First date — Kit & Norvina

— T'as pas besoin de t'arranger, arrêtes.

Je souris timidement. J'arrive pas à quitter le dessin des yeux.

— J'espère surtout que la bande dessinée va pas s'arrêter là. J'ai bien envie de voir ce qu'il y aura dans la prochaine case.

Je lève enfin mes yeux pour tomber dans son regard et je me sens bien.

Je lui souris avec bienveillance.

— Y a pas de raison que ça s’arrête.

Par-dessus la table, j’attrape sa main pour lier nos doigts.

— Je t’aurais bien fait un clin d’oeil mais bon, tu connais mon niveau.

— Essaie déjà de fermer tes deux yeux, et d'en rouvrir qu'un seul.

Je souris en resserrant mes doigts dans les siens.

— Moi j'y arrive qu'à droite, j'avoue.

Je rigole en lui montrant que de l'œil gauche, je ne suis pas mieux que lui.

Je ferme les yeux et j’ai beau me concentrer pour n’en ouvrir qu’un, les deux s’ouvrent automatiquement. J’éclate de rire au bout de trois essais.

— Bon, je vais m’entraîner.

Je porte ma paille à ma bouche pour goûter le milkshake.

— C’est une tuerie. Faudra que je vienne plus souvent. T’habite dans quel quartier, au fait ? T’es loin d’ici ?

— T'es incorrigible.

Je rigole en le regardant faire, absolument adorable. Il est vraiment aussi doué que moi sur un skate.

— Je connaissais pas, je découvre cette ville grâce à toi !

Je souris, avant de me rendre compte de ce qu'il me demande. Je passe un excellent moment, mais je ne suis pas certaine d'être prête à lui donner autant de mon intimité. Parce que j'ai peur. Peur qu'il vienne, peur de devoir dire la vérité, et peur que ça le fasse fuir. Je n'ai pas envie de le voir partir. Pas après cet agréable moment.

—Non, je suis tout proche je pense. Je me répète pas encore trop, mais je crois bien qu'on est dans mon quartier. T'es du coin toi aussi ?

Et à la fois j'ai envie de qu'il me dise non, pour avoir moins de risques de le croiser, mais aussi qu'il me dise pour avoir plus de chance qu'il ne veuille pas me ramener de nouveau jusque chez moi.

— Ah non, moi j’suis à l’autre bout. J’habite à East Falls.

Je lui souris. Elle n’a pas l’air tellement sûre de l’endroit où elle habite.

— T’as pas de sens de l’orientation ou tu sais vraiment pas où on est ?

Cette place est un point de repère pour le quartier ; de là, on voit la vieille église.

— Oh ça te fait un bout pour rentrer !

Je baisse les yeux sur son bolide en souriant.

— Mais j'imagine qu'avec ça, et sans moi qui tombe toutes les deux secondes, tu seras rapide comme l'éclair.

Je souris en l'imaginait déjà, alors que je passe pour une débile tout ça pour protéger une maladie stupide dont il n'a rien à faire.

— J'ai pas un super répère des distances surtout. Je sais qu'on n'est pas loin, mais je saurais aps te dire si je suis à 2 ou 10 minutes d'ici !

Je la regarde ramer en comprenant bien que, si elle ne « sait » pas, c’est certainement parce qu’elle ne veut pas que je sache non plus.

— T’es plus proche de la vieille église ou du musée ? Je ne te demande pas ton adresse. Si tu n’as pas envie de me la donner dis-moi que tu ne préfères pas. Je n’insisterai pas. C’était juste pour faire la conversation.

Je n’aime pas trop les mensonges, les réalités embellies ou les non-dit. Surtout pas dans les relations amoureuses, je sais les dégâts que ça cause. Et, à priori, on ne se lance pas sur la voie de l’amitié.

Je souris sincèrement ; je lache sa main mais uniquement pour manger mon gâteau.

— Tu goûtes ?

Je propose en avançant on assiette vers elle.

Il est prévenant et je me sens stupide de mentir à un garçon comme lui. Un garçon qui a tout de suite vu que je mentais et qui pourtant, continue de me sourire avec autant de sincérité qu'avant.

