C'est le Bon Dieu qui nous fait - Adam & Max

Je ne suis pas certain de ce que je fais là. Je crois que Gabriel me dirait de foncer sans réfléchir, alors qu'une partie de moi ne comprends pas en quoi je pourrais trouver du réconfort à cet endroit.

La vérité, c'est que je crois que je suis ici parce que c'est le seul endroit où quelqu'un va réellement s'intéresser à moi, en dehors de ma famille. Bien sur que j'ai vraiment envie de voir Maximilien, bien sur que je ne serai pas là si n'importe qui d'autre vivait ici, mais quand même. Ce serait un peu mentir de dire que le fait que je vienne de déposer les clés du putain d'appartement de Logan en mains propres à Moïra n'y est pour rien.

Quand je pousse la grille, je me rappelle seulement que la dernière fois que je l'ai passé, j'étais au bord des larmes. Tout ça parce que Maximilien m'avait accordé plus d'importance à des centaines de kilomètres de moi que Logan, avec qui j'étais plus ou moins. Ressasser tout cela est stupide parce qu'aujourd'hui, il n'y a plus ni raison de réfléchir, de douter ou de comparer. L'un est un connard qui s'est joué de moi, l'autre a tout ce dont j'ai toujours rêvé chez un homme. Le seul défaut de Maximilien est de ne pas être Logan et j'ai conscience que l'avoir condamné à cause de cela est stupide.

— Il y a quelqu'un ?

Au loin, j'apperçois le mobile-home qu'il a reçu lorsque j'étais là et je me demande si c'est vraiment là qu'il vit maintenant. Alors j'appelle à nouveau, pour le cas où.



Maximilien Weaver

C'est uniquement parce que j'ai la fenêtre ouverte que j'entends qu'on m'appelle. Il fait froid, mais je n'ai pas le choix : j'étais tellement focalisé par les plans de la cuisine que j'ai laissé brûler mon croque-monsieur et j'étais carrément enfumé.

Je passe la tête par la fenêtre de mon bureau. C'est Adam et c'est étrange de le voir. Parce que... bah ça fait un moment qu'il n'est pas venu ici. Mais je suis heureux de le voir.

— Viens, entre.

Je quitte mon bureau et je traverse la maison pour rejoindre la porte et lui ouvrir.

La joie habite toujours autant son visage et ça me fait du bien à la seconde même où je vois son sourire. Je sais qu'avec lui tout va me paraître plus facile tant que je suis là et c'est plaisant d'avance.

Quand il m'ouvre la porte, j'ai hâte de voir ce que sa caravane me réserve. Y'a vraiment que lui pour avoir des idées comme ça, sans déconner.

— Hey ! Comment tu...

Je reste figé dans l'entrebâillement de la porte, alors que mon regard se porte sur cette grande pièce que j'imaginais... Moche, petite et pas du tout accueillante. En fait, c'est tout le contraire. Et si je me permettais d'offenser mes parents et leurs goûts, je dirais tout haut que c'est beaucoup plus beau que chez moi.

— Non mais attends, moi je t'imaginais vivre comme Robinson Crusoé, à aller chercher de l'eau à la source pour te laver. Tu voudras jamais retourner vivre dans ton église après ça !

— Robinson Crusoé ? Moi ?

J'éclate de rire. Mes parents sont blindés de thune et je n'ai jamais manqué de rien ; je suis lucide, je suis un gosse de riche et je suis incapable de me passer de mon petit confort.

— Je te fais une petite visite ?

On n'a pas eu le temps, la dernière fois.

— Bah oui ! Moi tu me dis que tu vas vivre dans un mobile Home. Pardon monsieur, mais pour moi un mobile-home c'est le camping !

Je rigole, parce que ça me semble complètement dingue. Je m'attendais vraiment pas à ce que ça ai cet aspect là et je suis encore plus surpris que s'il m'avait montré un auvent accroché à un pan du mur.

— Avec plaisir ! Je me foutais de ta gueule avec ton palace, mais j'ai l'air d'un con finalement. On n'en est pas loin.

— C'est juste ce qu'il faut.

Je lui souris parce que je suis sûr qu'il aurait été très bien ici, avec moi. Il fait l'imbécile, mais je regrette vraiment que je ne fasse pas partie de la vie qu'il ait choisi de mener.

— Donc là, t'es dans le coin salon et cuisine. Cuisine équipée, s'il te plaît. J'ai fait rajouter un plan de travail parce que..

Parce qu'il aime bien cuisiner. Je me sens un peu idiot. Moi, je ne prends jamais le temps de le faire.

