Calling from Australia — Kit & Norvina

J’ai passé une bonne journée aujourd’hui - comme toutes les autres avant celles-là - mais je reconnais que Norvina m’a pas mal manqué. Comme depuis quelques jours. C’est difficile par moment et le décalage horaire n’aident en rien nos conversations. Elle me répond souvent en décalé et on n’a pas vraiment parlé depuis un moment alors je me décide à l’appeler en FaceTime. C’est la nuit chez moi, la fin d’après-midi chez elle, j’espère qu’elle n’est pas trop occupée et qu’elle va pouvoir répondre ; j’ai cru comprendre que Tristan était débordé en ce moment.

Ca fait quelques semaines que je vis dans une bulle et je m'y sens mieux que jamais. Retrouver Lip a réveillé énormément de sentiments en moi et je n'arrive plus à le quitter. On s'est organisé comme on pouvait, on vit dans le noir de son appartement, mais on s'en fout parce qu'on est tous les deux. Enfin. On attendait ça depuis des années et il est enfin là chaque fois que j'ouvre les yeux, autrement que derrière nos ecrans respectifs.

Il est encore au boulot à cette heure ci, mais il ne devrait pas tarder et ça m'arrange. J'ai pas mal pensé à Kit aujourd'hui, à la situation, au fait que je me demande si je suis en train de le tromper ou non... On a parlé quelque fois, brièvement. Quand mon portable sonne, je chasse toutes ses pensées, mais elles reviennent au galop quand je vois que c'est Kit. Pourquoi aujourd'hui ? J'hésite à ne pas lui répondre, j'attends le plus longtemps possible avant de prendre mon courage à deux mains et de décrocher.

— Hey salut !

Ma voix est nerveuse. Et j'essaie de m'orienter de manière à ce qu'il ne voit que mon visage et rien d'autre. Il s'est laissé pousser la barbe, ca lui va bien.

Elle met longtemps à décrocher et je suis prêt à abandonner quand je vois sa tête apparaître. Ouf. Je lui adresse un large sourire.

— Ça va ? Ça faisait un moment que j’hésitais à appeler, j’aurais pas dû attendre aussi longtemps !

— C'est pas grave, tu dois être hyper occupé !

Je réponds en souriant doucement. Je m'étais jamais retrouvée dans une telle position et je me sens vraiment mal.

— Tu sembles aller bien, le soleil Australien n'est pas une légende !

Il est bronzé en plus du reste, il a vraiment bonne mine.

— Je passe beaucoup de temps avec ma famille. J’ai repris le surf. C’est agréable.

Je lui souris mais je vois bien qu’elle n’est pas à l’aise, qu’elle regarde au loin de temps en temps, comme si elle n’était pas seule ou qu’elle cherchait quelqu’un du regard.

— Et toi ? Ça va ? Tristan m’a dit qu’il était débordé en ce moment, tu dois pas chômer !

Je l'écoute parler, mais je passe mon temps à regarder par dessus mon portable par peur que Lip arrive. Je sais qu'il dirait rien, parce que c'est chez lui que je suis actuellement et que ca veux dire beaucoup, mais Kit... J'ai jamais été dans cette situation et c'est vraiment aussi déstabilisant que c'est raconté dans un film.

— C'est chouette !

Je réponds distraitement. Et quand il parle de Tristan, je perds sûrement le peu de couleurs qu'il me reste.

— Ouais, ca va. J'ai connu pire.

Je souffle en cherchant mon ordi des yeux. J'en sais rien de s'il est débordé, parce que j'ai répondu à aucun de ses appels et que j'ai pas ouvert ses SMS et mails depuis des jours.

— Kit... T'es tout seul là ?

Je demande en entendant du bruit dans le hall de l'immeuble. Je peux pas faire comme si de rien n'était et lui raconter ma vie, encore moins si Lip arrive. S'il appelle c'est que pour lui on est encore ensemble, non...?

Elle parle à peine et je comprends que je la dérange. C’est bizarre mais mon sourire se gomme un peu. Surtout lorsqu’elle me demande si je suis seul.

— Oui, pourquoi ? Ça va pas...?

— Pas vraiment.

Je pince les lèvres en fuyant son regard. Je le vois perdre son sourire et j'ai l'impression qu'il commence déjà à comprendre.

— Quand t'es parti, je savais pas trop ce que ça signifiait pour nous. On n'a pas du tout prit le temps de discuter, t'as dis que t'avais besoin de faire le point et j'ai un peu eu l'occasion de le faire de mon côté aussi...

