Need you now. — Adam & Gabi

J'ai envie de lui poser plein de question sur hier, mais sa tête quand il se rends compte de ce que je viens de lui dire ne laisse pas de place à un autre sujet.

— Pas jamais, juste rarement ! Très rarement, je rigole. C'est une douche la pire folie que j'ai vécue...

— Ah ok... j'ai eu peur.

Je souris et j'attrape la part de gâteau qu'il m'a pris pour commencer à la manger. Je ne prends pas la fourchette parce que je n'y arriverai pas à une main.

— Hey mais qui va me nourrir maintenant que t'es plus à la maison ? Comment je vais survivre la journée ?

Je rigole tendrement en l'entendant.

— C'est maman qui m'a appris presque tout ce que je sais ! T'as pas besoin de moi pour bien manger ! Puis crois pas que tu vas te debarasser de moi aussi facilement ! J'ai déjà prévu de venir faire mon repas dominical chaque semaine ! Et puis Max a cours les jeudi et vendredi, et toi aussi je sais, mais je vais beaucoup venir à la maison... Je vais déprimer tout seul dans le mobile-home !

— Pour me couper ma viande à cause de mon plâtre, je voulais dire.

Je réponds avec une mine boudeuse.

— Ton mobile-home...

Je dis en riant.

— On dirait un péquenaud. T'as des poules et des chèvres dans ton jardin aussi ?

— Je te préparerais des Tupperware le dimanche ! Comme ça tu pourras dire à tes potes au lycée que ton grand frère d'amour te prépare des gamelles.

J'ai envie d'espérer que la plainte ne va pas lui causer de torts et qu'il va pouvoir continuer à vivre normalement, et libre.

— Oh tu peux rire ! Je me suis assez foutu de sa gueule avec sa cabane au fond du jardin ! Mais quand j'ai vu le truc, j'ai pas eu le même discours. Tu verras ça, c'est un palace !

Je regarde l'heure, avant de me rendre compte que je ne sais pas quand je dois le redéposer, ni où.

— T'as le temps de venir y jeter un œil tu crois ?

J’affiche un pâle sourire. L’ambiance retombe d’un coup, comme si nous étions rattrapés par la réalité.

— Max sera là ? C’est pas que je veux pas le voir et tout, j’veux dire, si, je n’ai pas envie de le voir, mais pas par rapport à ce que t’as dit la dernière fois, juste parce qu’aujourd’hui, j’ai pas envie de voir grand monde.

Parce que j’ai encore une bonne heure devant moi, mais je n’ai pas envie de voir quelqu’un d’autre que mon frère.

— Il a un rendez-vous à neuf heures, mais c'est pas dit qu'ils vont pas rester pour voir l'église en direct. Y'a même de grandes chances...

Je souris, parce que je comprends tout à fait ce qu'il veux dire et que même si j'ai hâte qu'il voit l'endroit où je vais vivre, j'aurais tout le temps de lui montrer plus tard.

— Autant qu'on reste ici pour papoter ! On est bien là, tous les deux.

Et je porte mon gobelet à mes lèvres, pour lui montrer qu'on peut passer à autre chose. On reste lui et moi, c'est tout.

Ça me soulage qu’il comprenne. J’ai l’impression de me sentir exactement comme avant la Colombie. J’ai encore envie de m’enfuir.

— J’ai peur qu’Austin ait quelque chose de grave à l’épaule.

— Mais il lui ai arrivé quoi exactement ? Il l'a pris par surprise ou c'est la peur qui l'a paralysé ? Il lui a pété l'épaule ou... ?

Je ne comprends pas tout et j'avoue que je n'ai pas essayé jusque là. Gabriel m'a dit qu'il allait bien, j'ai été rassuré. Mais ma relation avec Austin fait que je ne me suis pas éternisé et que Gabriel a accaparé toute mon attention. J'espère juste que ce ne sera pas trop grave au point qu'il doive arrêter la natation...

— Son père lui est tombé dessus pendant qu'il sortait les poubelles au travail. Il est venu le chercher, hein, c'était pas un hasard mais...

Je m'en veux beaucoup de ne pas être resté ce soir-là.

— Puis il se défend jamais face à son père, je sais pas pourquoi. Apparemment, il est tombé sur l'épaule avant que son père continue de lui donner des coups et pour l'instant elle doit être immobilisée et après, il saura en fonction de l'évolution... s'il faut de la rééducation ou pas.

— Sûrement parce que ça reste son père, Gabou. On se rends pas compte nous, parce qu'on a jamais vécu ça... Mais j'imagine que face à ton propre père violent, tu dois perdre tous tes moyens.

