First date — Kit & Norvina

J’ai passé la journée à dessiner et j’ai été hyper productif puisque j’ai terminé ma planche de Comics juste avant de sortir. J’étais même en avance au skate park et j’ai pu menacer mes potes à coup de « si vous me cassez les couilles, j’brûle vos skate ». Toujours dans l’amour et la bienveillance, évidemment.

J’ai vérifié mon portable trois ou quatre fois pour être sûr que Norvina n’annulait pas et quand je l’ai enfin vu arriver, j’ai réalisé que je l’attendais assis comme un con à ne rien faire. Du coup, je me lève pour aller la rejoindre, un large sourire sur les lèvres.

— Hey !

J’ouvre les bras pour lui faire une accolade ; en espérant qu’elle ne va pas me tendre la main à la place parce que ce serait dur de rebondir.

C'est la première fois que j'ai un rendez-vous de ce genre et je suis autant excitée que paniquée. J'ai voulu demander conseil à ma mère pour me préparer, mais elle n'était pas encore rentré du restaurant alors je me suis débrouillée toute seule. Si j'avais fais appel à mon père, il m'aurait sûrement enchaîné pour que je ne quitte pas la maison.

En arrivant au skate park, l'excitation prends le dessus et j'espère que Kit me trouvera jolie. J'ai pas fais grand chose de plus que d'habitude, mais bon.

— Salut !

Je souris alors qu'il ouvre les bras. C'est assez tactile pour un premier soir, mais je ne vais pas dire non.

— Tu m'as pas attendue trop longtemps j'espère ?

Un petit câlin bref, la soirée démarre bien. Ça fait une éternité que je n’avais pas eu ce genre de rencard et j’ai l’impression d’être un gamin.

— Nan, t’inquiète. L’important c’est que tu sois là.

Je lui souris.

— T’es très belle.

C’est un constat pur et simple ; quand je prends le temps de la regarder deux minutes, même si c’est à la lumière des projecteurs du skatepark, son regard, ses yeux, sa bouche, son air... tout. Tout est magnifique. J’en ai presque les mains moites.

— T’es prête à apprendre les basics du skate ? Très belles baskets deja, c’est un bon début. Tu marques des points dans mon ptit coeur de skateur.

Je lui fais un faux clin d’oeil qui est en fait un subtile clignage des deux yeux parce que je ne sais pas faire de clin d’oeil.

— Tu noteras qu’on peut pas être doué en tout.

Je dis en riant. J’ai pas envie d’un rencart solennelle où on se fait des compliments tout le temps et où on se sort nos meilleurs punchline. C’est vrai qu’elle est belle. Je lui ai dit mais je n’ai pas non plus envie de la mettre mal à l’aise.

Je souris face à son compliment et très vite, il me mets à l'aise et me fait rire.

— Je les aient mise exprès pour toi ! Fallait bien que je vienne avec des chaussures de circonstance. Je me serai sentie mal si mon prof m'avait mis un mauvais point des le début.

Je lui avoue, en éclatant de rire devant son clin d'œil qui n'en ai pas un. Il est beau. Vraiment très beau. Je suis déjà en train de craquer. Enfin. De craquer encore plus qu'avant.

— Et bien je te lance un défi ! Si d'ici ce soir tu arrives à me fzire tenir debout sur un skate, je t'apprends à cligner d'un seul œil.

Je souris en lui en faisant un, de clin d'œil.

J’éclate de rire.

— Moi j’ai aucun doute sur le fait que tu vas y arriver, pour le clin d’oeil en revanche... t’as vu le meilleur de moi y a deux secondes. Mais bon, je relève le défi !

J’attrape sa main pour la rapprocher de mes affaires.

— Tu peux laisser ton sac ici. Y a pas de problème. On va se mettre juste là, sur l’allée. En ligne droite. Tranquille.

— Avec un peu d'exercice, on sait jamais ce que ça peut donner. T'es peut-être pas une cause perdue !

Sa main dans la mienne me donne envie de couiner, mais j'essaie de rester digne. Surtout pour un premier rendez-vous. Si je dévoile des maintenant tout ce qu'il me fait, il va me prendre pour une débile.

— On commence maintenant ?

Je demande toute excitée en lâchant mon sac et en enlevant même mon manteau. J'ai aucun risque ici, il fait nuit depuis une bonne heure déjà.

— Tu me laisses pas tomber hein ? Je suis pas en sucre, mais quand même. J'aimerais rester entière.

