Hello, it's me. - Adam & Max

Ça fait presque dix minutes que je suis garé devant l'église et que je tente de voir ce qu'il peut se passer à l'intérieur. J'ai peur de sortir de ma voiture et contrairement à ce qu'il peut paraître, ce n'est même pas par doute. Je n'ai pas envie de faire demi tour, je n'ai simplement aucune idée de la façon dont je suis supposé me présenter devant cette porte. C'est bizarre d'ailleurs, parce que ce n'était jamais arrivé avant. J'ai toujours su que faire et dire face à Max, même quand on s'est connu et aujourd'hui c'est comme si je partais à l'inconnu. Je ne sais même pas s'il va vouloir me parler, d'abord.

Prenant mon courage à deux mains, je sors de la voiture et m'approche de la propriété. Il y a une barrière maintenant, plus besoin d'escalader par derrière là où la grille est sur le point de s'affaisser. Ça me fait sourire au moins autant que ça me pince le ventre : encore une habitude rassurante qui fout le camp.

Je l'entends me dire que le verrou ne s'ouvre que de l'intérieur et j'hésite à frapper, pour le cas où il est là. Mais c'est plus fort que moi : je ne fais que regarder vers l'arrière de la cour, là où on est passé chaque fois qu'on a voulu entrer ici. Qu'est-ce que je perds à le faire encore, si ce n'est me faire virer ? Rien, et c'est sûrement pour ça que je fais le tour sans réfléchir et que je rentre, alors que c'est déjà grand ouvert.

— Max ?





@Maximilien Weaver

Je ne sais pas par où commencer et j'ai presque l'impression de me noyer dans un verre d'eau, en ce moment. J'ai une liste de choses à faire, je me tue à créer une organisation millimétrée parce que je dois m'occuper de l'église, des cours, de toute la paperasse et d'un milliard de choses que je n'avais pas imaginé avoir à faire seul. Et ça me fait peur. Je ne veux pas appeler mes parents tout de suite, je n'ai pas encore la force de leur dire que je m'endette inutilement, que j'ai eu tort de revenir. Au fond, je crois en mon projet, alors je vais forcément retomber sur mes pieds, mais pour l'instant, j'ai du mal à y voir clair.

Je dessine des plans, cherche des artisants, des solutions de financement. Maintenant que la grille est réparée, je ne viens plus ici pour gérer tout ça, mais aujourd'hui, j'attends la livraison du mobile-home qui sera à l'arrière de l'église et dans lequel je vais vivre plusieurs années. Alors je suis assis par terre, dans la poussière, entouré de tous les dessins et projets que j'ai pu imaginer pour cet endroit que j'affectionne tant.

Quand j'entends la voix d'Adam, j'ai l'impression d'halluciner alors je ne lui réponds pas avant de l'entendre marcher dans ma direction.

— Je suis là ! Dans le choeur !

Je me lève tout de suite pour qu'il puisse me repérer.

Je n'arrive pas à retenir mon rire quand je le vois débraillé et rempli de poussières. On dirait qu'il vient de passer des heures à se rouler par terre et ça le rends tellement attendrissant.

— J'hésitais à venir avec à manger, mais maintenant je me dis que j'aurais dû t'apporter des fringues propres.

Je suis gauche à souhait et si j'ai envie de le serrer contre moi, je me sers de son état pour éviter de trop m'emballer. Je me contente de le rejoindre en souriant.

— C'est sympa la grille devant, ça m'évite de me ridiculiser en escaladant.

Je dois reconnaître que je ne m'attendais pas à le revoir ici. Surtout pas après que Gabriel m'ait envoyé un message pour me dire qu'il ne pouvait plus venir m'aider. Il ne m'a pas dit pourquoi, même si je connais assez Adam pour avoir ma petite idée. Gabriel aime trop son frère pour lui causer du tort.

— Mais tout ce que tu veux mon am—dam. Mon Adam.

Je grimace avant de rire ; certaines habitudes ont la vie dure.

— Alors, tu viens me voir galérer ?