J'avoue finalement en grimaçant. Je crois pas que je devrais lui dire pour Lip, j'en sais rien.

— Oh.

Mon cœur s’emballe et c’est douloureux. Je crois que je n’ai pas envie de comprendre même si je suis loin d’être stupide.

— Et... qu’est-ce que ça a donné ?

Moi aussi, j’ai fait le point et, bizarrement, j’ai l’impression que ça n’a pas donné le même résultat.

— Je crois pas qu'on devrait continuer...

Je dis finalement, le cœur battant. Une partie de moi n'a pas envie de faire ça et voudrait aller se blottir dans ses bras, mais je suis amoureuse de Lip depuis aussi longtemps que je m'en souvienne. On a enfin une chance et je suis heureuse avec lui, tellement heureuse.

— Je suis désolée Kit, je sais que t'es loin, mais... Je crois pas qu'on soit sur la même longueur d'ondes. Ce sera mieux pour nous deux...

Je grimace en me déplaçant pour m'asseoir sur le canapé.

C’est un coup de massue. J’arrête même de respirer quelques secondes tellement le choc est rude. FaceTime, c’était une très mauvaise idée parce que je suis incapable de masquer ma surprise - et ma peine.

— ...pas sur la même longueur d’ondes ? Ça veut dire quoi ? Fin... on peut en parler ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Quand elle se lève, je ne reconnais pas du tout l’endroit et c’est bizarre. J’ai l’impression d’avoir avoir atterri dans un univers parallèle.

— On peut, mais ca changera rien... T'as besoin de liberté et moi je peux pas te l'offrir. C'est pas de ta faute Kit.

Je vois toute sa peine et ça me rends encore plus triste. Je veux pas le rendre malheureux, il a toujours été genial, il mérite pas ça. Il mérite pas non plus que je lui mente.

— J'ai discuté avec Lip, peu de temps après ton départ. Je pensais pas que ça finirait comme ça, vraiment...

— Mais la lib-

Quand j’entends qu’elle parle de Lip, ça me soulève l’estomac. Je n’ai même plus envie de lui dire que la liberté, je l’avais déjà, que j’ai réalisé en étant loin d’elle qu’elle me manquait tous les jours et que j’avais eu besoin de me retrouver avec ma famille pour en prendre conscience. J’ai pas arrêté de parler d’elle, mes parents avaient envie de venir pour la rencontrer et je me sens tellement con que c’est douloureux.

— T’es chez lui actuellement, c’est ça ?

C’est pour ça que je ne reconnais rien. Non seulement elle me rappelle que c’est de ma faute, si elle me largue, mais en plus, elle me glisse que c’est pour le retrouver lui ? Je crois que j’ai jamais eu aussi mal dans une rupture.

Je pince les lèvres en acquiesçant, les larmes aux yeux.

— Je pensais que c'était déjà terminé...

Ou alors c'était plus simple de laisser Lip m'en convaincre plutôt que d'attendre ?

— Je suis désolée Kit.

— Terminé ? Tu pensais que c’était terminé et t’as pas jugé bon de m’en parler ? Bon sang mais tu réalises ou pas ? Tu réalises qu’on avait des projets, qu’on avait enfin fini la maison et que-

Ma voix se brise et je suis bien content d’avoir une mauvaise connexion parce qu’elle ne doit pas voir que je suis à moitié en train de chialer.

— J’avais besoin de voir ma famille qui vit à l’autre bout du monde, Norvina. J’étais paumé et j’avais peur d’étouffer mais c’était justement parce que c’était sérieux ! Je pensais qu’on était sur la même longueur d’ondes, justement. Putain mais t’as même pas attendu d’être sûr que.. on est ensemble. Était.

Ça me troue le cœur, c’est insupportable.

— Ce mec m’a laissé pour mort pendant la tempête et c’est avec lui que tu t’en vas ? J’arrive même pas à comprendre comme t’as pu. Pourquoi tu m’as pas parlé.

— Mais pourquoi t'avais peur d'étouffer ? Ca aurait même pas du arriver. On devrait pas avoir peur d'étouffer quand on est avec quelqu'un...

J'entends Lip dans ma bouche et je sais même pas si je le pensais aussi ou si ce sont ses mots qui m'ont fait réaliser qu'il a sûrement raison. Mais j'entends aussi tout ce que dit Kit et ca fait tellement mal.

