Distance. Gabriel / Austin

Je n’ai pas dormi de la nuit. Comme depuis trois jours. Avant j’arrivais à me mentir à moi-même et à utiliser ces insomnies pour bosser mes partiels, mais cette nuit je n’y suis pas parvenu. Au fond de moi, je sais que c’est terminé et que j’ai tout gâché. Je sais qu’il ne pourra plus me faire confiance, je sais qu’il y aura toujours une distance entre nous et ça me ronge. Je ne suis pas du tout à ma place ici et je n’arrive même pas à me regarder dans le miroir. Peut-être qu’il m’aimait avant, quand je n’ai pas su le voir, mais aujourd’hui c’est terminé. Il m’aimera toujours moins, il aura toujours des doutes et il finira par me détester.

Je suis couché dans le canapé quand il entre dans l’appartement. Je me redresse comme un con, sans savoir quoi dire ou faire. Je reste droit comme un i, en oubliant presque de respirer.

Il est dans le canapé, il se redresse. Je crois que lui non plus n'a pas dormi de la nuit.

— Tu n'étais pas là ce matin...

— Euh... non. Je me suis dit que t’avais pas envie de me voir. Puis... j’aurais pas été très à l’aise alors.

Je regarde l’heure sur la box de la télé.

— La messe est dans une heure, tu devrais y aller. Darcy aime bien quand tu es là.

— Je le pensais aussi.

J'avoues, je pensais quand je n'aurais pas envie de le voir.

— Mais c'était encore plus étrange que tu ne sois pas là. Écoutes...

Je m'assoie sur le fauteuil en face de lui.

— Je suis perdu, mais je sais que j'ai envie que tu viennes à l'église avec moi.

Je secoue la tête.

— J’ai pas envie de voir mon frère ou ma mère ou Logan. J’ai pas envie de faire semblant, là j’y arriverai pas.

Je me sens vraiment trop mal pour ça. Je sais que c’est de ma faute et que je devrais assumer mes erreurs, mais au milieu de ma famille, c’est pas possible. Je les ai trop déçu avant.

Quand il me dit ça, je comprends que son frère et Logan sont au courant. J'hésite plusieurs secondes puis je vais m'assoir à côté de lui. J'hésite encore et mon geste est maladroit mais je lui prends la main.

— Personne n'aura rien à dire si je te tiens la main. C'est entre nous et je n'ai pas envie que tu fuis ta famille parce que nous avons des problèmes.

Je serre sa main, comme s’il n’y avait que ça à quoi je me raccrochais.

— Je sais que c’est entre nous et qu’il n’y a que nous que ça regarde, maos moi je peux pas arriver aujourd’hui en te tenant la main alors que je t’ai vraiment blesser. Me demande pas ça, s’il te plaît. Ils savent pas, ça les regarde pas, mais moi je sais et c’est suffisant pour que j’ai honte pour le moment. S’il te plaît. Je peux pas y aller. Pas aujourd’hui.

J’ai pas envie qu’il me pardonne pour les apparences. Je préfère nettement que ma famille me dise que je suis un con plutôt qu’il reste avec moi pour leur faire plaisir et prétendre que tout va bien.

Il serre fort ma main, ça faisait trois jours qu'on n'avait eu aucun contact et je réalise à quel point ça m'a manqué.

— Je comprends. Ta mère m'a dit que peu importe ce qu'il se passe, elle nous aimera toujours. Elle t'aimera toujours.

C'est important qu'il le sache.

— J’en doute pas. Mais pour l’instant, moi je ne m’aime pas. J’espère que tu comprends pourquoi je ne veux pas venir...

— Je comprends.

Je me relève et je nettoie le bar de la cuisine, il y a des choses qui trainent dessus.

Je le vois ranger quelque chose et je ne comprends pas.

— Tu restes.. ? Tu vas pas à la messe ?

— Je ne sais pas.

Je ne sais même pas ce que je suis en train de faire. Je crois que je suis perdu, totalement, dans tout. Je l'aime et je lui en veux en même temps. Tout est complètement chamboulé en moi et cette nuit passée à réfléchir ne m'a pas aidé à y voir plus clair. Je suis malheureux quand je le regarde, et je suis malheureux quand je suis loin de lui. Je suis épuisé et complètement vidé par tout ce que je ressens.

Je ne sais pas ce que je dois faire, je sais que le petit ami l’a déçu, peut-être même qu’il ne veut plus en entendre parler, mais l’ami est toujours là. Alors je me lève et je m’approche doucement pour le prendre dans mes bras. J’ai vraiment peur qu’il me rejette alors j’attends sa réaction avant de parler.

Il me prend dans ses bras et si au début je me crispe, je réalise rapidement que mon corps tremble. Je ne sais pas si c'est la fatigue, le fait que j'ai à peine mangé durant ces trois jours, ce que je ressens, ou tout à la fois. Je n'arrive pas à le serrer dans mes bras,mais je ne le repousse pas.

