Plouf GABRIEL & AUSTIN

C'est le jour de la compétition, enfin. J'ai déjà nagé deux fois et malgré mon épaule, je m'en suis bien sorti. Je dois faire un dernier aller-retour et ce sera terminé. Je suis dans les vestiaires, le coach vient me voir pour m'encourager.

— Le recruteur de Londres t'a repéré, assure ton dernier passage et il viendra te trouver.

Il me donne une tape sur l'épaule en signe d'encouragement. Je manque de m'effondrer et quand il quitte les vestiaires, j'avale deux anti-douleur. Je prends une grande respiration et j'y retourne. Je me tiens sur le plongeoir, ma tête tourne, j'essaie de me reprendre, je mets mes lunettes. Et au départ je plonge, mais j'ai mal, vraiment mal. À chaque fois que je sors la tête de l'eau, je vois flou. Je ne sais pas où je suis, je n'ai aucune notion de la distance. Et dans un dernier mouvement je sens quelque chose se déchirer dans mon épaule et ma tête cogne fort le mur du bassin.

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Sur le bord du bassin, le coach fronce les sourcils, il voit que quelque chose ne va pas. Le publique aussi, il cri à Austin qui se rapproche du bord du bassin sans préparer son demi tour. Et quand il se cogne la tête, et que son corps remonte sans réagir, les secours le sortent de l'eau immédiatement.

Aujourd’hui, Austin a sa compétition. J’ai boudé toute la matinée avant de lui envoyer un message pour lui dire que je lui souhaite bonne chance et que je le regarde à la télé. Que je suis fier de lui malgré tout et qu’il faut qu’il fasse attention.

La compétition est retransmise à télévision. Il réussit haut la main les deux premières courses, je suis en feu sur mon canapé, Balti est avec moi. La troisième commence et quand il est sur le plongeoir, je vois que ça ne va pas. Je connais cette tête. Je sais que quelque chose cloche. Quand il nage, c’est n’importe quoi. Il est devant un moment avant de zigzaguer. Je me lève le cœur battant, sans être capable de quitter mon écran des yeux. Quand Austin tape la tête contre le bord, je retiens mon souffle, tout le monde s’agite lorsqu’il flotte et qu’on le remonte, je pars en courant. Sans réfléchir. J’attrape mon vélo et je fonce. Quand j’entends le bip de mon bracelet, je n’essaie même pas de faire demi-tour, je fonce comme un dingue jusqu’à la piscine. C’est seulement quand j’arrive devant, qu’il y a les pompiers et Austin à l’interieur du camion que j’entends les sirènes. J’ai encore quelques minutes. Il y a du monde mais je me fraye un chemin.

— AUSTIN !

Je monte en ignorant les interdictions.

— Ça va ? Tu vas bien ?

J’embrasse ses lèvres.

— Bon sang, j’ai eu peur. Ça va ? Ça bien se passer. Écoute bien ce qu’on te d—

Je suis tiré en arrière et plaqué au sol.

— AH MAIS PUTAIN !

Les flics ont été plus rapides et la clé de bras qu’on me fait me fait voir des étoiles.

— MAIS J’AI LE POIGNET PÉTÉ TU FAIS QUOI LÀ ?
— Arrête Gabriel, tu sais très bien que t’as pas le droit d’être là. N’agrave pas ton cas.
— Mais c’estmon copain, il a eu un accident !
— T’es assigné à résidence, t’as compris ? C’est pas la colonie de vacances. Alors tu te relèves et direction la voiture.

Quand je rouvre les yeux je suis dans un camion de pompier, je n'ai pas le temps de retrouver mes esprits que je vois Gabriel penché au dessus de moi, puis être tiré en arrière.

— Qu'est ce qu-

Je me redresse vivement, il peut pas être là, il va avoir des problèmes, il peut pas. Mais la douleur qui part de mon épaule m'irradie tout le corps. Je tourne de l'oeil alors qu'on me force à me rallonger. Après ça je ne sais pas ce qu'il se passe. Je pense à Gabriel, à mon épaule, à la compétition, tout ce mélange.
J'entends le pompier me poser des questions et me dire de rester éveiller. Le nom de mes parents, je donne sans réfléchir celui de Paul. J'entends une autre voix téléphoner. Quand on arrive à l'hôpital, j'ai juste envie de dormir, j'ai mal à la tête. Je n'arrête pas de répéter qu'il faut aider Gabriel.

Après une négociation d’une demi-heure, je suis immédiatement reconduit chez moi avec un avertissement. Ma mère m’attend sur le pallier dans un état de stress sans précédent et elle me laisse aller me calmer sans rien dire.

