Here we go again. — Austin & Gabriel

— Non, qu'il t'arrive quelque chose. Tu étais à l'autre bout du monde, dans un pays en guerre, c'est ça qui me faisait peur.

— Oh..

Je lui adresse un pâle sourire.

— C’était dangereux mais on était prudent. Et je dois reconnaître que ça me manque un peu. J’aimerais beaucoup y retourner.

— En Colombie ou dans un autre pays ?

— En Colombie. Au même endroit.

— D'accord.

Je reste silencieux un moment. Je crois qu'une part de moi aimerait beaucoup aller avec lui, parce que je ne veux pas revivre l'angoisse que j'ai connu quand il était loin. Mais l'autre part de moi pense à Darcy, s'il m'arrivait quelque chose, elle n'aurait plus de famille. Bien sûr elle aurait Madeleine et Paul, mais plus personne qui porte le même sang qu'elle.

D’accord. C’est tout. Je prends ça pour un non silencieux et je n’en parlerais plus. Je crois que j’ai gâché le moment et je me sens nul, encore une fois.

— On trouve un truc à manger ? Je risque de tuer des gens si je mange pas.

J'embrasse son front et on se rhabille, je me sens apaisé.

— Qu'est ce que tu veux manger ?

Je demande en démarrant pour reprendre la route.

— Un bon gros hamburger bien gras. Avec des frites au cheddar. Supplément bacon.

Je dis dans un sourire.

— Mais si tu veux autre chose, on va ailleurs.

— Non, c'est parfait.

On s'arrête au fast food, moi je prends une salade, mon appétit n'est pas encore entièrement revenu. Il y a plusieurs personnes du lycée.

— Est-ce que ça va ?

Par rapport à son angoisse de ce matin.

Je hausse les épaules. Au fond, je les emmerde. J’ai juste peur qu’à un moment quelqu’un vienne me chercher des noises parce que j’ai clairement pas le droit de riposter. Je dois vraiment me tenir à carreau.

— T’inquiète pas. Je suis avec toi, je me sens bien.

Je lui adresse un sourire sincère.

— Bon appétit mon amour. Et t’as le droit de me piquer des frites.

Je rougis, j'aime quand il m'appelle comme ça. Je prends sa main et j'embrasse ses doigts avant qu'il ne commence à manger. Je lui pique une frite et grignote ma salade.

— Tu crois qu'un jour tu me raconteras vraiment tout ce qu'il s'est passé en Colombie ?

Je hausse les épaules.

— J’en sais rien.. je crois que je ne saurais pas le décrire ou le raconter vraiment. C’est... c’était effrayant, par moment. Mais on est là, on a un objectif et on pense pas au danger. Alors si je te raconte qu’on nous a tiré dessus, tu vas paniquer alors que moi.. j’ai pas eu peur à ce moment-là. Peur qu’on n’y arrive pas, oui. Mais pas pour ma vie. Et.. voilà. Mais ne dis pas ça à Adam, hein.

Quand il m'annonce qu'on leur a tiré dessus, mon coeur rate un battement. Ce n'est pas de la fiction, ce n'est pas un reportage que l'on regarde à la télévision, il a réellement été visé par des tirs. Je secoue la tête.

— Je ne dirai rien, mais tu n'avais pas peur des conséquences ?... Enfin, je veux dire, ça ne te faisait pas peur par rapport à tes proches s'il t'était arrivé quelque chose ?

— J’y ai pas pensé. Je suis pas aller là-bas pour moi ou pour mes proches. J’y suis allé pour ces gamins qui ont besoin d’aide. Ils vivent là-bas en tout temps alors que je suis rentré chez moi et... j’en sais rien. J’crois que les autres j’y pensais pas parce que j’aurais rien fait autrement. Moi j’ai envie de vivre. J’ai pas envie de me poser de questions sur ce que pense les autres parce que sinon... je serais pas avec toi, j’aurais pas démoli ton père ou alors j’aurais pas trouvé ma voie. J’ai envie de faire quelque chose, je le fais et si ça gêne alors tant pis. Si ça vous inquiète, j’en suis désolé mais c’est comme ça. Et s’il m’était arrivé quelque chose, ça aurait été la volonté de Dieu. C’est tout. Je t’aime, hein, mais j’arrêterai pas de vivre pour autant parce que je sais ce que ça fait d’être enfermé. Je vivrais plus ça. J’ai plus envie.

— Jamais je ne t'empêcherai de vivre.

Je ne comprends pas pourquoi il dit ça.

— Je crois que j'aimerais bien pouvoir penser comme toi, mais je n'y arrive pas, je ne peux pas m'empêcher de penser à Darcy, si jamais il m'arrivait quelque chose.

— Mais si jamais il ne t’arrive rien.. ?

Je le regarde tristement.

— Je n'ai pas peur qu'il m'arrive quelque chose.

Je crois que je le comprends sur ça, même si pour moi ce ne serait pas la volonté de Dieu.

— Mais je ne veux pas que Darcy se retrouve, pas seule, parce qu'il y a tes parents et que tu es là et Adam et Marie aussi, mais sans moi.

Je n’arrive pas à me mettre à sa place, alors j’ai du mal à le comprendre.

— Elle ne sera pas sans toi, de toute façon. Tu le sais très bien.

Depuis que Paul et Madeleine ont pris notre tutelle, j'ai l'impression d'avoir un peu perdu ma place, de ne plus être l'adulte qui m'occupait de tout, et c'est déstabilisant car je n'ai jamais pu être seulement un grand frère et je suis un peu perdu sur la place que je suis censé avoir maintenant.

— Toi aussi tu penses que je ne me conduis pas comme il faudrait avec elle ?

Je fronce les sourcils.

— Pourquoi « moi aussi » ? Et pourquoi tu te conduirais pas comme il faudrait.. ?

— Parce que j'ai conscience que je me conduis avec elle, comme si elle était ma fille.

Et ce n'est pas facile pour moi de l'admettre à voix haute.

— Maintenant qu'on n'a plus tous nos soucis, je ne sais pas juste être son grand frère.

J’affiche un pâle sourire.

— J’peux pas t’aider. Je suis le dernier de ma fratrie alors... tu pourrais demander à mon frère ou ma sœur ? Mais t’sais... Marie et Adam agissent souvent avec moi comme s´ils étaient mes parents, alors.. je suppose que c’est un truc d’ainé.

Je lui fais un sourire résigné.

— Je suppose. Tout à l'heure tu as dit que tu avais trouvé ta voie, qu'est ce que tu voulais dire ?

— Eh bien... je sais ce que je veux faire plus tard. Comme métier.

— Je suis heureux que cette mission t'aie aidé à trouver ta voie.

Je lui souris.

— Tu vas réussir, je le sais.

J'ai l'impression que les rôles se sont inversés entre nous, avant j'étais celui qui savait ce qu'il voulait faire, qui avait un but, et maintenant c'est lui qui sait où il va et ce qu'il veut faire. Je comprends maintenant ce qu'il ressentait à l'époque où il ne savait pas.