Les habitudes se font sur tout. Si moi j'ai eu besoin de rentrer par derrière, je crois que ce sont les surnoms dont Max a du mal à se passer. Ça me fait sourire, sans que je ne sache pourquoi.

— Je viens visiter ton humble acquisition ! J'aurais bien proposé mon aide, mais si tu veux que ça reste debout, vaux mieux que je reste loin de tout ce qui pourrait casser.

Je rigole en levant les bras en l'air. Mes mains sont tout sauf douées pour les travaux manuelles et il le sait pertinemment.

Je ris doucement ; je sais qu'il est bien plus doué qu'il ne le pense, il manque juste cruellement de confiance en lui.

— Quelqu'un qui cuisine comme tu le fais n'est pas aussi maladroit que ça.

Je lui rappelle.

— Mais soit, allons visiter. J'ai besoin de ton avis.

J'attrape plusieurs de mes dessins pour lui faire une visite des lieux avec l'intention de lui expliquer quelle pièce prendra vie à tel ou tel emplacement.

— Ici, on est bien évidemment dans le bloc cuisine/salon/salle à manger.

Il me fascine. Je regarde ses dessins et je suis bluffé de l'imagination et du bon goût dont il fait preuve. Ça semble réalisable et surtout, ça ne dénature pas cet endroit qui compte tellement pour nous.

— Si je sais faire à manger, je suis incapable de faire ça avec mes dix doigts Max ! T'as un coup de crayon encore meilleur qu'avant...

J'essaie de faire le lien entre ses feuilles et ce que j'ai sous les yeux et ça semble déjà prendre vie.

— Pourquoi t'inverserais pas les espaces cuisine et salon ? Avec la lumière qui pourrait rentrer par là, ça ferait un salon super lumineux ! Et je te raconte pas les gains de chauffage, avec le soleil qui taperait en plein dessus !

Je me tais subitement en me rendant compte que je vais trop loin. C'est son église, sa future maison et c'est lui, l'architecte.

— Pardon, je me suis emporté. Fais comme tu aimes !

Je retourne mes dessins quand il me fait sa proposition et je trouve ça vraiment génial.

— Mais ouais ! En plus, je vais faire rénover les vitraux, ce sera magnifique. Par contre, je vais devoir installer quelques verrières pour la luminosité. Et là, je compte installer un poêle. En hiver, ce sera parfait. Je vais faire aussi un super vestibule avec plein de rangement... et puis, là, ce sera les escaliers pour l'étage. Ça va être le plus gros chantier.

Je reste sur le cul pendant quelques secondes.

— Tu vas faire un étage ? Mais comment tu comptes t'y prendre ? Tu comptes mettre quoi là haut ?

Je suis tout ouïe, alors que je trouve chacune de ses idées géniales.

— Je suis fasciné par l'idée. Ça va être grandiose...

J'essaie d'imaginer tout ça prendre vie au sein de cette vieille église et je souris, ébloui. Encore plus en me rendant compte qu'il va mener ça de front avec ses études.

— Je sais pas trop si ça peut t'aider, mais j'aurais cours que les lundi, mardi et mercredi cette année, alors si parfois t'as besoin en fin de semaine, n'hesites surtout pas.

Je propose ça sans même savoir encore comment on va s'organiser avec Logan et quel jour on va se voir, mais à l'instant, ça ne me dérange absolument pas. Je pourrais toujours m'arranger.

Je lui souris.

— Ne t'inquiète pas, je suppose que j'arriverai à m'en sortir sans te déranger. J'ai cru comprendre que tu avais quelqu'un dont tu étais amoureux. Je ne voudrais pas que... enfin, c'est gentil. Je n'hésiterai pas si j'ai besoin.

Un léger silence s'installe ; je n'aime pas être rattrapé par la réalité, surtout pas celle-là.

— Tu veux voir le sous-sol ?

Je ne sais pas quoi répondre. Je suis gêné et en même temps, je crois que je dirais à Logan d'aller se faire voir s'il n'était pas content que je doive venir ici. S'il peut vivre avec sa femme sans problèmes, j'aurai tous les droits de venir aider Maximilien si j'en avais envie.