Austin ne mérite pas ça. Lui et Darcy avaient enfin trouvés un foyer calme et paisible, loin de leur mère, et voilà que ça leur tombe dessus.

— Comment il a pu savoir où il travaillait putain ? Et à quelle heure ?

Ça me mets en colère, parce qu'il a malgré tout attaqué quelqu'un qui est comme ma famille.

— Bah.. c’est facile à savoir quand tu traînes un peu dans le coin. Apparemment, il est toujours en contact avec sa mère.. elle lui a dit qu’elle avait été placé dans un centre de réhabilitation alors...

Je soupire.

— Il mérite pas ça. J’aurais dû rester avec lui et maintenant, il ne va plus se sentir en sécurité si son père n’est pas enfermé et j’ai pas envie de ça. Il pouvait enfin souffler et se concentrer sur ses études et ça arrive. C’est injuste.

— Hey, non.

Mon ton est plus ferme que je ne l'aurais voulu, alors je me modère aussitôt pour qu'il ne croit pas que c'est contre lui que je suis en colère.

— Toi, t'as pas à t'en vouloir. Si t'étais resté, il se serait jamais présenté, mais tu peux pas être collé à Austin en permanence et il y a forcément un moment où il se serait retrouvé tout seul. C'est là qu'il aurait surgit. T'y es pour rien Gabriel, personne ne l'est. Son père est un con, qui aurait dû finir en tôle depuis longtemps, c'est lui le seul responsable.

Je pousse un bout de viennoiserie vers mon frère, qu'il grignote au moins quelque chose.

— Austin à un mental d'acier, il s'en relèvera. Et tu seras là avec lui pour lui faire entendre qu'il n'est pas seul, si jamais il a peur parfois...

J’entends bien ce qu’il me dit, mais je ne suis pas d’accord avec lui. J’ai déjà mangé un bout tout à l’heure et là, j’ai vraiment plus faim alors j’ignore un peu ce qu’il me propose et je bois mon café.

— Il a pas un mental d’acier, il est fatigué et il a des failles, comme tout le monde. Il est complètement choqué et en plus je viens de le laisser tout seul pour être avec toi parce que je suis égoïste. Si moi je suis pas là, il a personne de son âge. Enfin moi non plus, mais je t’ai toi et j’ai Marie et c’est pas pareil pour lui.

Je soupire.

— On peut rester 24 heures sur 24 avec des gens. Ou au moins être présent quand ils sont à l’extérieur.

Je lève les yeux au ciel, parce qu'il est incapable de comprendre qu'il n'est pas le vilain petit canard. Austin s'est fait agresser par sa faute. Personne m'a prévenu hier parce qu'il avait honte. Et voilà que maintenant il est égoïste parce qu'il le quitte une heure.

— Je suis pas en train de te dire qu'il est infaillible... Je dis simplement que par sa personnalité et son grand parcours sportif, il a un mental beaucoup plus prononcé et fort qu'une personne lamba. Forcément qu'il est fatigué, mais j'ai confiance en lui et je sais qu'il saura reprendre le dessus parce que c'est un battant...

Je soupire à mon tour, incapable de savoir quoi dire sans qu'il ne se sente coupable.

— C'est impossible d'être 24 heures sur 24 avec une personne sans finir par créer des tensions Gabou. Pas quand on fait ça simplement pour protéger l'autre, en tout cas. Il se sentirait infantilisé...

Je hausse les épaules.

— Tant qu'il est en sécurité, c'est pas grave. Puis j'aime bien être avec lui, moi. Toi t'es bien tout le temps avec Max. Enfin pas maintenant, mais tu vois ce que je veux dire ? C'est pas...

Je soupire.

— Pour l'instant, ça me fait peur qu'il soit tout seul ou qu'il aille pas bien. Et si jamais j'suis envoyé j'sais pas où ou.. enfin j'sais pas. Je suis complètement dépendant de lui et j'ai l'impression que c'est pareil pour lui, mais c'est peut-être pas vrai. En fait ça m'effraie d'aimer quelqu'un comme ça. Genre... Vraiment.

— Bien sûr que je vois ce que tu veux dire, je souris. Mais j'imagine que la situation est différente. Etre en permanence avec quelqu'un naturellement, y'a pas de souci. Mais le coller simplement par peur, ça doit être moins facile... Maintenant, si t'as déjà envie d'être tout le temps avec lui de base, alors ne t'en prive pas. Laisse lui juste entendre que c'est le cas, qu'il n'aille pas penser j'sais pas quoi.

