It doesn’t get better — Adam et Logan

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, ce que j’y vais et si je suis venu seul. Je patiente une minute, deux, dix. Apparemment je suis seul.

Je fouille dans mes poches et je trouve des clés, un portefeuille et un portable. Logan Wheeler, 36 ans. Je vérifie sur ma carte d’identité, je ne me suis pas trompé. J’essaie de ne pas ceder à la panique. Je sors mon téléphone, j’essaie de le déverrouiller, une fois, deux fois. J’essaie la date de naissance de ma fille. J’ai une fille. Ça fonctionne. Je scrute mon écran, je me demande qui appeler quand je vois un dossier appelé « Si tu es confus, ouvre-moi ».

Je l’ouvre. Dedans il y a un fichier photo appelé « famille » et une note. J’ouvre les photos. Adam, ton fiancé. Olivia, ta fille. Poisson, ton chien. Pandore, ton chat. Je sens que c’est là, comme bloqué derrière un écran de fumée. Je n’arrive pas à me rappeler.

J’ouvre la note.

« Si tu ouvres ça, c’est que tu as une amnésie passagère. Ne panique pas, tout va rapidement rentrer dans l’ordre. Le brouillard va se dissiper et tu vas te souvenir.
Sois rassuré, tu n’étais pas seul avec ta fille et tu ne l’as pas perdu, tu ne souhaites pas rester seul avec elle pour le moment alors Adam veille à ce que vous soyez toujours tous les trois si vous quittez la maison.
Trouves un endroit calme où tu peux t’asseoir. Respire un bon coup, fais le vide. N’essaie pas de te rappeler, ça reviendra tout seul.
Si nous sommes lundi, mardi, mercredi entre 8 h et 20 h, Adam est à Londres pour ses cours. Tous les autres jours, il est  rarement loin.
Ne conduis pas, ne parle à personne.
Appelle Adam, il viendra te chercher. Tout va bien. »

Tout va bien. Je me répète cette phrase à de nombreuse reprise avant de me faire confiance et de téléphoner à ce fameux Adam.

Nous sommes lundi, il est 19 h 45.

Le train est en train de freiner brutalement lorsque j'entends mon portable sonner. Je me prends une valise dans les jambes, un sac en plein visage et quand je veux attraper mon téléphone, les portes s'ouvrent et c'est la cohue pour sortir du wagon. Bande de sauvages !

Le temps de descendre à quai, j'ai peur d'avoir raté mon appel, mais ça sonne toujours quand je sors mon portable et quand je vois que c'est Logan, je souris comme un con.

— Allô mon cœur ? Je viens juste de descendre du train, je suis à la maison dans pas longtemps ! Ça va ?

Je reste un moment sans rien dire, essayant d’associer la douceur de ces mots à un quelconque souvenir. Je connais Adam, je le sais, mon cœur palpite au son de sa voix.

— Euh.. bonsoir. J’ai.. je dois appeler mon fiancé si je suis perdu alors.. c’est Adam..?

Des amnésies passagères, ça arrive plus souvent que Logan ne le voudrait. Mais là, quand je l'entends me parler d'Adam comme s'il n'avait pas la moindre idée de qui ça pouvait être, ça me retourne l'estomac.

— C'est bien moi Logan, oui. C'est Adam.

Mais je suis un adulte, qui plus est une personne responsable de la personne qu'il aime, alors je dois rester fort et ne pas lui laisser entendre que j'ai peur. Ma voix est remplie d'amour.

— Dis-moi, t'es où comme ça ? T'as besoin que je vienne te chercher ou t'as Poisson et Pandore pas loin de toi ?

Je sais qu'il a tout noté sur son téléphone et que s'il m'a trouvé dans ses notes, il y aura aussi vu le nom de nos animaux.

— Hm.. j’ai... personne. Pas d’animaux. Je suis dans un supermarché.

Il y a un panier près de moi.

— Je crois que je faisais des courses. J’ai.. des pâtes, du saumon et... oh. Des chocolats que tu aimes.

Je ne sais pas comment je sais qu’il les aime, mais je sais que c’est le cas. Sa voix m’apaise et me rassure.