Je rigole en lui redonnant la main. Autant en profiter.

Le skate, on ne va pas se mentir, c’est un peu laborieux. Elle a un sérieux problème d’équilibre qui me fait mourir de rire. Elle tombe plusieurs fois, moi avec. On se prend des fou rire monstrueux à de nombreuses reprises à tel point que j’en ai mal au ventre. Cette fille est géniale, elle ne se prend pas au sérieux, elle n’a peur de rien et ça change tellement de toutes les petites princesses de mon quartier qui se déplacent en cabriolet dans un village comme si elles étaient Paris Hilton. Ne parlons pas de son rire à gorge déployée parce qu’il me fait carrément fondre.

Je suis rincé et je crois qu’elle l’est aussi.

— Allez, la dernière ligne droite. Sans moi. Tu vas y arriver ! Après, on va aller boire ce milkshake. Supplément de crème fouettée si tu tombes pas !

— OK chef ! Je veux ma crème fouettée !

Il me tiens les premiers mètres, puis finit par me lâcher alors j'y vais à fond, je m'elance un peu, je veux tout donner. J'y suis. Mais je sais pas ce que je fous encore, et je m'explose juste avant le bout de la ligne droite.

— Je vais bien ! Tout va bien ! Je suis en vie !

Je crie en rigolant comme une dinde au bout de la piste.

La pire gamelle qu’elle se prend, c’est la dernière. Je retiens mon souffle deux secondes, avant de l’entendre éclater de rire.

— Putain !

Moi aussi, je rigole, mais je cours quand même pour l’aider à se relever. Elle saigne des coudes, certainement des genoux.

— Bon... on va nettoyer ça avant.

Je l’aide à monter sur le skate pour la pousser jusqu’à nos affaires.

— Toujours avoir ce qu’il faut en antiseptique et pansement dans son sac. Je t’en ai pris des verts parce que c’est ce qui allait le mieux avec tes yeux.

Je dis en sortant un paquet que j’ai acheté tout à l’heure.

— Moi j’en ai pris des bleus. Pas de jaloux comme ça.

J’me suis bien viandé moi aussi. Je lui tends un coton imbibé d’antiseptique.

— Han vert et bleu comme nos yeux, t'es trop mignon !

Je souris niaisement avant d'attraper le coton qu'il me tient. Est-ce que c'est grave d'avoir imaginé un instant comme les yeux de nos enfants seraient beaux ? Sûrement, quand on considère que c'est même pas mon mec.

— Ça fait mal ton truc !

Je grimace en appuyant le désinfectant sur ma plaie.

— Je pensais pas que c'était un sport si dangereux le skate. Tu te blesses encore souvent, ou c'est pour que je me sente un peu moins nulle ?

— Moi ? Non pas des égratignures comme ça. Mais j’me foule souvent des membres et l’année dernière je me suis pété la cheville. J’ai trop fait le malin.

Je la vois galérer avec son pansement quand elle a fini de se nettoyer alors je lui prends doucement des mains pour le coller sur son coude.

— Voilà.

Du coup, je lui tends mon bras pour qu’elle m’aide et quand on est pansé de partout, je l’aide à se relever.

— On y va ? Comme c’est à l’autre bout de la ville, j’te propose de grimper sur mon dos pour qu’on aille plus vite. J’vais crâner un peu, quand même.

En fait, y a une route qui traverse le parc et qui va directement Place du 3 juin, mais c’est quand même assez long. On ira plus vite en skate.

— Tu mets ton sac dans le mien ? Ce sera plus simple si c’est toi qui les portes. Enfin si tu veux bien.

—En skate ?

Je demande comme si c'était une folie. Pourtant, je glisse mon sac dans le sien, et je l'enfile déjà sur mon dos. J'ai confiance en lui, aussi fou cela soit-il.

— T'es sur que ça va aller ? Je sais que je pèse pas cent kilos, mais quand même, ca fait un peu plus de poids que ton sac à dos.

Je rigole, autant nerveusement que d'excitation. Je n'arrête pas de trouver tout excitant ce soir, ça ne m'était pas arrive depuis longtemps. Jamais même, quand j'y pense.

— OK, vas y. J'ai confiance en toi. Je peux pas tomber plus fort que je viens de le faire, de toute façon.

— C’est pas une question de poids. Enfin si tu faisais 100 kg, j’aurais dû mal, c’est vrai, mais là... c’est une question d’équilibre.