Je vais directement dans ma chambre avec Balthazar et j’attends devant mon téléphone. J’attends que quelqu’un m’appelle. J’attends qu’on me dise qu’Austin va bien, qu’il rentre ce soir et que je vais pouvoir le prendre dans mes bras rapidement.

Je crois que je m'évanouis pendant qu'on me fait des examens. Quand me réveille, il fait nuit. J'ai mal à la tête. J'essaie de bouger, mais mon épaule est immobilisée. J'ai des bandages qui me plaque le bras contre mon torse. J'essaie de toucher.

— Doucement.

Je tourne la tête, Paul est là.

— Qu'est ce qu'il s'est passé ?

Je demande encore dans le brouillard.

— Tu t'es blessé à l'épaule, ils ont dû t'opérer.

Tout me revient, je ferme les yeux. Je sens que Paul est contrarié.

— Ils ont retrouvé un pourcentage élevé de médicaments dans tes analyses.
— Je suis désolé.

Il s'assoit sur le fauteuil à côté de mon lit.

— Tu savais que tu n'avais pas le droit de nager.

Je baisse les yeux, et c'est là que l'image de Gabriel me revient, je les relève immédiatement vers lui.

— Gabriel, Gabriel il était là, dans l'ambulance.

Paul hoche la tête.

— Il a été reconduit à la maison, il a eu un avertissement.
— Il n'est pas en prison ?
— Non.

Je soupire de soulagement, la peur s'estompe aussi vite qu'elle est arrivée. J'ai les esprits un peu embrouillé et je comprends mieux quand Paul me dit que j'ai été sous anesthésie général. Il me dit que je dois me reposer, qu'il reviendra demain matin et malgré qu'il ait l'air fâché il embrasse mon front avant de partir.

******
Quand Paul rentre à la maison, il leur explique qu'Austin a un traumatisme crânien, qu'ils le gardent en observation pour la nuit, mais surtout qu'il a subit une lourde opération de l'épaule qui va l'immobiliser un moment et que la natation s'est terminé pour lui pour un bon moment. Il ne parle pas des analyses devant Gabriel.

Je suis dévasté par la nouvelle parce que je sais à quel point Austin va être malheureux. Mon père ne manque pas de me démonter à coup de « la prochaine fois, réfléchis avant d’agir » et j’accepte toutes les remontrances parce que j’ai conscience que ça aurait pu mal finir pour moi. Je retourne dans ma chambre pour envoyer un message à Austin. Peut-être qu’il dort, peut-être pas. Mais je veux qu’il le sache.

SMS à Austin — Je t’aime, Austin Anderson.

Quand je reçois le sms de Gabriel, je réalise que cette fois c'est grave. Je sens quelque chose se briser en moi. Je suis incapable de répondre.

*******

Le lendemain 15h.
Paul me ramène à la maison, j'ai été incapable de parler quand les médecins me l'ont annoncé. Je n'ai pas prononcé un mot depuis. Quand la voiture se gare et je descends immédiatement au sous-sol. J'entends Gabriel me suivre. Quand je me retourne vers lui, j'ai les yeux rempli de larmes.

— Je ne peux plus nager.

Je dis la voix brisée et sans pouvoir le contrôler, je me mets à pleurer.

Je n’ai pas dormi de la nuit et je n’ai jamais autant tourné en rond qu’aujourd’hui. Quand papa rentre enfin avec Austin, je le suis dans son chez lui. Je n’ose même pas lui parler avant qu’il se retourne et fonde en larmes. Je ne l’ai jamais vu pleurer, jamais. Ça me bouleverse et je l’attire à moi immédiatement pour le serrer dans mes bras sans lui faire mal.

— Ça va aller mon cœur, j’t’assure. T’es pas tout seul. Je suis là.

Il me prend dans ses bras, et c'est encore pire. J'ai l'impression que tous les pleurs que j'ai retenu depuis plus de dix ans, sortent maintenant et c'est douloureux. Je suis incapable de parler pendant un moment. J'ai perdu ce pourquoi j'ai tout donné depuis toujours, je suis incapable de penser correctement tellement je me sens vide. J'ignore combien de temps je pleure dans ses bras, mais longtemps. J'ai très mal à la tête.

— On peut s'allonger ?

Je demande la voix rauque, sans me détacher de lui.

Il pleure une éternité, mais je crois que ça lui fait du bien. Marie a bien fait de passer prendre Darcy, il ne se serait pas laissé aller comme ça si elle avait été présente. Il me demande qu’on s’allonge et comme il s’agripe à moi, je le porte dans mes bras jusqu’à son lit pour l’allonger et le blottir contre moi, après lui avoir retirer ses chaussures.

Je ne parle pas, je caresse tendrement ses cheveux. Ce n’est pas que je n’ai rien à dire, c’est juste que j’ai l’impression qu’il veut pas entendre que ça va aller maintenant. C’est normal. Qu’est-ce qu’il voudrait entendre, de toute façon ?