— Je suis désolé, je ne connais pas mon code de carte bancaire.

Je souris quand il parle des chocolats que j'aime. Il a du mal à se souvenir de qui je suis pour lui, mais il sait quels chocolats j'affectionne. C'est quand même dingue, les aléas du cerveau.

— Et on adores les pâtes au saumon, alors t'as du avoir une envie incontrôlable pour aller t'enfoncer au supermarché à cette heure ci.

Heureusement pour moi, il n'y a qu'un supermarché à White Falls et il est dans le centre, pas loin de là où je suis. Ça me rassure au moins un peu. Il est tellement vulnérable dans ces moments là.

— De la gare j'en ai pour quoi... Même pas une dizaine de minutes à pied. Tu continues de prendre ce qui te donne envie et je te rejoins ! Tu me tiens compagnie au téléphone pendant que je fais le trajet ?

Je n'ai vraiment pas envie de raccrocher, et le médecin m'a dit que c'était mieux, de ne pas lui montrer que j'étais trop inquiet. Alors comme ça, Logan va penser que c'est pour moi, et non pour rester en contact permanent avec lui.

— Euh.. d’accord.

J’aurais préféré sortir, prendre l’air. Je crois que je ne me sens pas à l’aise du tout, ici. J’ai l’impression que tout le monde me regarde. Que tout le monde sait.

— Je vais sortir. Je reste en face. Mais je sors.

Je le préviens. J’abandonne tout et je sors rapidement. Je croise le regard d’un vigile que je reconnais. Il travaille aussi dans l’immeuble où je travaille en tant que kiné. Ah non, j’y travaille plus.

— Qu’est-ce qu’il m’arrive ? J’ai une maladie ?

— Sors y'a aucun souci ! Tant que tu restes pas loin qu'on puisse se retrouver.

''Que je puisse te retrouver'', ça donne l'impression qu'il est un enfant. J'essaie vraiment de faire attention à mes mots, pour ne pas le mettre plus mal qu'il ne doit être.

— Non Logan, tu n'es pas malade...

C'est dur de l'entendre ainsi, ne pas savoir ce qu'il lui arrive et à peine se souvenir de sa propre vie.

— Tu as eu un accident de voiture l'an dernier et tu as subi un gros choc. Ces amnésies temporaires surviennent parfois, on ne sait pas ce qui peut les déclencher, ni combien de temps ça va durer. Parfois tu oublies simplement ce qu'on était en train de faire et d'autre, c'est un peu plus lourd. Mais ça va aller mon cœur, ça va passer, je te le promets.

Il a une façon de parler qui m’apaise et me rassure. Je me sens en sécurité quand il me parle et c’est presque effrayant de sentir que mon inconscient a confiance à ce point en une personne que je suis incapable de resituer.

— Continue de parler.

Je demande presque aussitôt.

— Parle-moi de toi.

Et je l'écoute. Je l'écoute parce qu'il a forcément une raison à me demander ceci. C'est peut-être juste le fait de ne pas être seul qui le rassure. Peu m'importe, tant que ça peut l'aider un temps soit peu.

— De moi ? Et bien écoute, actuellement j'ai froid parce que je suis parti de la maison sans veste ce matin. Bien entendu, tu m'as embrouillé en me disant qu'on n'était plus en été, mais comme j'aime pas avoir tort et qu'on me le fasse remarquer, je t'ai tenu tête.

Je revois sa tête ce matin quand il m'a vu partie sans veste. Je crois qu'il a voulu me jeter contre un mur. Ça me fait rire.

— Je peux aussi te dire que si je suis à pied c'est parce qu'on a décidé de faire la majorité de nos trajets sans véhicule motorisé. Même le scooter d'Alexis, une de nos proches amies, tu veux pas que je monte dessus. Enfin... Ça c'est peut-être parce que c'est pas la meilleure conductrice du monde, mais bon !

— Bien sûr que je veux pas que tu montes sur ce scooter, Adam ! Même elle, elle devrait pas monter dessus ! Elle est en panne toutes les cinq minutes !

C’est comme une libération ; d’un coup, je me souviens. J’ai tout qui me reviens et surtout, je me rappelle à quel point je l’aime. Ça me fend le cœur de réaliser qu’il a encore dû vivre ça.