Heureusement, il parle du sous sol et ça limite les dégâts.

— Pour de vrai ? On n'a jamais mis les pieds là dessous ! C'est grand ?

Je suis le premier à partir devant, alors que je sais pertinemment où est la porte tant convoitée.

— Ouais, en fait, c'est même un peu plus large. Mais je vais devoir faire condamner deux portes. Y en a une qui donnent sur les catacombes et une qui donnent dans la rue, je crois. Je ne me souviens plus. Hors de question d'avoir des visiteurs ici. Pour l'instant, elles sont justes scellées, je vais les faire emmurer d'un côté et de l'autre.

Je le suis et je passe devant simplement pour ouvrir la porte. J'allume le semblant de lumière que j'ai pu faire installer avant qu'un électricien ne vienne et je le laisse découvrir par lui-même.

— Après toi.

La lumière est branlante, mais ça suffit pour qu'on voit où on va. Je manque de tomber plusieurs fois en descendant parce que je suis un vrai boulet, mais ça finit en rires.

— Les catacombes viennent vraiment jusqu'ici ? je demande en grimaçant. Je veux pas voir ça Max je te previens, si tu veux faire une blague, je m'enfuis en hurlant.

Instinctivement je me rapproche de lui, comme s'il allait pouvoir me protéger de ma propre peur.

— Si j'oublie ce qu'il y a derrière les portes, je crois que je trouve ça aussi beau que le reste...

— Non, elles ne viennent pas jusqu'ici, mais on peut les rejoindre de la maison. De l'église.

Il se rapproche de moi et ça me fait sourire ; c'est toujours un trouillard. Et jamais je ne lui faisais peur, même pas pour récolter un câlin, parce que Gabriel se chargeait de ça et que ça me faisait toujours mal au coeur de le voir paniquer.

— Je m'en occuperai en dernier, enfin l'électricité mise à part. Je pense que ce sera un débarras, un cellier... Je n'y ai pas encore réfléchis.

Je reconnais.

— Mais mon cerveau va finir par imploser. Pourquoi pas une salle de ciné. Ça pourrait être sympa.

— Gâche pas cette place pour un simple cellier ! T'imagines tout ce qu'on pourrait faire ici ?

Je me raidis en me rendant compte de mes mots. Je me suis inclus dans le projet comme si c'était une évidence et c'est clairement déplacé après ce que je je lui ai dit la dernière fois. Encore plus avec ce que je pense et ressens. Je crois.

Sans croiser son regard, j'essaie de trouver une contenance et poursuis la discussion comme si de rien n'était.

— La salle de cinéma ça c'est une idée géniale ! Ça pourrait te servir de bureau aussi, imagine tes dessins tout partout sur les murs là !

Je rigole en m'approchant d'une des portes.

— Ou alors tu te reconvertis et tu organises des visites des catacombes en passant la vieille église hanté du village. Tu deviens plus riche que riche, là !

— Oui, un bureau ça pourrait être bien aussi. Enfin, il y a de quoi faire une salle de ciné, un bureau. Je t'ai dit que j'avais l'intention de faire une immense bibliothèque dans le salon ?

Je lui adresse un pâle sourire ; c'était surtout pour lui, évidemment. J'avais tout imaginé pour lui. J'avais même imaginé une salle de jeux quelque part, pour les enfants que nous n'auront pas. Mais je me garde bien de lui en parler. Même s'il semble s'impliquer, peut-être que c'est simplement parce qu'il s'en veut de son attitude de la dernière fois.

— Non. Ce n'est pas l'âme que j'ai envie de donner à cet endroit. Je préfère ne plus avoir d'argent.

C'est chez nous ici, chez moi. Je n'ai pas envie que des gens y viennent pour se faire peur alors que j'y ai tant de bons souvenirs avec Adam.

— Allez viens, on remonte.

— Cet endroit a déjà beaucoup trop d'âme. Même si tu devenais un con avide d'argent, tu pourrais pas lui en retirer la moitié.