— Ça prend un peu plus de place, mais c'était plus confortable pour la cuisine.

Je lui fais ensuite visiter la chambre, le dressing, la salle de bain. Puis on traverse à nouveau tout le mobile-home pour arriver dans la dernière pièce.

— Normalement c'est une seconde chambre donc il y a un autre dressing. Vide. Je n'ai plus autant d'affaire qu'avant.

Je dis en riant.

— Moi j'ai transformé ça en bureau donc voilà. Je bosse ici.

Je lui désigne le bureau sous la fenêtre, complètement enseveli par le bordel. Alors que l'autre bureau de la pièce est complètement vide. La chaise est encore sous plastique.

— Voilà mon humble demeure. C'est évident que je ne risque pas de me perdre, mais c'est cosy, je m'y sens bien pour l'instant.

Je le suis dans la visite de son nouveau chez lui et je suis impressionné de ce qu'ils font désormais. Le mieux, ce sont tous les petits détails qu'il a pu faire rajouter et je trouve ça génial.

Lorsque qu'il me montre la cuisine et qu'il parle du plan de travail, je tousse un peu malgré moi. Max n'a jamais le temps de cuisiner, il ne le prends jamais. Et même si j'ai du mal à me faire à l'idée qu'il ai vraiment pu revenir en pensant que je serai ici avec lui, je ne peux pas m'empêcher de me demander si ce petit détail ci, il n'était pas pour celui de nous deux qui adore faire à manger.

Le tour du propriétaire se fait rapidement et en arrivant dans la dernière pièce, je souris.

— Je ne doute pas une seule seconde que tu te plaises ici. C'est plus grand qu'un logement étudiant et en même temps, c'est assez petit pour rester un petit cocon. L'atmosphère que ça dégage est agréable.

Par contre, j'eclate de rire en regardant de plus près la pièce. Un des deux bureaux est complètement recouverts par des papiers en tous genres et même lui, il ne doit pas savoir où il en est.

— Tu peux pas ranger ? je lui demande en riant tout en lui montrant le bureau. On dirait Gabriel sans déconner. Si tu te laisses déborder alors que ta mère est plus là, tu vas finir par y foutre le feu à ton mobile-home ! En plus t'as un deuxième bureau qui sert pas et qui n'attends que ça.

J'ai presque envie d'aller ranger moi même son bureau, parce que je sais à quel point il se fout de ranger ses affaires, mais je me retiens. Il est assez grand pour savoir ce qu'il veux, quand même...

Je me mets à rire lorsqu'il me dit qu'il faudrait que je range. Depuis que j'étudie l'architecture, y en a toujours dans tous les sens parce que je suis incapable de me contenter d'un seul projet à la fois.

— Je peux pas le ranger, c'est comme ça que je m'y retrouve. J'ai l'air débordé, là, mais c'est pas le cas. T'as bien vu ? La maison est nickel, mais mon bureau, c'est mon bureau. Alors laisse-le tranquille. Puis celui-là, c'était pour toi alors j'ai rien à y mettre. Chaque chose est à sa place.

Mon rire s'étouffe dans ma gorge et je perds mon sourire. Si le plan de travail a attisé ma curiosité, jamais je n'aurais pu imaginer que le bureau aussi avait été pensé pour moi.

— T'as vraiment tout organisé en pensant que je serais là ? Jusqu'ici...

Ma question est plus rhétorique qu'autre chose. Ca fait beaucoup et je n'arrive pas à réaliser que ça puisse aller aussi loin. Max est revenu pour moi, il a acheté notre église, il a dessiné une bibliothèque sur ses plans parce que j'adore ça, et puis ça... Qu'est ce qu'il cache d'autre ? Comment il peut être attaché à ce que je suis à ce point, moi qui ai parfois du mal à comprendre pourquoi ma propre famille m'aime comme je suis ?

— Ouais. J'me sens un peu bête, maintenant.

Je dis en riant, histoire de détendre l'atmosphère. Je n'ai pas envie qu'il se sente mal parce que j'ai peur que la culpabilité lui fasse faire des choses imbéciles.

— J'te fais un thé ? Ou t'étais juste de passage ?

— Je ne te trouve pas bête. Si j'avais eu la présence d'esprit d'en faire ne serait-ce que le quart quand tu es parti il y a trois ans, on n'en serait sûrement pas là.

Oh non, je ne le trouve pas bête. Enfin, si, mais pas de ça. Je le trouve bête de faire ça pour moi, parce que je ne le mérite pas, mais pas de ses gestes. Si j'en avais eu les moyens et l'âge et que je croyais suffisamment en moi, j'aurais pu agir de la même façon par amour pour lui à un moment de ma vie.