— Je savais pas quoi faire, j'étais toute seule et il a été là pour moi.

Il l'a toujours été, au fond.

— J'aurais du t'en parler, mais ca me faisait peur et tout est allé beaucoup trop vite. Ca excuse rien du tout, je le sais. Je voulais pas te faire de mal.

— Tu t’es pas dit que toi te mettant avec quelqu’un d’autre alors que je t’aime et que j’ai des projets de vie avec toi ça risquait de me faire mal ?

Elle ne réagit même pas sur ce que je dis à propos de Lip. Elle s’en fout. C’est blessant au moins autant que c’est effrayant. Mais j’arrive plus à faire semblant.

— Écoute, je vais te laisser. J’ai plus tellement envie de discuter.

— Si ! Mais je croyais que c'était différent maintenant, je sais pas pourquoi j'ai cru tout ça, j'ai pas réfléchis...

J'avoue la gorge serrée.

— Je suis vraiment désolée Kit.

Comme si le répéter encore une fois aller changer quelque-chose.

— Ouais. Ça t’a pas empêché d’aller voir ailleurs.

Et qu’elle me manquait et que j’espérais qu’elle ressentait la même chose.

— T’as pas idée à quel point je suis désolé, moi aussi. De pas avoir été suffisant. Bonne continuation.

Je raccroche sans lui laisser le temps de répondre et je m’effondre.

Il raccroche, comme ça, sans que j'ai rien eu le temps d'ajouter. Je me sens mal et quand je vois le message de Lip qui me dit qu'il a débordé un peu sur ses horaires et qu'il rentrera plus tard que prévu, ça ne fait qu'empirer.

J'ai l'impression d'étouffer toute seule ici et je pourrais vomir de tout ce que je ressens. Je ne quitte pas le canapé pendant une bonne heure, peut-être même un peu plus et ça tourne en boucle dans mon esprit : les mots de Lip, les mots de Kit, encore et encore et encore. Je m'en veux terriblement d'avoir blessé Kit, mais je suis bien avec Lip et ca rends tout encore plus dur.

Au bout d'un long moment, je finis par penser à Tristan et je me décide à l'appeler, de nouveau la panique au bord des lèvres. Je sais que je n'ai pas donné le meilleur de moi-même, qu'il doit être déçu lui aussi, mais je veux pas qu'il garde cette image de moi. J'ai aussi entendu Kit me dire combien il avait un boulot monstre et moi j'ai pas répondu à un seul de ses appels et j'ai à peine pris le temps de prendre ses SMS en compte. Alors qu'à l'évidence, Kit à l'autre bout du monde l'a fait lui. Je sais même pas ce que je vais lui dire.

— Allo ?

Je demande alors qu'il décroche, mais que personne ne réponds. J'ai mal à l'estomac, comme si ma vie entière se jouait aujourd'hui.

—Tristan ?
— Hey ravie de t'entendre, on a failli appeler les pompiers après le centième appel sans réponse !
— Ania ? C'est toi ?

Je demande en vérifiant que j'ai bien appelé la bonne personne.

— Ouais c'est moi, t'as raté beaucoup de choses ces dernières semaines. T'en aurais appris plein si t'avais pas eu un truc à faire à la dernière minute au lieu de venir chez Mimie la dernière fois.
— J'ai eu un souci de dernière minute, je suis désolée...

Ma voix tremble un peu, parce que je sais pas mentir et que je suis désolée de trop de choses ce soir. Je comptais vraiment y aller, mais Lip est rentré, il m'avait manqué toute la journée et de fil en aiguilles, j'ai plus voulu quitter ses bras. Et de nouveau j'ai vraiment hâte qu'il rentre du travail, parce qu'entre ce que je viens de faire à Kit et la façon dont Anastasia me parle...

— Tu vas bien ? Ta famille aussi ?
— Euh oui. Oui on va tous plutôt bien. Y'a pas de soucis de ce côté là, mais je vois -
— Donc t'as vraiment aucune excuse pour toute la merde que t'as laissé à Tristan ?
— Ania est-ce que je pourrais lui parler s'il te plaît ?
—Oh t'inquiète pas, il entends tout. Il est autant impatient que moi d'écouter pourquoi t'as cru que tu pouvais abandonner ton job du jour au lendemain.