— Pardon mon bébé. Je suis désolé. T’arrive par la grande avenue ? Je te rejoins.

Je ne lui laisse pas le choix, je raccroche. Je veux faire le vide avant d’arriver à lui et rajouter quelque chose dans mes notes : « Tu n’es pas malade, tu as eu un accident de voiture et plusieurs mois de coma qui ont laissé des séquelles. Adam t’aidera, écoute-le parler, laisse-le te toucher. »

Je tourne à l’angle de la rue pour regagner la grande avenue et je le vois traverser pour me rejoindre sur le trottoir.

Quand j'entends Logan redevenir Logan, ça me retourne de nouveau l'estomac. Est ce que c'est de parler d'Alexis ou de ma sécurité qui l'a fait tilté ? Est-ce qu'il a pu voir quelque chose qui lui a fait un électrochoc ? Je n'en sais rien. Mais je n'ai pas le temps de lui poser la question, parce qu'il raccroche sans me laisser le temps de le faire.

J'assimile à peine ce qu'il vient de me dire et finalement, je presse encore plus le pas. Il m'a dit qu'il arrivait sur la grande avenue, ça veux dire qu'il est forcément tout près. En effet, je le vois sur le trottoir d'en face et je ne perds pas une seconde pour traverser.

— Mon cœur...

Je souris en m'approchant de lui et en venant le prendre dans mes bras.

— Ça va ?

Je demande plus par crainte qu'autre chose, parce que je connais déjà la réponse.

Je regarde pour lui s’il y a une voiture parce qu’apparemment il oublie de le faire et je l’accepte volontiers contre moi. Je le serre fort, certainement plus que d’habitude.

— Ça va. Je suis désolé.

J’embrasse ses lèvres à plusieurs reprises.

— Désolé. Je ne me rappelle même pas ce que je faisais là, depuis combien de temps. La dernière chose dont je me souviens c’est d’être dans le jardin en train de ranger le barbecue.

Je lui souris pour le rassurer.

— Ça va, c’est passé.

Je retire ma veste pour l’enrouler autour de ses épaules et je passe un bras autour de sa taille.

— Il fair froid, on y va.

C'est inquiétant de se rendre compte de ce que son cerveau peut lui jouer comme tour. Je lui dirai bien d'aller voir un médecin et en même temps... Pour quoi faire ? Ils lui ont déjà dit tout ce qu'il y avait à savoir et hormis essayer de se poser en attendant que ça passe, personne n'a trouvé de solution miracle.

— T'excuses surtout pas mon cœur, ça va.

Je réponds à ses baisers avec un amour évident et accepte sa veste volontiers pour retourner à la maison. On se les caille.

— C'est bien que tu ai eu le réflexe de m'appeler, ça veux dire que tes notes sont suffisamment claires pour que tu te fasses confiance dans ces moments là.

Et c'est toujours ça de prit quand à la sûreté.

Je souris.

— Je n’ai pas le choix. Comment je fais sinon ? Il faut que je retire mon code pour déverouiller mon portable. Aujourd’hui, c’était vraiment bizarre. Si je n’avais pas pu le déverouiller, ça aurait posé problème.

J'avais même pas pensé à son code. En effet, comment il aurait fait s'il ne s'était pas souvenu de cela...

— C'est assez dingue, parce que t'as quand même été capable de te rappeler de la date de naissance d'Olivia et des chocolats que j'aime bien...

Je serais curieux de savoir comment tout se passe pour que ça en arrive là.

— Il vaudrait mieux que tu n'en ai pas, en effet. On ne sait jamais...

J’acquiesce. Moi aussi, j’aimerais bien comprendre comment certaines choses peuvent être des automatismes alors que d’autres qui semblent plus évidentes son impossible à se remémorer.

— Et j’ai eu peur que tu montes sur un scooter et je me suis rappelé. Je ne sais même pas comment ça vient.

Dans deux minutes on est chez nous. D’un coup, je fouille dans mes poches.

— J’ai pas de clé de maison. J’crois que j’ai pas fermé à clé ! Fait chier. J’suis désolé.