J'ai peur qu'on fasse du mal à mon petit frère et qu'on l'envoie en prison. Je suis quasiment convaincu qu'on saura prouver qu'il a agit pour défendre Austin, mais ça ne m'empêche pas de penser à l"au cas où".

— Avec un bon avocat au besoin et les circonstances de ton acte, y'a de grandes chances que tu n'ai pas à partir... Et si jamais, tu vois, si tu devais... Je le laisserai pas tout seul Gabou. Ce sera certainement dur au début, mais je te promets que j'essaierai encore et encore d'aller vers lui, jusqu'à ce qu'il s'épuise lui-même et accepte que je sois là.

C'est une promesse que je me fais à moi-même. C'est une chose qu'Austin ne m'ai jamais pardonné, ça en est une autre de le laisser traverser ça sans aucune aide, ni aucun réconfort.

— Mais faut y croire, ok ? Ça va aller, vous serez pas séparés et tu auras tout le temps d'être certain si vous êtes tous les deux autant dépendant l'un à l'autre.

J'écoute attentivement mon frère et il me rassure. Pour de vrai. Je crois que c'est exactement ce que je voulais entendre parce que, même si c'est du choix d'Austin, ça me peine énormément qu'ils ne se parlent plus. J'ai beaucoup de mal à comprendre qu'Austin ne tourne pas la page et qu'il s'accroche à des propos que mon frère a dit quand il était en colère à ce point. Rien que de penser à la situation, mon coeur se serre parce que ce n'était pas du tout ce que j'imaginais. Ça me fait peur qu'il soit aussi rancunier, d'ailleurs, parce que ça signifie que je n'ai pas le droit à l'erreur, je n'ai pas le droit de péter un plomb, pas le droit de dire des choses qui dépassent ma pensée, sinon il me quittera. J'ai l'impression que je dois faire attention à tellement de choses, que c'est parfois compliqué d'être moi-même. Alors c'est un nouveau moi – de toute façon, il ne pourra pas être pire que l'ancien.

— Merci.

Je réponds après un long moment.

— Je sens qu'il va quand même m'arriver quelque chose parce que c'est la première fois que les flics sont aussi sympa avec moi.

Je lui souris sincèrement, parce que ce qui nous lie maintenant est fort et que je ne laisserai pas la personne qu'il aime de côté. Encore moins Austin. Et qu'au fond de moi, même si j'ai appris à vivre avec, ça me peine que tout en soit ici. Si ça dure entre eux, j'espère bien ne pas devoir rester à la porte de toutes les pièces où ils vivront des moments forts...

— Ils sont peut-être sympa parce que, cette fois, tu n'as pas fait de conneries ? Enfin, si ! Si bien sûr que c'est une connerie, mais tu vois ce que je veux dire... Peut-être qu'ils sont sympas, parce que mauvaise action ou pas, la justification de ton acte est compréhensive.

Je hausse les épaules.

— J'en sais rien, c'est quand même un truc dont on doit se confesser, ça. Donc... hey mais imagine que je ne puisse plus aller à l'église ?? Je vais finir par tuer maman.

Je pensais que je m'étais calmée et finalement, je fais le pire que je n'ai jamais fait depuis toujours.

Je ne peux pas m'empêcher de rire parce que franchement, s'il ne peut plus aller à l'église, ça voudra dire qu'il sera vraiment dans la merde et je ne suis pas sûr que ce soit ce qui inquietera le plus maman.

— Déconnes pas ! Tu dois chauffer l'autre enfoiré pour qu'on puisse partir à Paris oh ! Moi je veux assister à ça. Alors t'as bien intérêt d'y revenir à l'église.

— Ah ouais. Putain, faut que je le chauffe lui. Ce sera marrant.

Je soupire. Bizarrement, je sens que ce ne sera pas pour tout de suite. Je regarde ma montre.

— Bon bah... faut que tu me ramènes. Je dois récupérer Austin pour qu’on y aille...

Je soupire, parce que ça me fait peur et parce que je sais qu'à l'instant où je vais le voir retrouver Austin, je vais encore me sentir comme la cinquième roue du carrosse.

J'attrape le reste de viennoiserie que je foure dans ma bouche et me lève.

— Alors c'est parti mon kiki.

Je lui souris et d'un geste, il me suit et on se dirige vers la voiture.

— Je te redépose à la maison ?

J'acquiesce. Je le remercie un milliard de fois d'être venu et d'être mon frère parce qu'il ne réalise pas à quel point c'est important pour moi de savoir qu'il est là. Tout le temps. De moi-même, je lui fais un énorme câlin avant de reprendre sur moi et de monter dans la voiture.