I wish that I could wake up with amnesia. - Adam & Gabriel.

Quand je suis rentré cet après-midi, j'ai directement été m'enfermer dans ma chambre. La colère ressortait encore de tous mes pores et même si je n'avais pas envie de ressasser tout cela tout seul, j'avais conscience que seule la solitude m'empêcherait de devenir méchant avec un autre que moi. En fin de journée, j'ai envoyé un message à Gabriel pour lui dire de faire comme si je n'étais pas là, et j'en ai envoyé un autre à ma mère pour l'informer que je passerais la nuit chez un ami. C'était faux, mais au moins, personne n'a essayé de me faire descendre ou de savoir ce que j'avais.

J'ai été en colère longtemps. J'ai pensé des choses qui m'ont effrayées et d'autres qui m'ont lacérées le cœur. Et si je n'ai pas moins mal maintenant, j'ai laissé le temps à la haine de retomber. Ce n'est pas moi et je refuse de devenir un autre à cause d'un homme qui ne le mérite pas.

Il n'est pas si tard lorsque j'envoie un nouveau message à Gabriel pour savoir si je peux venir passer un moment avec lui. Je crois que la nuit m'effraie, parce qu'elle me fait prendre conscience que je suis tout seul. J'ai de nouveau les larmes qui me montent aux yeux lorsque je lis sa réponse - je risque d'être à fleur de peau pendant quelques temps - et je ne mets pas longtemps à gagner sa chambre, une couverture autour des épaules et mon paquet de chips en main.

— Hey...

@Gabriel Saint-Clair

Clairement, quand mon frère m’envoie un message, je suis couché avec Austin en mode zombie car j’ai beau essayer de me refaire à ce foutu fuseau horaire, mais je n’y arrive pas. Comme le crevard fatigué que je suis, j’hésite une demi-seconde à ne pas répondre genre « je dors », mais c’est mon frère et je n’aimerais pas être à sa place. Alors je me traine jusqu’à l’étage et je lui réponds qu’il peut venir. Il débarque avec des chips, une couverture et une tête de mort et ça me retourne le ventre. J’crois que c’est pire qu’avec Max car il n’avait jamais été aussi haineux avant.

— Par contre tu mets pas de la morve partout.

Je dis avec un petit sourire. J’attends qu’il soit installé pour bien me coucher ; au moins, on a tous les deux des têtes de cadavre, mais pas pour les mêmes raisons.

— Alors... t’as pu faire un peu le vide ?

Il a une mine défaite et je m'en veux de le maintenir éveillé à cause de mes petits problèmes. Je m'en veux aussi de toujours penser aux autres, alors que ce soir, l'égoïste que je suis n'a pas envie de retourner dans sa chambre pour laisser son frère se reposer. C'est le seul qui est toujours là pour moi et c'est le seul avec qui je suis chiant. Le comble.

— Je ne suis plus en colère... J'ai pas envie de lui faire ce plaisir.

Même si au fond, je sais que Logan n'en a rien à secouer de ma colère.

— Mais chaque fois que je ferme les yeux pour essayer de me détendre, je me revois dans ce placard...

— Il t’as mis dans un placard ? C’est genre... une métaphore ou pas ?

Je soupire, vivant la scène comme si elle se répétait sans cesse.

— J'ai voulu lui faire une surprise ce midi et aller manger avec lui, à son boulot.

C'est dur de prendre conscience que non seulement ça n'arrivera plus, mais qu'en plus de ça, je risque de ne plus jamais le revoir. De ne plus jamais l'embrasser. De ne plus jamais lui faire l'amour. Je n'ai jamais pu lui dire que je l'aimais, et je ne sais pas si ça me rends triste ou si je suis soulagé qu'il ne l'ai pas su...

— Mais Moïra est venue à l'improviste elle aussi et... J'ai littéralement été mis dans le placard, pour qu'elle ne sache pas que j'étais là.

— Oh putain... mais quel connard. Pourquoi t'es pas sorti du placard ? Hein ? T'en n'avais plus rien à foutre de tout envoyer promener ! T'aurais dû...

Ça me brise tellement le coeur pour lui que j'accepte de lui faire un bref câlin.

— J'suis désolé Adam, tu méritais pas ça. Tu seras mieux sans lui, même si tu t'en rends pas compte tout de suite.