Je m’accroupis un peu pour qu’elle grimpe sur mon dos et je me redresse quand c’est fait. Elle est toute légère, ça va le faire.

— Tu te colles entièrement sur mon dos, la tête sur mon épaule comme ça, oui, je dis alors qu’elle se place bien. T’attrapes tes coudes, parfait. Et tes jambes...

Je croise ses pieds sur mon ventre et je bouge un peu dans tous les sens. Ça la fait rire mais elle est vraiment bien accrochée. Comme un sac à dos.

— Allez, surtout tu restes bien accrochée !

Je monte sur le skate et si les premiers mètres sont un peu difficile, quand je trouve mon équilibre, je me lance vraiment et là on peut rouler comme des fous. J’le fais aussi parce qu’après le pont, cette rue est légèrement en pente et que ça va être génial.

Au début j'ai un peu peur, et je ferme les yeux. Mais quand je sens que Kit prends de l'assurance, ça me permets d'en avoir un peu plus moi aussi et je laisse ma peur au placard. J'ouvre les yeux et au final, je me rends compte qu'on roule bien plus vite que je ne l'aurais cru possible. Si on croisait mes parents, ils me tueraient, mais je me sens tellement bien.

— J'ai l'impression de voler !!

Je rigole sans lâcher Kit un seul instant. Le vent nous fouette le visage et quand on attaque une pente, je me croirais à la fête foraine. Je lâche un cri de joie et je m'excuse aussitôt d'avoir brisé un tympan à Kit.

— C'est le meilleur voyage de toute ma vie ! Et pourtant on traverse juste la ville !!!

Y a pas trop de virage donc c’est assez simple, elle a l’air tellement contente que je ne regrette pas de m’être autant fait confiance parce que clairement j’avais jamais fait ça sur une aussi longue distance, à tout moment on aurait pu mourir.

— J’avoue que je trouve ça génial aussi !

Quand on arrive, je commence à freiner et comme je vois que je perds l’équilibre, je saute du skate pour courir un peu à côté et éviter de tomber.

— Bon, on va s’entraîner un peu pour l’arrivée parce que c’est pas au point.

Je dis en riant.

— Si madame veut se donner la peine de descendre, nous sommes arrivés à bon port !

Mon skate a tapé dans le trottoir en face du glacier alors je le récupèrerai au passage.

— Plus on le fera et plus on aura de chances d'avoir un bon atterrissage.

Je souris quand je descends de son dos. J'aimerais vraiment beaucoup que ça arrive de nouveau. Et même si la part de moi qui me dit qu'à un moment il voudra sortir le jour et que tout sera fichu par terre, je l'éclipse pour ne penser qu'à l'instant présent. Je me sens vivante et surtout, je passe mon temps à rire et à sourire. Ça fait un bien fou de ne penser qu'à ce qui va bien.

— Ton skate ne va pas être abîmé c'est bon ?

Je demande alors qu'on se dirige vers le glacier. Il a quand même subit pas mal de choc ce soir, et le dernier n'était pas des moindres.

— C'était vraiment génial Kit, merci pour la ballade !

— On va s’entraîner.

Je réponds en souriant ; si ça peut me permettre de la revoir, je ne vais pas dire non. Je pense à elle toute la journée, j’ai envie de la voir tout le temps. Tous les jours. À chaque minute.

— Non t’inquiète. Puis s’il se pète, j’en rachète un.

Je lui souris sincèrement.

— Merci à toi, tu faisais partie de l’expedition.

J’attrape mon skate au passage et je récupère le sac à dos ; quand même, c’est un peu lourd. On entre et y a un peu de monde alors on se met dans la queue.

— Qu’est-ce que tu vas prendre ?

Il me reprends le sac et j'avoue que je lui donne avec plaisir. Ça pèse quand même ce truc là, surtout avec toute la trousse à pharmacie qu'il y a à l'intérieur.

— Je prendrais bien un énorme milkshake vanille chocolat. Avec des pancakes parce que ça m'a ouvert l'appétit !

Je regarde la carte de loin, et le sirop d'érable me fait fondre d'avance.

— J'ai quand même le droit à ma crème fouettée ?

Je demande avec des petits yeux innocents.

— Évidemment. Pour une première fois, t’as quand même fait de belles lignes droites !

Je n’hésite pas plus d’une seconde à passer mon bras autour de sa taille et quand elle se tourne vers moi, je lui fais un grand sourire.