J’espère au moins que j’ai fermé la porte parce que sinon va falloir qu’on aille chercher Pandore dans tout le quartier.

— La prochaine fois, je te dirais que je m'apprête à sauter en parachute.

À force, j'ai appris à en sourire plutôt qu'à en pleurer. Il n'a jamais été blessé, en danger ou mal en point, alors pour le moment, hormis la peur, il n'y a pas de mal.

Et puis j'entends qu'il n'a sûrement pas fermé la porte et là, ça prête un peu moins à sourire. Ça pourrait s'avérer dangereux et même si j'essaie de ne pas m'inquiéter, je ne peux m'empêcher de craindre ce qu'on va retrouver. Ou non.

— C'est rien, viens. On va voir ce qu'il en est !

Logan n'est pas responsable et je ne le tiendrais fautif en aucun cas. Je me contente de lier nos doigts et de nous diriger vers chez nous. Déjà, la porte est fermée.

La porte est fermée, c’est tout ce qui compte. Quand on entre, Poisson et Pandore arrivent dans nos jambes et ça me soulage. Tout est ok.

— On va installer un truc pour que la porte se referme toute seule, non ? Et qu’on ne puisse pas l’ouvrir de l’extérieur.

Je soupire. Je sais à quel point il a peur des cambriolages et j’ai vraiment peur qu’un jour, il ne se sente plus en sécurité avec moi.

— On va trouver des solutions.

— Non, ça je ne veux pas. Qu'est-ce qu'on fait si ca t'arrives quand je suis à Londres, que tu vas dehors et que t'as pas tes clés sur toi. Tu peux pas rentrer de la journée ? Tu traines pendant des heures en attendant que je rentre. Vraiment, non.

Je me débarrasse de toutes mes affaires, parce que j'ai encore mon pc et le reste, avant de déposer un baiser sur la joue de Logan.

— Par contre, qu'elle se referme seule c'est une bonne idée ça. C'est déjà une première sécurité pas négligeable !

Je fais un gros câlin à Pandore et Poisson, accroupi par terre, rassuré qu'ils soient là eux aussi.

— Mais oui, on va trouver des solutions. Il y en a forcément !

— J’irais chez tes parents, s’il faut...

Je soupire un peu.

— J’ai pas envie que tu ne te sentes pas en sécurité à cause de moi. Même si ça n’arrive pas souvent ce genre de situation, ça arrive. Ouvrir la maison avec un code ? Ça t’irait ? On pourrait faire ça, non ?

— Et si tu es parti sans portable ? Tu te souviens comment du code ? Tu pourrais même pas m'appeler !

Je viens de me faire une énorme frayeur. Chaque fois que ça a pu arriver, il avait son téléphone avec lui. Mais il se passera quoi si un jour il ne l'a pas ? Comment il saura qui il est, où il est, comment il doit rentrer, où rentrer ?

— J'ai pas peur pour moi Chéri...

J'avoue en relevant les yeux vers lui. Oui j'ai peur des cambriolages et de toutes ces conneries, mais j'ai encore plus peur pour lui.

— Bah... j’vais me tatouer ton numéro de portable sur la main. J’en sais rien. Un bracelet gravé ?

Je me penche pour l’attirer contre moi et lui faire un calin.

— Je n’ai pas envie que tu sois inquiet pour moi. Tout va bien. C’est rare.

Un bracelet gravé ça pourrait être vraiment pas con. Ça permettrait de graver à la fois un numéro de portable, mais aussi un code de déverrouillage au besoin.

— On va penser au bracelet un peu plus sérieusement. Ça semble être une meilleure idée que le tatouage.

Je souris en me laissant aller à son câlin.

— Je sais, mais ca n'empêche rien. Chaque fois on a eu de la chance, mais si jamais il devait arriver quelque chose ou... Pardon. C'est nul de penser à ça.

— Ok, on va y penser alors.

Je caresse tendrement sa nuque.

— C’est pas nul.. je ne m’imagine pas dans ta position. Mais à priori, je ne risque pas de prendre le volant ou de faire quelque chose de vraiment dangereux. On va penser à la sécurité pour la maison et on va trouver les meilleures solutions pour que tu sois tranquille.