Hallelujah — Adam & Gabriel #3

Pendant la messe, je n'arrive pas à être concentré. Je fixe Gabriel. Ce qu'il s'est passé il y a trois jours, reste dans mon esprit, je n'arrête pas d'y penser. Je ne sais pas ce qu'ils foutent mais quand je vois Madeleine s'en mêler, je sais que ça va mal finir et quand elle le gifle, je me crispe. J'ai beau l'aimer très fort, je ne supporte pas ça. Et généralement elle fait en sorte que ça n'arrive pas quand je suis là. C'est dur de pas réagir. Darcy me regarde avec de grands yeux.

— Il a fait une bêtise.

Je lui murmure.

— C'était pas une vraie gifle, c'était pour de faux, pour qu'il soit sage.

Dans ses yeux je vois qu'elle ne me croit pas, mais elle dit rien. Je le regarde sortir, et je lutte pour ne pas le rejoindre, mais je ne peux pas laisser Darcy.

Quand la messe se termine, elle veut parler au prêtre, elle a toujours plein de questions d'enfants à lui poser sur ses serments. Si moi je n'ai jamais cru en dieu, je crois que les Saint-Clair ont réussi à lui transmettre leur foi. Quand on sort, il ne reste plus qu'Adam et Gabriel devant l'église. Je m'accroupie pour fermer correctement son manteau. Je me rends compte même de loin que quelque chose ne va pas, mais je n'ai pas le temps de réagir que Darcy part en courant vers eux et saute dans les bras d'Adam.

— Regarde c'est le bout de le ostie !

Elle montre fièrement.

Ce n’est pas la première fois que je vois mon frère pleurer, mais j’ai l’impression que c’est différent aujourd’hui. Il est paumé et ça me fait mal. Il ne mérite pas ça et je ne peux que le comprendre. Je m’apprête à le rassurer mais Darcy débarque et lui saute dans les bras. Il est au bord du gouffre, je le vois bien, alors je le libère en récupérant Darcy.

— Adam est un peu malade.

Je lui fais un bisou.

— Et tu auras droit de manger ceux qui sont bénis seulement le jour de ta première communion.

J'arrive presque en courant. Si de loin j'avais bien compris que quelque chose n'allait pas, de près c'est encore pire. Adam est sur le point de s'effondrer et ce n'est pas dur d'en comprendre le sujet : Mon kiné. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais ce n'est pas le moment de savoir. Ça me fait de la peine de le voir comme ça, peut importe ce qu'il se passe, il ne le mérite pas.

— Je suis désolé, elle m'a échappé.

Je la récupère des bras de Gabriel.

— On va vous laisser.
— On va où ?

Demande Darcy.

— Pas ici.
— C'est où pas ici alors ?

Je ne lui réponds pas, je la rajuste sur ma hanche. Je fais comprendre à Adam que je suis là s'il a besoin et je regarde Gabriel gêné quelques secondes. Puis je m'éloigne avec Darcy, qui les regarde par dessus mon épaule. Je crois qu'elle réalise juste maintenant.

— Il est triste Adam ?
— Oui.
— Pourquoi il est triste ?
— Je ne sais pas.
— Tout à l'heure jui ferai un gros câlin, comme ça il sera plus triste.

Je souris attendri.

— Tu pourras lui faire un dessin si tu veux, quand on rentrera.

Ses yeux s'illuminent et je sais que ça va l'occuper toute l'après-midi pour lui faire le plus beau des dessins alors qu'on rejoint mon 4x4 pour le repas d'après messe, chez les Saint-Clair.

Je pouffe de rire.

— Non. Si tu arrêtes de lui envoyer des messages maintenant... fin j'sais pas, mais rends-le dépendant ! Tu sais pas faire ? Faut se rendre indispensable. Faut qu'il pense à toi tout le temps. Et c'est là, que t'arrêtera de lui donner des nouvelles. Pour que ce soit lui qui court après toi. Tu dois pas... en fait, ne montre pas que t'as des faiblesses. Même si tu chiales toutes les nuits, tant pis. Mais si tu le veux, trouve le moyen de le rendre dépendant de toi. Créé des habitudes, y a rien de mieux que ça. Parce que si t'arrête de faire ce à quoi tu l'as habitué, il va ressentir un manque.

Ça marche avec moi, oui. Il n’a pas idée à quel point je rampe pour garder le peu de contact que j’ai avec Austin. Il a tout repris, même si c’est inconscient, et je ferais n’importe quoi pour récupérer tout ce que j’avais avant d’avoir laissé ma déviance prendre le dessus. Austin me prend pour un cinglé maintenant. Il est persuadé que j’ai déraillé et le vide qu’il laisse en moi me rend assez barge pour céder à tout et n’importe quoi, parfois. Alors oui, ça peut marcher. Surtout quand il me parle de cet appartement.

