Help me leave behind some reasons to be missed.

Je commence à manger aussi, et j'avais raison ça me fait du bien.

— En tout cas je voulais te dire... merci pour hier soir. Je ne sais pas ce qu'il se serait passé si tu n'avais pas été là.

— De rien.

Je souris faiblement.

— J'aurais préféré que ce soit toi qui m'invite, pour une fois que t'avais envie de faire la fête. Mais bon.

Apparemment, même ça, c'est pas naturel pour lui.

— Tristan m'a téléphoné car tu voulais conduire.

Il me dit comment il l'a su avant que je pose la question.

— Je n'avais pas envie de faire la fête, je ne connaissais même pas ces mecs.

J'étais seul au début, ça n'allait pas, j'ai acheté des bières et je suis parti dans la forêt pour boire, je ne sais même pas quand ils sont arrivés.

— Hm. C'est pas grave.

Même si ça me tue d'être là avec lui, d'avoir la chance de peut-être le convaincre que je suis mieux que Jenny et d'être incapable de faire quoi que ce soit, tellement je me sens minable et pas à ma place. J'imaginais pas qu'être amoureux ce serait ça. J'imaginais pas forcément que ce serait facile, mais j'imaginais au moins que ce serait partagé et moins douloureux.

Je le sens tellement distant avec moi, j'ai l'impression qu'il met un gouffre entre nous et je n'arrive pas à savoir si j'en suis responsable ou non. Si c'est de ma faute, que ça vient de mon comportement et que je ne m'en rends pas compte.

— J'ai l'impression que c'est une corvée pour toi d'être ici.

Je secoue la tête.

— Non ! Non, pas du tout. J'aime bien être avec toi. Mais je sais plus comment agir.

Je réponds honnêtement.

— J'me rends compte qu'on n'est pas si proches que je me l'étais imaginé et j'y pense, c'est tout. Mais j'aime être avec toi.

Ça me rassure parce qu'il est sincère, je le connais, je le vois dans ses yeux et je crois que ça me détend instantanément.

— Pourquoi tu penses ça ? Tu es la personne de qui je suis le plus proche.

Je hausse les épaules.

— Non, j'pense que Jenny et moi, on est sur un pied d'égalité. Enfin, j'suis certainement moins proche de toi qu'elle parce que... bah tu vois, vous êtes en couple.

Ça fait trois ans et ils sont amoureux. J'suis pas débile non plus. Y a des trucs qui se révèlent bien plus facile après avoir fait l'amour qu'à n'importe quel autre moment. Alors je sais qu'elle est sait autant que moi — sauf qu'elle, elle bénéficie de tout le reste en plus. Alors non, j'ai pas envie qu'il me soutienne que je suis la personne dont il est le plus proche quand c'est pas vrai.

— Y a tellement de trucs que tu caches et que tu dis pas... comme si j'allais te juger ou avoir pitié ou... fin, j'sais pas. Je suis jamais venu chez toi. Moi, j'ai aucun secret pour toi. Même si j'ai honte, peur, mal... peu importe. J'ai pas de secret pour toi. Alors que toi, t'en as des tonnes. J'avais jamais fait gaffe avant, mais aujourd'hui je vois que tu me tiens éloigné de ta vie et c'est pas ça être proches.

Quand il me dit tout ça, je réalise qu'il a tort. J'en avais jamais pris conscience avant, mais je suis très loin d'être aussi proche de Jenny, que je le suis de lui. Ça me fait prendre conscience aussi que même si c'est de lui dont je suis le plus proche, il y a plein de choses que je ne lui dis pas, que je ne dis à personne. Je ne peux pas m'empêcher de lâcher un souffle ironique envers moi-même.

— Quand tu me dis des trucs comme ça, j'ai l'impression d'avoir besoin d'une thérapie.

— Ouais. Au moins tu dirais des choses à quelqu’un.

Je réponds un peu distraitement. Il ne se rend pas compte à quel point ça peut être blessant d’être mis à l’écart comme ça.

— Enfin, c’pas grave, de toute façon, c’est comme ça depuis toujours.

Je secoue la tête.

— Non. Si t’avais pas été bourré hier soir, j’aurais jamais su que tu allais parfois à l’hôtel avec ta sœur. C’est ma mère qui sait tout, moi c’est à peine si je sais encore à quoi ressemble ta mère. J’en sais rien de ce qu’il se passe chez toi parce que ma mère nous dit rien. Je sais pas à quoi ressemble ta chambre, je connais rien de ton univers à part ce que t’en montre. Tu contrôles ton image tout le temps. Alors j’en sais rien.

Quand il part de l'hôtel, je ressens un sursaut dans l'estomac. Je n'ai aucun souvenir de ça.

— Je crois que tu ne réalises pas que ce n'est pas une question de secrets, ou de ne pas être assez proches, mais que c'est dur pour moi de parler de tout ça.

— Si tu étais en confiance, tu me le dirais. C’est pour ça que c’est dur. Parce que t’as peur du jugement, t’as peur qu’on te prenne en pitié ou je sais pas trop quelles autres conneries. Alors si, c’est une question de secret. Moi, j’ai pas eu peur de t’avouer mes sentiments, même si j’ai certainement eu un excès de confiance.

— Non, c'est pas une question de secrets.

Je soutiens.

— Tu devrais comprendre qu'il y a des choses dont je n'arrive pas à parler, ni à toi et encore moins à Jenny.

Je hoche la tête.

— Je comprends, maintenant, oui.