— Je suis désolée, c'est assez nouveau pour moi. C'est une façon de me protéger de ne pas dire où j'habite. Ça a toujours été le cas. Et c'est pas contre toi, vraiment. J'espère que tu comprends.

Je souris à mon tour, bien plus timidement. J'aimerais pouvoir tout lui dire et qu'on soit tranquille, sans aucun mensonge, mais je sais qu'il partirait à la seconde où je le ferais. Qui essayerait quoique ce soit avec une fille qui peut sortir de chez elle seulement entre vingt heures et cinq heures du matin ? Personne.

— Mais je suis plus proche du musée, quand même.

Musée que je ne visiterai sûrement jamais, mais bon. J'essaie de chasser ces mauvaises pensées de mon esprit et après des années d'entraînement, c'est relativement rapide. Surtout lorsqu'il avance son assiette vers moi.

— Alors en faite, j'ai déjà goûté tout à l'heure. Plutôt deux fois qu'une, je dirais même !

Je rigole enfin en reprenant de mon milkshake, sur lequel j'ai déjà mangé toute la crème fouettée.

— Alors je te déposerai au musée. C’est pas un problème.

Mon portable sur la table vibre et quand je jette un œil, je vois que c’est Keziah.

— Désolé, je sais que ça ne se fait pas mais c’est peut-être important.

Je dis en déverouillant mon portable pour lire le message. Je regarde l’heure. Keziah me propose se passer voir un film. Adriel a demandé lui-même mais il n’a pas encore de portable.

— Oh euh... merde.

L’espace d’un moment, je ne sais pas quoi faire. Puis très vite, ça me semble évident.

— J’ai... j’ai un ami qui...

Je regarde Norvina, elle est attentive, elle sourit. Je réponds vite à Keziah que je suis en rencard avec une fille de fou : Norvina du skatepark.

— Je sais que ça à l’air de l’excuse la plus pourrie pour quitter un rencard mais je t’assure que c’est pas ça parce que je passe la meilleure soirée depuis des mois et des mois. J’ai un ami qui a vécu un truc vraiment dur. Si tu regardes la télé, t’as certainement entendu parler d’Adriel Lynch... ?

Elle hoche la tête, sans savoir où je veux en venir.

— C’est l’un de mes meilleurs amis. J’ai pas pu aller le voir depuis un mois, le temps qu’il prenne ses repères et là, son copain me propose de passer. J’apprécie tellement ce moment avec toi que... mais je l’ai pas vu depuis plus de trois ans.

À ce moment-là, je reçois un nouveau message. « Amène-là si elle est cool, je suis pas en sucre + j’aurais l’impression de vivre normalement pour une fois. Ce sera pas une soirée bizarre, je vais pas me coucher dans un coin et crier. Promis. Adi. »

— Alors... euh...

Je reporte mes yeux sur elle.

— Alors je vais y aller. Donc je peux te raccompagner au musée ou bien tu peux venir voir un film avec nous parce que t’es cordialement invitée. J’ai le droit de t’inviter seulement si t’es une fille cool.

Je dis avec un sourire.

Je reste silencieuse pendant quelques instants. Adriel Lynch, on en a tous entendu parler dans le coin ces dernières semaines. Mais c'est vrai que c'est plus facile de le voir à travers un écran, en étant plus ou moins détachée, plutôt que d'avoir face à soi un de ses proches qui a dû vivre un enfer.

— Je suis très touchee de la proposition. Surtout si elle est réservée à une fille cool. J'ai quand même des pansements vert sur mes genoux et mes coudes.

Je rappelle en riant, pour essayer de gagner du temps. Enfin, si je puis dire. J'ai passé une soirée excellente, et j'ai énormément envie de le suivre, parce que j'ai confiance en lui. Mais je refuse que ma venue les mette mal à l'aise, que ce soit vu comme du voyeurism. A cause de ma maladie, je ne connais que trop bien cette sensation d'être un animal en cage qu'on veux venir admirer. Je n'ai pas envie de faire ressentir ça à ce garçon.