— Moi je vais prendre un milkshake beurre de cacahuète, supplément cookies. Et puis... un morceau d’apple pie. Et je t’invite.

— Super !

Il passe son bras autour de ma taille. Mon dieu ! C'est comme dans un film de Noël ! Mais en encore mieux ! Alors que c'est même pas Noël ! Je lui souris à mon tour, mais en vérité tout mon cerveau est en train d'exploser.

— Merci beaucoup, c'est trop aimable.

Vraiment, comme dans un film. Il manque plus qu'on s'embrasse sous la pluie et on peut être les vedettes d'une série. J'adore ma vie !

— Je pourrais goûter l'apple pie? Elle me donnait envie aussi, mais le sirop d'érable l'emporte !

J’acquiesce.

— Mais c’est juste parce que c’est notre premier rencard et que j’ai envie de faire bonne impression. Ne pense pas que tu pourras manger ma nourriture aussi facilement après.

Je dis en riant. Quand c’est à notre tour, je commande pour nous, je n’oublie rien, pas même le supplément crème fouetter et on va déposer nos affaires à une table avant de venir tout récupérer. En sentant l’odeur de bouffe, je réalise que je crève vraiment la dalle.

Je fais mine de m'offusquer, avant de rigoler.

— T'en fais pas pour moi, je trouverais bien un moyen de te voler ton repas sans que tu m'en veuilles. Je peux être très persuasive.

Quand on s'installe enfin à table, toutes ces bonnes odeurs me font saliver.

— J'aurais jamais cru que le skate pouvait autant ouvrir l'appétit. Tu m'excuseras, mais je commence. On va pas fzire de chichi alors qu'on crève la dalle !

Je mords déjà dans un bout de pancake.

— Bon sinon, on a pas mal parlé de skate, mais t'as d'autres passions que ça dans la vie ? Autre que ça et le dessin, bien sûr. J'ai pas oublié !

Je lui souris ; pas de chichi, en effet. Moi aussi, je m’attaque à mon gâteau. Tellement bon, la vache.

— Goûte avant qu’il ne reste rien.

Je ne suis pas venu là depuis une éternité car c’est claireent à l’autre bout de chez moi, mais j’y viendrai plus souvent.

— J’avoue.. non. Tout a un rapport avec le dessins. Donc les comics, les BD... tout ça, j’adore. D’ailleurs...

Je pose ma cuillère pour aller fouiller dans mon sac. J’en sors une enveloppe kraft A4 et je la lui tends. J’ai passé toute la journée à dessiner une planche. Comment je l’ai vu la première fois qu’elle est venue. Quand on s’est parlé pour la première fois. Chaque fois, j’ai retranscrit sa tenue, la mienne. Puis j’ai dessiné notre premier rencard. Moi qui attends, qui dessine. Qui la rejoint au skate park. Nous sur le skate. Nous devant un milkshake. Le sien est rose, mais je ne pouvais pas tout prévoir. Je n’étais même pas sûr que tout se passerait aussi bien. La dernière vignette n’est autre qu’un To Be Continued... parce que c’est tout ce que je pouvais prévoir aujourd’hui.

— C’est pour toi. J’avais pas encore de titre alors c’est un carré blanc. Pour l’instant.

Je lui vole un bout de son gâteau et je le vois fouiller dans son sac, alors j'avoue j'en vole un second morceau tellement c'est bon.

— C'est pour moi ?

Je ne sais pas ce que c'est, mais vu le sujet, je suppose que ça a un rapport avec le dessin. Je le remercie, puis j'ouvre tout ça, bien trop impatiente pour attendre.

— C'est toi qui a fzit tout ça ?

Je demande, émerveillée. C'est beau, magnifique, splendide même. Ça nous représente tous les deux. Avant même qu'on se connaisse. Il avait fais attention à ma tenue, à ma coiffure. En fait, il m'a repéré depuis aussi longtemps que je l'ai repérée.

— T'es aussi beau en dessin qu'en vrai.

Je lui souris, le rouge aux joues. Et les yeux brillants d'émotion. Il me laisse sans voix pour la première fois depuis ce soir, mais c'est beau.

— J’essaie de m’arranger.

Je dis avec un petit sourire. Le silence qui suit est très agréable. Je la regarde contempler mon travail et je me sens un peu fier. Vanessa ne s’intéressait jamais à mes dessins et c’est fou de ressentir tout ça en si peu de temps.

— J’espère que j’aurais l’occasion d’en dessiner d’autres.