J'imagine qu'elle est sur haut parleur et je me sens vraiment stupide de la façon dont elle me traite. Comme si j'étais une gamine qui avait tout fait foirer. Est-ce que c'est vraiment le cas ?

— J'avais besoin d'un peu de temps pour moi ! C'est pas un crime, ça arrive. Non ?
— Mais t'as aucune notion de la réalité putain ! C'est pas pour rire que Tristan t'as confié tout ça ! C'est un travail, pas une place aux chaises musicales ! Il avait confiance en toi !
— Il peut toujours avoir confiance !

Je réponds, piqué à vif. Je suis pas stupide non plus, mais j'aime pas qu'elle laisse entendre à sa place qu'il n'a plus confiance en moi.

— Tu crois ? Je demande aux nombreux rendez-vous qu'il n'a pas pu honorer parce qu'il devait en gérer d'autres à la fois ou je t'envoie une photo de ses cernes ?
— Je n'ai pas -

Pas le temps d'en placer une, Ania enchaîne et elle ne me laisse pas une seconde pour me défendre.

— T'as un contrat Norvina, t'as des objectifs, des tâches, t'es payé pour ce que tu fais ! D'ailleurs ça représente pas grand chose ce mois là, t'étonnes pas de ton salaire ! Tu peux pas être payé à rien faire alors qu'une autre personne a du être embauché à ta place.

Ca me tombe dessus comme une chape de plomb. C'est pas seulement l'argent, c'est ce travail ! Je voulais profiter de Lip, de nos retrouvailles, mais je comptais m'y remettre comme il fallait. C'était une question de quelques semaines, c'est tout ! Je peux pas perdre autant de choses en si peu de temps.

— Y'a pas besoin de quelqu'un d'autre ! Je fais bien mon boulot ! Je suis désolée pour ces dernières semaines, mais je laisserais pas tomber Tristan.
— Tu l'as déjà fait. T'es notre amie ! T'étais censé être plus présente que n'importe qui et finalement, j'ai du prendre ta place parce que t'as plus donné signe de vie !
— Oh ca va pas la peine de me faire la morale sur ça, moi il m'a pas quitté parce que je suis partie à l'autre bout du monde en l'abandonnant. Je croyais que faire la guerre c'était la seule chose pour laquelle t'étais douée ?

Le silence s'impose et je m'en veux d'avoir dit ça, mais pas suffisamment pour m'en excuser. C'est facile de critiquer les autres sans balayer devant sa porte.

— Ok tu sais quoi, tu me facilites les choses. C'est moi qui ai prit ta place, c'est comme ça et actuellement, je suis en train de rédiger ta lettre de licenciement.
— Quoi ?
— Estime-toi heureuse que Tristan soit quelqu'un de bienveillant parce que ca te permets de partir avec quelques avantages. Si y'avait eu que moi, je te virais pour abandon de poste sans aucun état d'âme.
— Mais vous pouvez pas faire ça !
— Si on le peut. En tant qu'assistante, je considère que c'est la meilleure chose à faire pour que Tristan s'en sorte. Et en tant qu'amie, j'étais désolée y'a encore quelques minutes mais maintenant tu peux aller te faire foutre.
—Ania...
— Y'a pas d'Ania. Je me suis confiée à toi et je pensais pas que ca ressortirait comme ça. Ça explique beaucoup de choses sur ton récent comportement j'imagine. Je t'enverrais les documents par mail, j'ai pas enviebde m'eterniser là. Salut.

Elle raccroche sans me laisser en placer une, exactement comme Kit. Et je fonds en larme parce qu'en une heure, j'ai l'impression que ma vie a volé en éclats.

Quand je rentre, je trouve Norvina endormie, roulée en boule dans un coin du canapé.

— Hey... mon amour ?

Je caresse son visage avec tendresse. Elle est dans une position pas confortable du tout.

J'ouvre les yeux dès que je sens quelque chose sur mon visage et je mets un court instant avant de réaliser où je suis. Quand je vois Lip devant moi, je me lève aussitôt pour me blottir dans ses bras et je retiens un sanglot.

— Tu m'as manqué.

Je me contente de dire en essayant de me fondre contre lui.

Je la serre contre moi et je dépose un baiser dans ses cheveux.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Ça va pas ? Tu trembles...

— J'ai perdu mon travail...

Je réponds en reniflant. J'en ai marre de pleurer.

— Et je me suis disputé avec Tristan et Anastasia.

— Mais... pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Je l’entraîne sur le canapé pour la blottir contre moi.