— C'est tres gentil à toi. Ou à vous, je ne sais pas trop. Et ça me ferait extrêmement plaisir. Mais tu l'as pas vu depuis trois ans et... Bon, j'ai la télé, je sais qu'il est rentré chez lui il n'y a que quelques jours. Peut-être que c'est pas nous qu'il a envie de voir, mais son meilleur ami.

Je souris tendrement. Si c'est Kit qui m'a plus ou moins imposé et qu'il le laisse entendre, je refuserais. Si l'invitation vient de ses amis, pourquoi pas.

— C’est comme tu veux. Je ne te force pas et jamais ils ne m’auraient proposé de t’emmener si Adriel n’avait pas voulu. Je crois qu’il a envie de remettre un pied dans la réalité.

Je souris avec bienveillance.

C'est pas lui, c'est eux. Alors je ne vais pas vraiment déranger. Et si en plus ça peut aider quelqu'un, je suis qui pour dire non alors que ça me plairait.

—C'est OK pour moi alors !

Je souris avec tendresse en attrapant mon milkshake pour terminer ce qu'il m'en reste.

— Ils habitent loin d'ici ? Sous entendu, on remonte sur ton bolide ou pas ?

— Non, ils doivent être à cinq minutes à pied. Ils sont dans le quartier nord mais on est juste à côté.

Je préviens Keziah qu’on vient à deux avant de boire encore quelque gorgée de mon milkshake.

— J’vais leur prendre un milkshake à emporter. Et des cookies. T’as envie d’une tarte aux pommes pour tout à l’heure ? Cookies ? J’arrive pas à croire qu’il est là.

J’en ai la gorge serrée. C’est dingue. On a passé tellement d’heure dans cette forêt à la con à la recherche d’un indice. Et maintenant il est rentré.

— C’est vraiment un super journée.

Il est ému et ça se soit rien qu'à l'expression de son visage. Ça le rends encore plus beau, de laisser ses émotions le diriger.

— Il a été porté disparu pendant plusieurs années, c'est bien ça ? Tu dois être tellement heureux de pouvoir le revoir.

Je demande, en imaginant ce que ça a du être de ne pas le savoir vivant ou mort, pendant tout ce temps. Et son copain, dont Kit à parlé. Sur internet, ils disent qu'il n'a pas arrêté de le chercher. Il a passé trois ans loin de son petit-ami et aujourd'hui ils se sont retrouvé. C'est beau.

— Je peux inviter ? C'est la moindre des choses, vu la gentillesse avec laquelle vous m'incluez à vos retrouvailles.

Je souris tendrement en me relevant, pour débarrasser notre table.

J’acquiesce.

— Tu prends les milkshakes, je prends les cookies ?

J’ai quand même envie de leur acheter quelque chose.

— Un milkshake oreo banane et un milkshake vanille cookie. Et moi je vais prendre une citronnade maison.

Je souris. Je la trouve belle, adorable. J’arrive pas à réaliser la chance que j’ai qu’elle ai accepté de passer cette soirée avec moi et qu’elle me suive chez Adriel et Keziah. Plus elle me sourit, plus je fonds. Elle a notre plateau dans les mains et je serais incapable d’expliquer pourquoi mais je sais que c’est le moment. Alors je me penche vers elle et j’embrasse ses lèvres avec tendresse.

Ma respiration se bloque quelques secondes. Jusqu'à ce que Kit se décolle de moi, en fait. C'était mon premier baiser. Le premier et il était parfait.

— Si on était dans un film, je laisserais le plateau tomber par terre. A la fois sous le choc, et avec l'envie de vouloir me glisser dans tes bras.

Je rigole, d'une manière niaise et stupide. J'ai cette vieille manie de tout rapporter au cinéma qui doit être inssuportable parfois, mais je m'en fous. Je suis heureuse et j'ai envie de hurler de joie.

— Mais je vais me contenter de me débarrasser de ça à la poubelle, avant de te rejoindre pour qu'on commande ! Je crois que je vais être un peu trop collée à toi.