Je le suis dans l'escalier, jettant un dernier coup d'oeil derrière moi. Si j'avais cru pouvoir voir la cave un jour, jamais je n'aurais pu imaginé que ce soit dans de telles circonstances.

— Alors, et cette merveille ? Tu la vois où ?

— Eh bien... sur un mur complet. Je ne sais pas lequel, mais... voilà. Certainement du côté du salon, pour rendre ça cosy.

Je lui souris.

— Je pense que j'attendais ton avis là-dessus. Mais... ça tombe un peu à l'eau.

Par chance, mon portable se met à sonner au moment même où ça pourrait devenir gênant.

— C'est ma maison ! Viens.

Je me presse de répondre avant d'aller ouvrir. En moins de quinze minutes, mon mobile-home est livré à l'arrière de l'église. J'ai les clés et je les laisse volontiers se charger de tout raccorder à l'eau et à l'électricité.

Je l'attends assis sur le pas de la porte pendant qu'une équipe se charge de livrer un mobile-home derrière l'église et je n'ai aucune idée de ce qu'il est en train de foutre.

Ca me laisse le temps de réfléchir à plein de choses et les mots de ma mère me reviennent à l'esprit. Ceux de Gabriel aussi... Je suis amoureux de Logan, je le sens au plus profond de moi, mais est-ce que ma présence ici ne signifie pas autre chose qu'une simple visite de courtoisie ? C'est quoi la vie dont je rêve ?

Maxilimien me rejoins vite - ou peut-être que j'ai pensé trop longtemps - et s'assoit près de moi en soufflant, un sourire aux lèvres.

— Tu m'expliques ? je demande en souriant. Tu m'avais pas dit que t'avais un appartement en ville ?

— Ouais... juste le temps de recevoir mon mobile-home. Mes parents allaient pas payer éternellement... Donc ils m'ont demandé de trouver une solution rapide et c'était ça, le plus rapide. Alors je vais vivre là en attendant.

Un large sourire illumine mon visage ; je suis tellement emballé par la perspective de cette nouvelle vie qu'un rien me rendrait heureux. J'ai toujours l'espoir qu'Adam change d'avis et, pour l'instant, je crois que j'aime bien me mentir. C'est certainement pour ça que je ne réalise pas que tout fout le camp. Je me mens.

— Tu sais... Quand t'es revenu en m'annonçant que tu venais d'acheter une église, je me suis dit que tu ne pourrais jamais m'étonner plus que ça. Mais même en te connaissant depuis des années, tu es capable de me surprendre encore.

Je souris en regardant les gars installer sa nouvelle maison et faire des aller retour dans ce qui sert de jardin.

— Tu t'en va vivre dans un mobile-home bon sang.

Qui fais ça à notre âge, à part lui ?

— T'es complètement malade Max et je crois que ma vie actuelle manquait de folie cruellement. Ca fait du bien.

Je ris quand il me dit qu'il n'y a que moi pour faire un truc comme ça. Mais je n'aime pas vivre comme les autres, je n'aime pas entrer dans des cases. J'aurais aimé qu'il fasse véritablement partie du projet. Il me manque affreusement ; son côté terre à terre que je dois sans cesse combattre, sa bienveillance qui m'empêche de faire n'importe quoi. Tout ce qu'il est me manque. Mais ce qui me manque le plus, c'est de voir dans ses yeux qu'il m'aime autant que je l'aime.

— Ton copain n'est pas du genre à réfléchir après avoir agi ?

Malgré moi, je lâche un rire sarcastique.

— Il est plutôt du genre à ne pas agir du tout.

Je pince mes lèvres en un sourire que Max a du savoir faux en une fraction de seconde. Je n'ai pas envie de penser à ça, à lui, à sa femme et au fait qu'il est censé lui parler depuis des semaines.

— Tu finis de me faire visiter notre église, avant de pouvoir m'emmener dans ta caravane? je demande en me relevant, avant de lui tendre la main.

Je n'arrive pas à me faire à l'idée que cette église n'est plus la notre et en même temps, c'est comme si j'entendais ma propre voix me dire à moi même qu'elle pourrait l'être si je le voulais.