— Et je dis oui pour le thé. Avec un peu de lait s'il te plaît, j'ajoute avec un sourire. Je passais te voir un peu, j'ai le temps.

— Alors si tu as le temps...

On retourne dans le salon pour que je puisse lancer l'eau avant de l'inviter à s'asseoir. Je fouille dans mes placards pour sortir un petit paquet de gâteaux et le poser sur la table. Je prépare les tasses, le sucre, le lait. Je ne peux pas m'empêcher de sourire parce qu'il est là, chez moi, qu'il aime l'endroit et que j'en suis heureux.

— Voilà.

Je lui serre son thé et je viens m'asseoir près de lui.

— Alors, quoi de neuf ? Ça va ta famille ?

Dans ma haine, j'ai envie d'insulter Logan en mille langue et de le maudire sur plusieurs générations. Mais d'abord ses générations futures ne sont pour rien si je me suis fais avoir et, surtout, je refuse de parler de ça à Maximilien. Ce serait gênant, et grandement déplacé. Et puis, en réalité, là, tout de suite, je ne suis même pas en colère.

— Ça va, ça vient. C'est toujours un peu comme ça chez moi t'es au courant, mais en ce moment on s'en sort pas trop mal, je souris. Tu sais que j'ai parlé avec ma mère ! De mon coming out, de toi, du fait qu'elle nous avait vu au lycée et qu'elle avait jamais rien fait pour m'écouter... Il aura fallu cinq ans pour enfin apaiser la rancœur que je gardais en moi depuis tout ce temps.

J'attrape la tasse qu'il a mis à ma disposition et verse une pointe de lait avant de porter le tout à mes lèvres. Ça fait un bien fou. Autant la chaleur du thé que d'être ici. Maximilien a la particularité de me rendre serein en toute circonstance et j'en avais bien besoin, en ce moment.

Quand il me dit qu'il a enfin mis les choses à plat avec sa mère, ça me soulage ; il l'aime tellement que ça me fendait le coeur de les savoir en désaccord. J'étais toujours de son côté alors je sais parfaitement que je ne suis pas objectif, mais il a l'air d'en être ravi.

— C'est bien, c'était important que vous en parliez. Tu dois te sentir mieux, maintenant.

J'attrape un gâteau pour mordre dedans.

— Moi, mon frère m'a appelé. C'était genre... "ahah alors, tu t'es planté avec Adam ?" donc j'ai dit que non. Il pense que je mens et il a raison, mais je l'emmerde. Il est tellement chiant à toujours vouloir que je me plante. C'est insupportable. Je comprends pas pourquoi il est jaloux comme ça, tout le temps, c'est usant. Puis pourquoi il m'appelle tout le temps s'il ne peut pas me voir ? Enfin, là, c'est moi qui lui avait téléphoné, mais bon.

On est inséparable, même si on ne peut pas se voir. D'après le psy de ma mère, c'est qu'on s'aime trop, qu'on est trop fusionnel, d'après moi, il est casse-couille.

Je rigole doucement, parce qu'il ne se rends pas compte qu'il agit exactement comme lui. Ils disent tous les deux qu'ils ne peuvent pas se voir, mais ils sont incapable de vivre l'un sans l'autre. La preuve. Même si ça va permettre à Max de souffler d'être loin d'Edward, ils vont très vite avoir besoin de se revoir tous les deux.

— Il espère peut être que si tu te plantes, tu rentres à Paris ? Ce ne serait pas la première fois qu'il ferait passer son bonheur avant le tien.

Moi j'en ai pas envie. J'ai pas envie de le perdre à nouveau. Même si tout est différent de ce qu'il imaginait, même si tout est différent de ce que moi j'imaginais, on ne peut pas s'être retrouvé pour rien. Et cette rupture, qui apparaît comme un signe, elle aussi peut tout rendre différent.

— Pff, c'est ça ouais. Il est déjà en train de refaire ma chambre en salle de sport.

Je crois que c'est le seul moment où je peux perdre patience : quand je parle de mon frère. Je suis quelqu'un de calme, mais il peut me faire péter un plomb rapidement.

— Enfin bref, c'est pas important. J'vais pas rentrer de toute façon. Puis je peux pas, même si je le voulais.

Ma main vient trouver sa cuisse naturellement et mon pouce s'active contre son jean. Il perds vite patience quand son frère rentre en jeu et c'est assez impressionnant au début, quand on ne connaît que le Maximilien positif et joyeux.