Maintenant que j'ai compris que je ne pouvais pas tout lui confier, maintenant que je réalise qu'on a des secrets l'un pour l'autre et que j'aurais dû garder pour moi mes sentiments et toute cette merde que je ressens pour lui.

Non il ne comprend pas. Et putain en fait je crois que je lui en veux, pas de m'avoir avoué ses sentiments mais d'en avoir car j'ai l'impression que ce n'est pas notre relation qui a changé, mais lui. Avant je me sentais soutenu par lui, maintenant je me sens jugé. Sur tout, tout le temps. Là il est presque en train de me faire une crise parce que je ne lui parle pas de choses dont je n'arrive pas à parler. C'est oppressant.

— T'es pas obligé d'agir comme un con parce que tu te blesses tout seul dans ton estime.

— Ok.

Je me lève et je pose les clés de sa caisse sur la table. Je laisse aussi de l’argent pour le repas, et je me casse dehors. Le con, il sort. Je demande à un type qui fume dehors s’il n’a pas une clope pour moi. Il m’en donne une qu’il allume et il m’indique même la gare la plus proche.

Il balance mes clefs, de l'argent et il quitte le restaurant. Je soupire, récupère le trousseau et le suit à l'extérieur. Je le rattrape alors qu'il marche au bord de la route.

— Alors ça va être toujours comme ça maintenant ? Tu vas me faire du chantage affectif ?

— Tu sais ce que c’est que du chantage affectif ? Non parce que t’as l’air de confondre avec ne pas vouloir reste en face de quelqu’un qui t’insulte.

Je m'arrête pour lui faire face.

— Le chantage affectif c’est me dire que t’as pas envie que je sois loin de toi pour m’empêcher de partir en mission humanitaire. Voilà à quoi ça ressemble. C’est faire culpabiliser l’autre pour obtenir ce qu’on veut. Moi, je t’ai rien demandé. J’ai..

Je lève les yeux au ciel quand ma gorge se serre.

— Je sais plus quoi faire, ok ? Je sais pas ce que tu veux et j’suis désolé mais j’arrive pas à être juste ami avec toi. Je sais plus comment on fait parce que j’te vois plus comme un simple ami. T’as qu’à claquer des doigts pour me faire faire ce que tu veux, putain. Mais j’me retrouve au milieu de nulle part parce que t’avais pas envie de rentrer. Bordel mais tu vois pas comme je te regarde ? T’es aveugle à ce point-là ? Merde, ok. Me parle pas de chantage affectif quand tu sais pas ce que c’est !

— Mais tu crois que c'est quoi quand tu me dis que parce que je ne te dis pas tout, on est pas proches ? Tu me fais culpabiliser de ne pas te confier des choses qui sont dures pour moi ! J'ai l'impression que c'est presque un caprice "si tu me dis pas tout, si tu m'emmènes pas chez toi, je t'aime plus". Alors si, que tu le veuilles ou non c'est une forme de chantage affectif. Et quoi ? Tu vas m'en vouloir d'être ici ? Je ne sais tellement plus comment m'y prendre avec toi moi non plus que j'ai dû trouver le prétexte de venir ici pour passer du temps avec toi, pour que tu te barres pas à la moindre occasion. Et merde putain, me reproche ce que j'ai pu te dire hier soir, car j'étais bourré et l'alcool c'est pourri car ça te fait dire des trucs que tu veux garder pour toi, comme le fait que la façon dont tu me regardes me retourne complètement.

Il se met à pleuvoir. Je lève les yeux vers le ciel et je lâche un rire nerveux.

— Génial, il manquait plus que ça.

Il s’énerve sur moi et ça me blesse parce qu’il n’y comprend rien du tout.

— J’m’en fous d’aller chez toi, d’abord. J’m’en fous que tu me dises pas tout parce que pour moi, ce qui compte c’est d’être avec toi, mais t’y comprends rien. T’es même pas foutu d’te mettre à ma place une seule seconde et tu voudrais que je me mette à la tienne ? Bah va bien te faire foutre, tiens !

Puis il se met à pleuvoir, il ronchonne et je réalise ce qu’il vient de dire sur l’alcool et ma façon de le regarder et ça me déstabilise. Je baisse les yeux et je fixe mes pieds.

— J’en ai marre d’me disputer avec toi.

Je soupire parce qu'on est tous les deux fatigués de cette situation.

— Viens.

Je dis en sortant mes clefs de voiture.

Il me dit de venir et, l’espace d’un instant, j’ai l’impression que c’est pour me faire un câlin. C’est comme un poids dans mon cœur qui s’envole parce que j’en avais vraiment besoin, sans m’en rendre compte, et quand je lève les yeux et qu’il me montre ses clés, la chute est rude. Il n’a pas les bras ouverts et j’ai vraiment très envie de voir mon frère. Tant mieux qu’il pleuve parce que j’aurais eu l’air con de me mettre à chialer pour ça.

Je le contourne pour rapidement rejoindre sa voiture, sauf que je suis obligé d’attendre qu’il m’ouvre devant la portière.

Je lui ouvre et je referme la portière derrière lui. Le trajet pour rentrer à White Falls se passe en silence. Je ne le sens pas bien, et je suis aussi mal que lui. Quand on arrive, je ne roule pas jusqu'à chez lui, mais dans l'un des quartiers les plus pauvres de la ville. Je m'arrête devant chez moi, je regarde la maison à travers la vitre de son côté. Elle est petite, de plein pied, mal entretenue, la façade est sale, et l'herbe ou du moins ce qu'il en reste est jaune, il n'y a même plus de portail, seulement du grillage rouillé.