Je rigole franchement ; elle est géniale. Je prends le plateau des mains pour le jeter et j’attrape mon sac avant de passer mon bras autour de sa taille.

— Moi aussi, je vais te coller. T’en fais pas.

— T'as la permission de le faire.

Je souris de toutes mes dents en me laissant aller contre lui. On commande tous les deux, en réglant chacun une partie de ce qu'on prends, et rapidement on ressort du glacier avec deux sacs. Enfin, moi je les porte pendant qu'il se dépatouille avec son sac et son skate.

— J'espère que je vais pas sembler trop bizarre. Et que vous allez passer une bonne soirée quand même. Vous vous connaissez depuis longtemps, tous les trois ?

— Cinq ans. Mais... enfin je pense qu’on doit réapprendre à connaître Adriel.

Une fois dehors, j’accroche mon skate à mon sac, je le mets sur mon dos et je la libère d’un des sacs.

— Sois toi-même et ça ira tout seul. Faut pas t’en faire, ils sont assez cool.

J’attrape sa main pour lier nos doigts.

—J'imagine. Après tout ce temps, j'imagine que lui-même il doit avoir du mal à se rappeler de qui il était.

Trois ans c'est tellement long. Tu dois forcément finir par croire que ce que tu vis, loin de tout, c'est ça ta vraie vie. Le pauvre. Et dire que j'ose me plaindre parfois.

— OK, cool et rester moi-même.

Jacquiesce en riant.

— Tu dois te dire que je sors jamais de mon trou !

Je préfère en rire plutôt que de lui laisser penser que je suis une debilos.

Je caresse sa main avec mon pouce, un peu pour la rassurer.

— Non, je ne me dis pas ça. Tout le monde est différent, c’est tout. On n’a pas le même vécu, la même histoire. Faut pas se prendre la tête, tu sais ?

Alors ça existe, les hommes beaux et aussi gentils ? Pourquoi les filles passent leur temps à cracher sur les mecs s'il en existent des aussi adorable.

— Facile à dire, tu vas pas passer la soirée avec deux inconnus et ton charmant skateur mysterieux.

Je souris en resserrant mes doigts dans les siens. En réalité, je suis surtout excitée de rencontrer des gens. De véritables personnes.

— J'aurais jamais cru pouvoir m'apprête à faire ça il y a à peine quelques jours. Tu me sors de ma zone de confort, j'adore ça !

— Oh y en a un que tu connais mieux que les autres...

Je dis en riant un peu. La biographie d’Adriel a été vu et revu dans des tonnes d’émissions. Je ne veux surtout pas qu’elle arrive en pensant que l’ambiance va être lourde et insoutenable. Je sais que ce ne sera pas le cas. Pas en sa présence. Surtout pas si Adriel a besoin de se changer les idées. Je connais Keziah, il va tout faire pour faire passer une bonne soirée à son amoureux.

— T’as pas fini d’en sortir. Moi j’aime bien faire plein de trucs. Même si c’est juste aller chez des potes sur un coup de tête. Bon ça m’arrive d’être casanier, hein. Je suis heureux que tu les rencontres, en fait, les deux inconnus.

Je ris doucement.

— J’espère que je ne suis plus un mystérieux skater maintenant.

— Qui, toi?

Je souris, histoire de le rassurer. J'ai pas envie qu'il croit que je viens pour son pote.

— Je suis pas ce genre tu sais. Qui a passé des heures à connaître tout de sa vie et qui va se jeter sur lui comme si c'était une star ou mon meilleur ami retrouvé. Comme tu viens de le dire, on n'a pas tous la même histoire, mais je t'assure que je vais pas le fzire passer pour une bête de foire. Au cas où ça t'as effleuré.

Je me resserre contre lui, et je viens même embrasser sa joue. Que de folie Norvina !

— T'es un peu plus que ça maintenant, c'est vrai ! Et j'ai hâte de découvrir tes autres facettes. Comme j'ai hâte de rencontrer des gens qui comptent vraiment pour toi. On dit que nos amis disent beaucoup de nous !