soirée. T’as cru que j’étais son mec mais j’suis son frère.
— La Colombie !
— Ouais. La Colombie. T’es sûr que tu veux qu’on se donne ce genre de surnom devant ma mère ?

Clairement il ne me tape pas parce que ma mère est présente. Mais autrement, il souhaite que je me casse le bras. Encore. C’est marqué sur son visage.

— Vous vous connaissez ? Vous connaissez Adam ?
— Je pense que vous devriez annuler la réunion.

Ma mère réalise que les gens vont arriver, c’est la panique sur son visage.

— Gabriel, appelle Max ! Je reviens.

Elle embrasse Adam avant de sortir de la salle en panique totale à coup de « mon fils a fait un malaise ».

— Je vais chercher mon portable, interdit de le toucher. Laisse-le mourir, ok ?

Il me fait un doigt d’honneur et, même si je me dépeche, quand je reviens il est assis partir, la tête d’Adam sur ses genoux, il caresse son visage avec un telle tendresse que ça me frappe. C’est pour ça qu’Adam est mal. Ils ne se sont pas juste recroiser, c’est plus que ça.

Tout est flou autour de moi. Les bruits sont évasés, j'entends quelques mots par ci par là. J'entends des voix, leurs voix. Maman, Gabriel et Logan. Je ne comprends pas pourquoi ils sont là. Tous les trois. En même temps.

Maman part la première, puis Gabriel, et je sais que Logan va partir aussi. Pourquoi est-ce qu'il resterait là ? J'essaie d'ouvrir les yeux et même si c'est flou, je distingue la paroisse et le vide de quelques instants est comblé de nouveau.

Logan est là, près de moi, et j'ai l'impression que je pourrais vomir lorsqu'il bouge ma tête. J'ai envie de lui demander d'arrêter, mais quand je comprends qu'il la pose juste sur ses jambes, je ne parle plus.

Ses caresses sur mes joues me font un bien fou et instinctivement, mon visage vient se blottir dans ses mains.

— M'abandonne pas encore une fois...

Je murmure, peut-être qu'il ne l'entends même pas, peut-être que je le regretterais quand j'y verrais plus clair, mais je ne veux pas qu'il parte. Je n'en ai plus envie, je n'en ai jamais eu envie.

Quand mon frère murmure ça, j’abandonne l’idée d’appeler Max. Ce serait complètement idiot et ça le mettrait encore plus mal. Le con putain, il s’est encore mis dans une situation de merde. Mais quand il délire, ce n’est pas Max qu’il demande.

— Euh.. je vais garer la voiture de maman devant, je vais le ramener.

Mais ni l’un ni l’autre ne m’écoute. Ils sont carrément tout seul. Alors je me dépeche de sortir.

. . .

En me laissant convaincre par Madeleine, je n’aurais jamais cru que je rencontrais la mère d’Adam. Jamais je n’aurais imaginé me retrouver dans cette situation ce soir et, pourtant, quand il me murmure de ne pas l’abandonner, je continue de caresser son visage. Je ne sais pas quoi lui répondre et pourtant, il doit lire sur mon visage que ce n’est pas mon intention.

— T’as eu un sacré coup de chaud, là.

Je dis avec un petit sourire.

Je souris, parce qu'il vaux mieux ça que de pleurer.

— Je crois que ma vie est un trop gros merdier pour que mes petites épaules arrive à le gérer... Je sais pas faire ça moi.

Je me sens bien, là, et je ne me sens pas gêné face à Logan. C'est presque nouveau dernièrement, et libérateur.

— Tu venais pas pour me voir tomber au sol j'imagine. J'ai un peu niqué tes plans...

J’acquiesce avec un petit rire.

— Je ne venais pas de bon cœur non plus alors tu as animé ma soirée.

Je continue de caresser tendrement son visage. Il reprend des couleurs.

— Tu crois que tu peux te relever.. ?

Je rigole en imaginant ma mère le faire chier jusqu'à ce qu'il accepte.

— T'as vu à quel point ma mère peut être coriace quand elle veux ? Tu me croyais pas.

J'inspire une grande bouffé, avant d'essayer de me relever. On va passer par la case assise, avant.

— Je vais essayer, ça devrait aller.

Et soudain, je prends conscience d'une chose.

— Ma mère et Gabriel, ils sont où ???

Il se redresse et ça me soulage. Je peux me relever immédiatement, je tiens assez mal la position assise. Je grimace, c’est douloureux.

— Dehors.. je crois. J’ai pas écouté.

Je reconnais. En fait je voulais simplement m’assurer qu’il allait bien.