JOUR J ! — Edouard & Romie

Sa réaction me tord le ventre comme jamais ce n'était arrivé. Pire encore que cette nuit. Plus je m'approche et plus elle recule, et ce n'est vraiment pas dans ses habitudes. Elle qui est toujours collé à moi, quoiqu'il se passe...

— Romie ?

J'appelle doucement, sans essayer de m'approcher plus. Il faut que j'essaie de comprendre ce qu'il se passe.

— Est-ce que ça va,on chat ?

Je sais que non, mais qu'est-ce que je peux dire d'autre.

J’entends Edouard parler mais je n’entends pas vraiment ce qu’il dit. Je me rassure en me disant qu’il va partir. Je vais être toute seule et ça va aller. Je vais dormir toute la journée et oublier à nouveau. Mais quand je ferme les yeux, je vois ça. Quand j’ouvre les yeux j’y pense. J’ai mal dormi, je suis fatiguée et aujourd’hui j’ai pas du tout envie d’être dans mon corps.

Elle ne réponds pas, et je ne sais même pas si c'est parce qu'elle ne m'entends pas ou parce qu'elle a décidé de m'ignorer. Est-ce que j'ai fais quelque chose ? Est-ce que son cauchemar était à propos de moi ?

— Tu veux que je t'apporte un café ? Ça te ferait du bien... ?

Je demande en tendant mon bras vers elle, simplement pour toucher son épaule.

Immédiatement, je me détache de lui, sans répondre. J’ai pas envie qu’il me touche maintenant. J’arrive pas à penser à autre chose. Je suis fatiguée. J’ai mal au corps d’être crispée.

— Ça va...

Sa réponse est fausse, et accompagnée d'un nouveau geste pour me repousser.

— Je vais te chercher quelque chose à manger, au cas où...

Je crois surtout que j'ai besoin de sortir d'ici deux minutes, pour comprendre ce qu'il se passe.

On s’est réveillés assez tôt ce matin et je dois avouer que je n’ai pas bien dormi. Je suis inquiet pour Romie et je crois que Luke aussi.

Quand on voit Edouard descendre seul, le moral dans les chaussettes.

— Ça va ? Elle s’est rendormie..? Vous avez pu vous reposer ?

Je demande immédiatement alors que j’apporte son café à Luke, l’agrémentant d’un baiser sur les lèvres.

Au moins, dans la panique actuelle qu'est ma vie, je peux esquisser un sourire de voir Max agir aussi simplement avec Luke. On dirait qu'ils ont déjà leurs petites habitudes, à peine quelques jours après leur rencontre.

— Elle s'est rendormie. Moi pas. J'avais trop peur pour elle. Je suis même pas allé travailler.

J'avoue en soupirant et en m'approchant de la machine à café. J'en ai encore besoin d'un.

— Elle est réveillée, là...

J'ajoute, la peur au ventre de devoir dire la suite à haute voix. Et pourtant je sais que mon parler à frère me fera du bien.

— Elle descend pas.. ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Je demande avec inquiétude.

— Je sais pas.

Je hausse les épaules.

— Elle me parle pas, elle réponds pas à mes questions, et elle veux même pas que je la touche. Je sais pas quoi faire... J'ai l'impression que tout m'échappe. Elle a jamais fais ça.
— Elle n'a jamais fais de terreur nocturne avec toi avant ?

Demande Luke, une grimace au visage. Il semble vraiment embêté pour moi, pour nous.

— Non, jamais. C'était un cauchemar pour moi, c'est pas le cas... ?
— Ça s'en rapproche, oui. Elle en faisait beaucoup, plus jeune. Enfin, quand je l'ai connu.

Quand je comprends ce qu'il veux dire, je me décompose instantanément.

— Tu sais pourquoi elle faisait ça...?

J’ose demander. Edouard a l’air complètement désemparé.

— Je ne sais pas ce qu'elle a vous a dit. S'il y a des choses dont elle ne t'as pas parlé par honte, ou par peur que tu l'abandonnes.

Il poursuit à mon attention.

— Mais elle a vécue des choses vraiment dures. Être prostitué aussi jeune, ça laisse forcément des séquelles. Mais quand ton proxénète est ta propre mère, c'est encore plus difficile de passer outre.