— Il venait de me dire qu'il voulait qu'on se voit plus, qu'il avait essayé de parler à Moïra et que c'était sur la bonne voie. J'y croyais tellement... Sortir du placard c'était prendre un risque inutile, mais Je m'attendais pas à ce que ça finisse comme ça. Je m'attendais pas à l'entendre lui dire qu'elle était enceinte de lui...

J'accepte son étreinte avec joie et replonge ma main dans le paquet de chips.

— C'est toi qui avait raison depuis le début...

J'affiche un pâle sourire.

— C'est pas une question d'avoir raison, j'aurais aimé que ça ne t'arrive pas. J'trouve ça injuste. Je suis vraiment désolé.

Ça me rend vraiment triste parce que je vois à quel point ça l'a bouleversé et, si ça ne risquait pas de lui causer du tort, alors j'irai vraiment défoncer ce pauvre connard. J'suis sûr qu'il n'oserait pas me frapper – et vaut mieux, il me briserait tous les os.

— Ne lui donne plus jamais de nouvelles, Adam. Il ne mérite pas ça.

Moi aussi je trouve ça injuste. Parce que j'aurais tout donné pour Logan... Mon cœur, mon âme, ma vie. Je suis sûr qu'on aurait pu être heureux, s'il m'avait donné ma chance. S'il m'avait donné ne serait-ce qu'un dixième ce qu'il a donné comme chance à Moïra lorsqu'il l'a épousé...

— J'ai encore les clés de l'appartement... Faudra forcément que j'aille lui rendre.

Le pire, c'est que je crois que ça me rassure au fond, de me dire que je vais encore le voir une dernière fois. Une toute dernière fois.

— J'ai l'impression que mon monde s'effondre. Il était venu voir mon école avec moi, c'est lui qui m'a poussé a m'y inscrire et maintenant que je suis accepté il va même plus être là...

— Mais tout ça, tu le fais pour toi. Pas pour lui. T'imagines si t'avais décidé de rester à White Falls juste pour lui ? Hein ?

Heureusement que ce con l'a poussé à s'inscrire là-bas.

— Si tu n'as plus envie de le voir, tu peux déposer les clés à son boulot ou dans sa boite aux lettres, chez lui. Si tu as envie de le voir une dernière fois, prépare tout ce que tu as à lui dire pour ne laisser aucun non-dit qui pourrait t'empêcher d'avancer plus tard.

Je n'imagine pas, non. S'il ne m'avait pas poussé au cul, je serai resté dans cette fac de merde a non seulement foirer mes capacités, mais aussi à voir sa femme chaque jour de ma vie. Je peux aussi moins le remercier pour ça.

— Je veux le voir. Je veux le voir de mes propres yeux et lui dire d'aller se faire foutre...

Je rigole nerveusement, parce que je fais comme si j'en étais capable, alors que je sais comment ça finira. Un Logan qui essaie de rabibocher son mariage et un Adam au cœur brisé.

— Je dois y aller. Pour mettre un terme à tout ça. Je veux pas passer toute ma vie à me dire que je l'ai raté...

— D'accord. Alors dis-lui d'aller se faire foutre, jette lui les clés au visage et pars comme une drama queen. Y a que ça à faire de toute façon, j'vois pas mieux.

Je dis avec un petit sourire.

— Je fais quoi moi... ? Je lui envoie un message ? Je vais directement frapper chez lui ? Je suis pas sûr de vouloir retourner à son bureau...

Je soupire, déjà retournée à l'idée de cette rencontre. Elle risque d'être douloureuse émotionnellement. Mais s'il y a bien un jour dans ma vie où je devrai être fort, c'est celui ci.

— Tu crois ?

Je lui demande ça comme s'il avait la réponse absolue. Je grogne tout seul en m'en rendant compte.

— C'est dans seulement quelques jours...

Je hausse les épaules.

— Bah... j'espère que, lui aussi, il aura quelque chose à te dire. Fin.. j'sais pas. Ce serait normal, non ?

— Je suppose que oui.

Je n'avais même pas pensé à ce que lui pourrait avoir à dire, si jamais il a vraiment envie de le faire.

— Je suis content que tu ne risques pas ça avec Austin, je souris. T'étais avec lui avant que ton grand frère le relou pleure sur son amour perdu, pas vrai ?