— C’est parfait. Tu y vas jusqu’à ce que vous n’ayez plus besoin de vous donner rendez-vous, puis un jour, t’y vas pas. Il va t’appeler, forcément. Et là, tu peux lui dire que t’avais une soirée, que t’avais oublié de le prévenir et que t’es pas sûr de passer... Puis t’iras quand même et tu sauras à sa manière de coucher avec toi si tu lui as manqué ou pas. Deviens un peu badass. C’est fun.

Je lui adresse un sourire.

— Allez, va chercher le pain ou maman va te maudire toi aussi.

Il me réclame un câlin et j’accepte, mais pas trop longtemps.

— Pff allez, tu vas survivre.

Je me détache de lui et je secoue la tête.

— Tu vois, le truc c’est que maman elle s’attend à ce que tu me ramènes. Parce qu’elle te connaît et que ça la rassure au fond. Mais j’vais lui obéir, pour une fois. Puis d’façon, j’ai besoin de réfléchir.

Je hausse les épaules nonchalamment. Je n’aime pas parler de ça parce que je me dégoûte. J’ai honte d'être moi parce que j’ai compris que c’était gênant, pas normal et que j’avais plutôt intérêt à arrêter de croire que j’étais amoureux parce que c’est pas le cas.

— T’étais en train de pleurer. Bien sûr que c’était tendu. Puis j’ai une copine maintenant, alors c’est bon. Ça va. Certainement que c’était l’attrait de l’interdit. J’suis un gamin capricieux, tout le monde le sait.

— Bah ouais. C’est elle. J’vais essayer d’plus baiser ailleurs.

Et de bien l’aimer, et d’être sympa. Je suppose que faire semblant, je devrais bien y arriver. Ce n’est pas si difficile.

— Puis pas la peine d’en faire un plat. J’vais pas l’épouser, rien. Juste on essaie. J’veux pas de félicitations. Va chercher ton pain là.

Il s’en va et c’est seulement là que je me permets de relâcher la pression juste un peu. Y a rien qui va et je n’ai jamais été aussi effrayé de toute ma vie. C’est la première fois que ma mère me menace, que Marie est dans le coup. Peu importe si elle voulait me faire peur, j’ai vu qu’elle en avait vraiment assez de moi. Comme tout le monde, d’ailleurs. Ça me brise le cœur parce que j’en ai le souffle coupé. Je trouve ma place nulle part alors que je pensais que tout allait bien. Mais c’est pas le cas. Ça tourne en boucle dans ma tête que je fais honte à tout le monde, d’une manière ou d’une autre. Ma mère ne me supporte pas, soit. Elle veut que je parte, très bien. Mais j’irai pas chez ma sœur.

La gare n’est pas si loin alors... c’est ce chemin-là que j’emprunte. Je ne rentre pas chez moi. Je n’ai plus envie d’y être, de toute façon. Au moins, Austin ne sera plus gêné, et le reste de ma famille sera au calme. Parce qu’Adam peut me dire autant de fois qu’il est de mon côté, c’est faux. Dès qu’il peut me glisser que je ne me rends pas compte de la chance que j’ai, il le fait. Puis y a même pas de côté, de toute façon. Ils sont fatigués de me voir et ça devient vraiment difficile de décevoir les gens que j’aime, de le lire dans leurs yeux et de le ressentir jusque dans mon âme.

Je monte dans le premier train qui est à quai et tant pis si je dois bouger sans cesse pour éviter les contrôleurs. Au moins, je leur fiche la paix.

. . .

Lorsqu’Adam arrive à la maison, Madeleine est dans l’entrée et patiente, prête à se fâcher contre Gabriel. Mais il n’est pas là et elle fronce les sourcils.

— Merci pour le pain, Adam. Tu n’as pas ramené ton frère ?

Quand je débarque à Londres, je me dis que finalement, c'était sans doute une mauvaise idée parce que je ne sais pas où aller. J’suis pas venu souvent ici. Mais bon, je vais trouver. D’après Adam, ça me ferait du bien d'être ici et de souffler. C’est lui qui devait m’y emmener et il y est finalement allé avec son mec, mais bon, c’est normal, je suppose.

J’avais pris mon porte-feuille pour la quête à l’église alors, heureusement, j’ai de l’argent sur moi. Je cherche vite fait une auberge de jeunesse et c’est seulement quand j’y suis installé que je réalise l’heure. Alors je prends mon portable en ignorant tous les messages et les appels en absence, puis je créé un message groupé.

SMS à Maman, Papa, Marie, Adam, Austin : J’sais pas trop quoi vous dire. Juste.. j’pense que vous avez tous besoin d’une pause et j’ai pas l’intention de pourrir aussi l’ambiance chez Marie. Si jamais je rentre, je ferai des efforts pour être moins pénible et surtout plus normal.