— T’es pas tout seul.

Ça, peut-être. Je crois que c’est important. Alors je lui dis.

— Et je t’aime.

Ça aussi, c’est important. C’est même étrange de le dire à haute voix. Je le pense souvent mais je ne le lui avais jamais dit.

On s'allonge, et il me garde contre lui. Il me caresse les cheveux, je fixe le vide devant moi. Quand il me dit que je ne suis pas tout seul, et plus encore quand il me dit qu'il m'aime alors qu'il pourrait me dire qu'il m'avait prévenu, je relève la tête vers lui.

— Merci...

Je murmure, j'ai l'impression d'avoir tout perdu hier, mais il est là et il m'aime toujours autant, il ne me fait pas reproches. Il est là pour moi et ça compte pour moi.

J’embrasse ses lèvres pour signifier qu’il n’a pas à me remercier, bien au contraire, c’est normal.

— Je suis désolé de pas avoir pu être prêt de toi hier, mais maintenant je vais prendre soin de toi. Tu vas être à la maison combien de temps ?

Je repose ma tête contre son torse.

— Je ne sais pas.

À partir du moment où les médecins m'ont dit que je ne pourrais plus nager, ou pas avant un très long moment, j'ai été incapable d'écouter ce qu'ils disaient. Je sais que j'ai été opéré parce que je le sens, je sens qu'ils ont fait quelque chose dans mon épaule, je n'ai qu'un bras de libre. J'essaie de me souvenir mais rien ne me revient. Je relève les yeux vers lui en secouant la tête.

— Je ne sais pas, je ne sais rien. Je ne sais pas.

— D’accord. On demandera à mon père, c’est pas grave.

Je dépose un baiser sur son front.

— T’as besoin de te reposer.

Dans la minute qui suit je m'endors. Je crois que les effets de l'anesthésie sont toujours là car quand je rouvre les yeux, il fait nuit. J'ai l'impression d'être complètement groggy, j'ai du mal à sortir du brouillard.

Quand il s’endort, je remonte vite voir mes parents pour leur expliquer la situation, poser quelques questions à mon père et puis récupérer Balthazar. Bien évidemment, je prends le temps d’appeler mon frère pour lui raconter pendant que je fume et que Balti se défoule dans le jardin. Il me passe un tel savon pour être sorti de la maison que je sais que je ne recommencerai pas. Il passera sans doute demain soir.

Ensuite je retourne auprès d’Austin, mais je n’arrive pas vraiment à dormir. Je le garde contre moi.

Il est 3 heures du matin quand il se met à bouger. Je caresse doucement son visage.

Je sens qu'il caresse mon visage, ça m'aide un peu à sortir du brouillard. J'essaie de me redresser, mais je m'appuie sur la mauvaise partie de mon corps. Je grimace sans avoir vraiment bougé, je suis toujours contre lui.

— Il est quelle heure ?

Je demande la voix enrouée.

— Un peu plus de 3 heures.

Je l’aide à bien se mettre.

— Reste allongé. Tu veux quelque chose ? À boire ? Tu as faim ?

— J'ai besoin d'aller aux toilettes.

Je suis encore dans ce brouillard, il est lourd. Il m'empêche de retrouver entièrement mes esprits. Je me redresse doucement avec son aide, pour m'assoir. Je regarde tous ces bandages qui m'immobilisent et je soupire.

— T’as besoin d’aide ?

Je demande après l’avoir aidé à se redresser.

— Ton épaule est vraiment immobilisée, t’es pas le droit de desserrer les bandages ou de bouger.

Je tourne la tête vers lui.

— Tu as parlé à ton père ?...

Je ne sais pas si je suis prêt à entendre, mais je crois que j'ai besoin de savoir.

— Oui, tout à l’heure. Après je suis allé prévenir mon frère et Balti et moi on a veillé sur toi le reste du temps.

Je lui souris avant de lui expliquer brièvement ce que m’a dit mon père. Je n’insiste pas trop parce que je vois qu’il est à fleur de peau.

Il me raconte pour l'opération je comprends que je vais avoir une infirmière tous les jours. Je crois qu'il a raison de ne pas m'en dire trop, c'est trop tôt.

— Je reviens.

C'est un épreuve de bouger et encore plus d'aller aux toilettes. Quand je reviens je me rassoie au bord du lit.

— Je voulais pas te laisser.

— Me laisser ? Me laisser où ?

— Je crois qu'ils voulaient que je reste plus longtemps à l'hôpital.

Mais je ne voulais pas, je savais qu'à cause du bracelet il n'aurait pas pu venir me voir. Je ne l'aurais pas supporté.