Je souris un peu comme un idiot.

— Ouais. J'étais même carrément en train de m’endormir. Mais bon, j’dois accomplir mon devoir de petit frère.

— J'ai vraiment beaucoup de chance de t'avoir.

Ce ne sont pas des mots en l'air ou dramatique, c'est un fait. Gabriel est un pilier essentiel à ma vie et je l'en remercie d'être là pour moi.

— Même si je suis désolé. Il doit avoir maudit ma ma descendance lui aussi, je rigole. Ça va bien, vous deux ?

— Ça va, ouais. Même si on baise pas, comme tu me l’as si gentiment fait remarquer. Mais ça va.

Et c’est pas toujours facile parce que j'étais pas quelqu’un d’inactif et je ne suis pas très patient à la base. Mais je crois que pour Austin, je pourrais attendre un demi-siècle.

— Tu sais, c'était même pas contre lui à la base. Je voulais juste te piquer un peu et en voyant que tu le prenais autant à cœur, j'ai pas cherché à te laisser entendre que j'avais pas pensé à lui une seconde.

Je rigole pour détendre les choses, parce que c'est encore frais et que je ne veux prendre aucun risque.

— Tu te sens prêt à attendre ? je demande. Je veux dire... Ça doit pas être simple pour lui non plus, et je sais pertinemment que tu lui feras pas de mal, mais ta vie sexuelle était plutôt mouvementée avant. Tu l'aimes aussi fort que ça ?

— Bah... tu veux que je fasse quoi ? Moi je vais pas le presser, j’vois pas l’intérêt. Et je vais pas aller voir ailleurs juste pour passer le temps. Ça me donne même pas envie. C’est avec lui que j’ai envie de faire l’amour. Donc j’attends. J’ai pas le choix.

Je soupire un peu.

— C’est trop bizarre, j’ai l’impression de tout recommencer et de devoir faire les choses correctement et ça me fait un peu fipper quand même. Si ça se trouve il va réaliser qu’il aime pas les mecs. J’ai jamais fait les choses correctement, j’ai peur qu’il me dise de lui expliquer des trucs et... j’sais pas expliquer. Personne m’a expliqué, tu vois ? En fait, j’sais pas faire l’amour. Je crois que c’est ça le truc. Je mets pas de sentiment dans mes relations sexuelles et là.. bah c’est différent.

— Ça va sûrement te sembler hyper niais, mais je suis sûr que tu sauras lui faire l'amour, à lui. C'est pas quelque chose qui s'apprends Gabriel, c'est dans le ressenti et la façon dont tu estimes la personne avec qui tu es. Et vu la façon dont tu parles d'Austin, je me fais aucun souci pour toi. Le jour où il sera prêt, où vous serez prêt tous les deux, ça coulera de source parce que vos gestes retranscriront tout ce que la parole ne suffit pas toujours à dire.

C'est la première fois que j'endosse ce côté ci de mon rôle de grand frère et c'est plaisant. Gabriel se pose, avec la personne qu'il aime, et ça me fait tellement plaisir de le voir ainsi.

— Et si jamais il te demande de lui expliquer... Bah dis lui que tu sais pas. Dis lui que t'en sais rien, parce que t'as jamais fait ça non plus, de cette façon là. Ce sera sa première fois avec un homme et ce sera ta première fois en étant amoureux, alors ce sera fort et nouveau pour vous deux.

Je l’écoute attentivement et même si je prends note, je ne le lui ferai pas savoir. Alors je rigole pour le taquiner.

— C’est hyper niais, en effet. T’sais, au début j’avais peur de ne pas être fidèle mais en fait, j’ai pas envie d’être avec quelqu’un d’autre que lui. Genre... là on regardait la télé, j’étais affalé contre lui.. on parlait pas ni rien. Mais c’était trop bien.

Je crois qu'il a en enfin trouvé ce à quoi j'aspire dans la vie : l'amour. Et tant pis si je suis niais, il le devient lui aussi. Je souris en l'entendant parler ainsi.

— Retournes-y !

J'attrape mon paquet de chips presque vide et remets ma couverture correctement autour de moi.

— Ça va te faire du bien de dormir vu ta tête, ou au moins de regard la télé affalé contre lui, je taquine.Il doit t'attendre en plus !