— Je suis fatigué de tout ça.

Je murmure. Ça fait trois jours qu'on souffre tous les deux sans en voir la fin.

Je le serre contre moi et je caresse son dos ; il ne me rend pas le câlin, mais il ne me repousse pas.

— Je sais, je suis désolé parce que c’est de ma faute. Je sais pas comment je vais faire, mais je vais essayer d’arranger tout ça...

Je le relâche, des fois qu’il n’osait pas me repousser pour être gentil.

— Tu devrais y aller, pour Darcy. Je ne bougerai pas d’ici, moi. Tu peux aller déjeuner là-bas et y passer l’après-midi et... je vais préparer à manger pour ce soir, pour nous. Et tu viens si tu en as envie, si tu te sens prêt.

Il me lâche et je me recule. Je crois qu'il a raison, je devrais y aller, être ici ne m'aide pas à y voir plus clair. Je hoche la tête.

— Merci.

Je le regarde plusieurs secondes et je quitte l'appartement.

***
En fin d'après midi j'ai prévenu Madeleine et Paul que je rentrais chez moi. Seulement il est plus de minuit et je suis toujours dans ma voiture. J'ai tourné dans la ville sans savoir ce que je devais faire, ce que je désirais. Et je me retrouve là à regarder les fenêtres de chez nous à travers le pare-brise et à me trouver ridicule. Je soupire et je finis par descendre. Quand je rentre dans l'appartement tout est éteint, je n'ose pas faire de bruits. Je pose mon sac par terre et je retire mes chaussures.

À 19 heures tout est prêt. Plus tôt, même. Je tourne en rond et le temps passe. C’est à 23 heures que je réalise qu’il ne viendra pas et j’éclate en sanglots. Tout ce que je retiens depuis plusieurs jours sort et ça ne m’aide pas du tout à aller mieux, au contraire. C’est pire. C’est pire parce que je suis seul et que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.

Je balance tout dans la poubelle et j’éteins tout avant d’aller me doucher, comme si ça pouvait m’aider à aller mieux. Mais je laisse couler l’eau et je continue de chialer sous la douche comme la merde que je suis.

J'avance dans l'appartement, Balthazar vient me faire la fête, je m'accroupi quelques secondes pour le caresser, puis j'entends l'eau qui coule dans la salle de bain. Il ne se douche jamais à cette heure-là, je ne saurais pas l'expliquer mais j'ai un mauvais pressentiment. Je frappe à la porte.

— Gabriel ?

Mais je n'attends pas rentrer, il est assis par terre dans la douche, son corps est presque aussi bleu que ses lèvres. Je touche l'eau.

— Merde.

Elle est glacée. Je l'éteins rapidement et j'attrape un gros peignoir avant de l'enrouler dedans.

— Mais tu es là dessous depuis combien de temps ?

J'essaie de le relever.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Je suis perdu dans mes pensées. C’est Austin qui me sort de là ; je tremble de partout, je suis frigorifié et me lever est vraimenr difficile.

— T’es rentré.. ?

Je claque des dents à tel point que je me mords la langue.

Dès qu'il se lève je l'essuie rapidement et au maximum.

— Oui, je suis là.

Il est fébrile sur ses jambes, je n'imagine pas ce qu'il serait arrivé si j'étais arrivé plus tard, ou pire encore, si je n'étais pas venu. Je le soulève dans mes bras et le porte jusqu'au lit.

— Bon sang tu es complètement gelé.

Je glisse mes mains sous la couette pour frictionner vivement ses jambes et le reste de son corps pour relancer sa circulation.

— Qu'est ce qu'il t'a pris ?

J’ai un peu de mal à réfléchir tellement j’ai froid ; j’ai mal dans tout le corps et ça m’empêche d’avoir mal au cœur.

— C’est pas grave.

Je chuchote.

— Bien sûr que si c'est grave.

Je dis en frictionnant énergiquement son bras.

— Tu es à deux doigts de frôler l'hypothermie.

Je retire le peignoir et je vais rapidement chercher la deuxième couette qui est rangée dans le placard et je le recouvre jusqu'au cou.

Actuellement, je m’en fiche. Je voulais juste oublier ma peine et je suis assez anesthésié pour ça. Il s’occupe de moi et je m’en veux parce que c’est pas ce qui devait se passer.

— Je dors sur le canapé si tu veux.

Je dis en claquant toujours des dents.

— Non.

Je suis toujours en train d'arranger la couette, j'ai répondu sans même réfléchir, je m'arrête pour le regarde et je réalise que je n'ai pas envie qu'il dorme sur le canapé.

— Est-ce que tu sens que tu te réchauffes ?

— Je crois, oui. Ça va, c’est pas grave.