Je retiens mes larmes... J'ai toujours cette sensation que ma Romie est ma princesse et parfois, j'en oublie à quel point son passé à du être horrible.

— On ne sait pas exactement ce qu'il pouvait se passer, les choses qui traversaient son esprit, mais ça avait toujours attrait à ce qu'elle avait vécu. Ça a duré longtemps, quand on l'a récupérée. Ça a pu ressurgir, à cause d'un détail qui l'a fait cogité et qu'elle n'arrive pas à évacuer. Ça te parle ?
— Non ! On revient d'un voyage à Paris, on a visité mille choses, on s'est marié, elle a vu les princesses Disney, elle n'a pas arrêté de sourire. Tout le temps ! J'ai rien vu. Rien vu du tout...

J'ai la gorge serrée et les mains moites. Je voudrais courir vers elle, la serrer dans mes bras et plus jamais la quitter. Mais elle ne veux pas de cette présence et je ne sais pas quoi faire d'autre.

— Vous, oui ?

Je secoue la tête.

— Non, j’ai rien vu... Mais peut-être qu’elle y a pensé toute seule ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Elle a besoin d’être suivi ? De médicaments ? Ça passe ?

Je demande à Luke.

— Son frère saurait quoi faire ?

— Je pense qu'il faut la rassurer, lui dire qu'elle est en sécurité et lui faire comprendre que tout ça est derrière elle. Après si jamais ça arrive de nouveau régulièrement....

Je ferme les yeux à l'idée de devoir la voir régulièrement dans cet état. J'ai vraiment pas envie.

— Un suivi psy pourrait être une solution à envisager.

Je soupire, mais j'acquiesce, alors que Max laisse entendre que Logan saurait peut-être. Et comme Luke acquiesce, je n'hésite pas une seconde.

— Je vais l'appeler ! Peut-être que c'est déjà arrivé chez eux !

Et sans même prendre le temps de récupérer mon café, j'attrape mon portable dans ma poche et j'appelle Logan. Avec les gosses, il doit déjà être debout à cette heure ci.

On est encore au lit avec les enfants. On vient de les récupérer alors on traîne un peu et Adam a pris sa journée. Mon téléphone sonne et quand je vois que c’est Edouard, je me demande si je n’ai pas oublié de le rejoindre pour aller courir.

— Allo ?

— Logan ? C'est Édouard. Je te dérange ?

Je demande alors qu'il décroche assez rapidement.

— Euh... non ? J’ai oublié qu’on devait se rejoindre ?

— Non, pas du tout. Je voulais te parler de Romie, je sais pas trop quoi faire, et je me suis dit que t'aurais peut-être une solution...

Je me redresse dans le lit et je fais signe à Adam que je sors dans le couloir. J’entends à sa voix que ce n’est pas anodin et les enfants font les foufous.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Elle a fait un cauchemar cette nuit. Une terreur nocturne apparemment, m'a dit Luke. Elle veux pas me parler, pas que je la touche... C'est déjà arrivé depuis qu'elle est sortie ?

— Ah...

Je soupire. J’aurais aimé que ça n’arrive plus mais il l’a épousé pour le meilleur et pour le pire alors... c’est bien qu’il m’appelle.

— Oui, ça lui arrive parfois. Je sais pas tellement ce qu’il se passe dans sa tête à ce moment-là, mais en effet, elle n’a pas envie qu’on la touche. Je sais qu’elle...

C’est dur à dire, mais je sais que c’est important de mettre des mots dessus parce qu’elle en a besoin. Elle a besoin d’aide.

— Elle a été violé plusieurs fois. Elle pensait pas que c’était des viols et on lui a expliqué que si. Je pense qu’elle se souvient pas de tout mais quand elle s’en rappelle...

Ça me fait mal au cœur de savoir que ma petite sœur ne va pas bien. C’est encore un bébé.

— Je sais pas pourquoi elle ne veut pas qu’on la touche. Moi je lui proposais une bonne douche. Je lui rappelais que tout allait bien, qu’elle n’avait plus rien à craindre maintenant. Après la douche, généralement ça va un peu mieux.

Quand le mot ''viol'' sort de sa bouche, je quitte la cuisine parce que j'ai vraiment pas envie que Max me voit pleurer et de devoir lui expliquer pourquoi.

— C'est arrivé souvent ? Tu sais ça peut-être dû à quoi..?