— J'ai pas envie que tu rentres, alors je peux pas dire que l'idée me déplaise...

C'est égoïste, j'en ai conscience, mais je n'ai pas pour habitude de mentir.

Il pose sa main sur moi et, si ça me semble naturel au début, je réalise que ça ne l'est pas. Plus maintenant. Alors ça me fait quelque chose et ça me retourne l'estomac. Je ne sais pas s'il réalise, s'il comprend ce que ça pourrait signifier pour moi. Et c'est idiot parce que je n'attends rien de sa part, parce qu'il n'est contraint à rien. Mais son geste ravive quelque chose que je pensais éteint.

— J'vais pas partir. Je suis chez moi.

Et on pourrait être chez nous ? C'est ça l'idée, pas vrai ? Ça voudrait dire me lever ici, m'endormir ici, rire ici, pleurer peut être aussi. Ça voudrait dire être avec Maximilien, tout le temps, comme avant, comme j'en rêvais, comme nous en rêvions.

— Ça t'as déjà arrivé de te poser tellement de questions que ça embrouille tout ce que tu fais ? Comme si y'avait...

Je mime une explosion autour de ma tête, parce que je ne sais pas quoi mettre comme mot là dessus.

Je secoue la tête en riant.

— Non, désolé... Je me pose rarement autant de questions que toi. C'est toi le champion pour t'emmêler tout seul. Mais... peut-être que je peux t'aider ?

Là, tout de suite, je le réentends se demander ce qu'il va faire de son avenir. Je le revois paniquer inutilement parce qu'au fond, il savait déjà ce qu'il voulait : il avait juste peur d'y croire. Je me souviens de comment nous étions avant et c'est difficile de n'être qu'un ex parce que nous n'avons jamais été ami. Je le dévisage parce qu'il est beau, parce que sa confusion le rend attendrissant et que, si je m'écoutais, je ferai taire toutes ses angoisses avec un baiser. J'ai bien envie de lui répondre que, parfois, il ne faut pas se poser de question et agir bêtement, mais... il risque de se retrouver avec une église et personne avec qui la partager.

Tout semble toujours si facile pour lui. Soit c'est noir, soit c'est blanc. Sa mère a voulu qu'il peigne ? Il a refusé et a commencé à dessiner. Il est gay ? Fallait le prendre avec et il n'y aurait rien changé. Moi, c'est toujours une base grisâtre sur laquelle toute les couleurs viennent se superposer. À la fin, j'étouffe parce que je ne sais pas quelle couleur était la bonne.

— Qu'est ce qui te semble le plus sensé ? D'avoir peur de regretter ou de regretter d'avoir des remords ?

— Au fond... je crois qu'il vaut mieux avoir des remords que des regrets. Les remords te font avancer, si ce sont des erreurs, les regrets... c'est un vide. Un vide que tu ne pourras jamais combler justement parce que tu ne sauras jamais ce qui se serait passé.

Je pose ma main sur la sienne, comme pour le rassurer.

— Moi je fonce et toi tu me freines. C'est comme ça. Alors tu sais très bien quels seront mes conseils avant même que je ne te les donne.

J'aurais aimé que, pour une fois, il se laisse entraîner.

— L'inverse est réciproque aussi. Si tu me pousses pas, je prends même pas la peine de démarrer... On a toujours été complémentaire.

Je souris, nostalgique, alors que mes doigts bougent doucement sous son toucher. Son contact m'avait manqué, quoique je puisse en dire, et j'ai cette envie folle de lier nos mains.

— J'ai pas envie d'avoir de regrets...

Je lui souris parce que je le connais par coeur. Je crois que, pour la première fois depuis que je suis revenu ici, je retrouve Adam. Le mien, mon coeur et mon amour. Naturellement, ma main glisse sous la sienne et je lis nos doigts. Pas très longtemps, c'est bref, mais assez pour que mon corps soit parcouru d'un agréable frisson.

— Alors qu'est-ce que tu veux entendre ? Hm ?

Je caresse sa paume avec mon pouce.

— Que tu peux toujours t'installer ici parce qu'un dressing entier n'attend que tes affaires ?

Ca me fait peur, sûrement autant que ça me donne envie. Qu'est-ce que j'ai envie d'entendre là, maintenant ? C'est simple.

— Que tu vas vraiment rester en Angleterre.

Mes yeux passent de sa main sur la mienne à son regard. Quand je plonge dedans, je comprends pourquoi j'ai eu peur de faire le mauvais choix. Il est toujours là, toujours le même et c'est tellement rassurant.

— Et que tu acceptes de venir déjeuner à la maison.