Je demande la gorge nouée, j'ai plus du tout envie de sourire, de rire ou de m'amuser. Mais je ferais tout pour elle, tout, alors j'écoute chaque chose que me dit Logan.

— J'ai pas été au travail, pour pas qu'elle soit toute seule. Je dois l'accompagner sous la douche ?

Je demande, comme un con.

— Je veux dire, si elle veux pas que je la touche, est-ce que je dois juste lui proposer ? Un bain c'est tout chaud, elle adore ça, ça pourrait être une idée. Et je pourrais être là, mais en la laissant seule dedans quand même.

J’entends à quel point il est bouleversé et ça me fend le cœur. Mais j’entends aussi qu’il est attentif et qu’il a vraiment envie de l’aider.

— Non, pas souvent. Je sais pas trop... je crois qu’elle sait pas non plus. C’est inconscient. Peut-être que ce serait bien qu’elle voit un vrai psy. En centre de détention, c’est pas ce qu’il y a de mieux.

Il me pose plein de question et je réalise que je suis heureux que le sport nous ait rapproché.

— Propose lui un bain, dis-lui que tu peux venir si elle le veut. Elle va sortir toute seule de son mutisme, Edouard. Ça va aller, ok ? Il faut un peu de patience. Et si ça va mieux... il faut que t’ailles travailler. Je sais que c’est pas facile, mais faut pas mettre votre vie en pause à chaque fois, sinon ça va arriver de plus en plus souvent parce qu’elle aime pas être toute seule. Elle l’a jamais été. Alors elle peut venir ici aujourd’hui, elle peut aller voir Lexie, Charlie... donne-lui des idées pour s’occuper. Mais si elle va mieux, la vie reprend son court.

— Je vais parler avec elle du psy. C'est une bonne solution je pense. Ce ne serait pas bon non plus pour elle si ça arrivait trop souvent ce genre de choses...

Quand il me parle de réalité, c'est dur. J'ai pas envie de la quitter, j'ai pas envie de retourner travailler et de la laisser seule.

— Dès aujourd'hui ? C'est pas mieux d'attendre demain ? Si c'est juste une journée, elle aura pas le temps de s'y habituer, non ?

Je ne sais pas si Logan peut avoir raison, mais je sais aussi qu'il dit vrai et que si elle prends l'habitude que je reste, inconsciemment ça pourrait déclencher d'autres épisodes ainsi. Mais il faut d'abord qu'elle aille mieux, pour penser à cela...

— Je demande pas ça à son frère, mais à l'homme... Si ça arrivait à Adam, tu saurais partir ? Et si oui, comment tu ferais ?

— Elle sera d’accord. Il faut juste trouver quelqu’un d’excellent.

Parce que je ne veux pas qu’elle aille voir un charlatan.

— Moi tout seul, j’aurais pas envie de le lâcher. Mais si on me disait qu’il fallait que je le fasse pour son bien, je le ferai.

Je réponds en toute sincérité.

— Même si tu pars trois heures à peine. Enfin... sauf si ça va pas mieux. C’est dur, moi aussi, j’ai du mal à la lâcher. Mais tu vas être pompier... Puis ce n’est pas parce que tu n’es pas là que tu ne pense pas à elle. Programme lui des messages, laisse lui des mots... tu vas trouver. C’est mieux si t’es capable de partir, même quand c’est difficile. Parce que sinon, tu ne pourras pas être pompier. Elle peut comprendre ça. Mais là, elle a besoin de toi. Même si elle n’en a pas l’air, elle a besoin de toi.

— Tu peux me faire confiance, je la laisserais pas aller voir le pigeon du coin.

Je soupire quand il m'avoue qu'il ne lâcherai pas non plus son mari, mais que si c'est pour son bien à lui, il le ferait...

— Je vais voir comment ça évolue. Je vais essayer de lui proposer un bain, de la détendre un peu et de lui montrer qu'elle est en sécurité... J'aviserais après sur comment gérer mon départ, si elle va mieux.

Mais il a raison, en étant pompier, elle sera forcément toute seule parfois et dès maintenant elle doit s'y habituer. Même si c'est dur pour elle comme pour moi.

— Je vais aller la voir. Merci d'être là Logan...

Et au ton de ma voix, ça veux dire énormément de choses.