Papa où t’es ? - Luca & Alessandro

— On se couche tout de suite, viens.

Je réfléchis pas plus et je dépose son sac par terre pour ouvrir la couverture et l’entraîner à l’intérieur du lit.

— On appelera les garçons plus tard pour Roméo, on a encore le temps.

— D’accord.

J’ai l’impression que tout me tombe sur les épaules d’un coup, j’ai la tête qui tourne.

Je vais directement me coucher et j’attends qu’il vienne aussi pour me blottir contre lui. Je ferme les yeux un instant et ça tourne un peu moins. Mais j’ai peur de m’endormir parce que si jamais je le réveille et que mon père est mort ?

— Mon coeur ça va ?

Je chuchote une fois qu’il est contre moi. Il s’agite et même un peu, je peux sentir son coeur s’emballer.

— J’ai peur de dormir...

J’avoue du bout des lèvres. Ça m’arrive souvent parce que j’ai peur de mourir. Mais c’est différent aujourd’hui.

Je me décale de manière à ce qu’il puisse voir mon visage, mes yeux surtout.

— Je te mentirais pas Trésor, jamais. Je sais que c’est effrayant, d’imaginer que tout ça ne soit qu’un rêve, mais c’est pas le cas.

Je caresse sa joue avec tendresse.

— Entendre sa voix ça te rassurerait ?

Je secoue vivement la tête.

— Non, non, je veux surtout pas l’appeler. Après on pourra pas se voir tout de suite...

— Je sais.

Je grimace en le serrant contre moi.

— Quand je lui ai parlé, il m’a demandé si j’étais sûr de moi. Si tu étais bien son fils, à lui. Alors je lui ai parlé de tes yeux, de la tache de naissance dans ton dos. Au téléphone on ne pouvait pas trop en dire, mais il m’a demandé si tu aimais bien l’Italie. Je crois qu’il a eu peur en entendant que j’étais anglais, j’ai pas vraiment eu le temps de lui raconter l’histoire de ma vie tu te doutes bien. Alors je me suis juste contenté de lui dire que non seulement tu aimais, mais que tu parlais la langue à merveille et qu’on avait même été voir ton ancienne école, près des Arènes. Il a tout de suite comprit de quelles arènes je parlais et il a su que ça ne pouvait être que toi, qui m’avait emmené à Vérone. J’ai vraiment hâte que tu puisses en être autant convaincu que lui.

— C’est pas que j’ai pas confiance en toi. C’est que j’ai peur. Imagine que je meurs cette nuit sans l’avoir revu ?

Finalement, c’est toujours que j’ai peur de mourir. Avant j’avais pas peur, mais y a des jours c’est incontrôlable.

— Tu mourras pas cette nuit mon coeur, y’a aucune raison pour ça.

Le simple fait d’imaginer ça pourrait me mettre dans tous mes états, si je ne priorisais pas dans ma tête.

— Je vais te surveiller. Je vais faire attention à ton rythme cardiaque, à te bouger un peu de temps en temps. Je m’en occupe, d’accord ?

— Mais non, tu dois dormir pour bien faire ton travail ! Toi aussi tu dois te reposer ! Mais y a ma montre...

Je dis en glissant ma main sous son t-shirt. J’aime mieux sentir sa peau, ça me rassure.

— Est-ce que tu peux me raconter quelque chose que je sais pas sur toi ? J’aime bien ta voix. Plus que bien. C’est un des sons que j’aime le plus au monde.

— Je vais quand même me reposer, t’en fais pas.

Mais je dormirais d’un œil, pour le rassurer et ne jamais l’avoir loin de moi.

— Vraiment ?

Je demande en souriant.

— Alors c’est parti pour une histoire, même si y’a plus grand chose que tu sais pas sur moi Trésor.

C’est une question qu’il adore me poser, du coup à force on a fait le tour des événements importants de ma vie.

— Une fois quand j’étais gosse, j’ai disparu. Enfin, pas en tant que tel, mais c’est ce que ma mère a cru. Je jouais dehors, en Italie, quand un voisin m’a proposé de venir voir ses chiens. On le connaissait bien, je savais que je craignais rien, mais j’ai pas prévenu ma mère. Je suis parti avec lui comme ça, sans rien dire ! Et tu te doutes bien qu’à jouer avec ses chiens, j’ai pas vu le temps passer. Je saurais même pas dire combien de temps après, j’ai entendu ma mère débarqué chez notre voisin en demandant de l’aide, qu’elle me trouvait pas et que je ne répondais pas. J’ai sorti la tête de son jardin et quand j’ai osé lui dire que j’étais pas perdu, je pense que pendant une seconde elle a voulu que je le sois tellement elle a eu peur !

— Comme quand j’ai disparu au marché ?

Je dis avec un sourire. Quand je vais m’endormir, il parle pas de la même manière. Doux et lent. Très grave. Je niche ma tête dans son cou.

— T’étais en colère, ce jour-là.

Même avec sa tête dans mon cou, je peux entendre son sourire au son de sa voix.

— J’étais pas en colère, j’étais inquiet.

Je corrige en riant un peu.

— Du coup j’étais peut-être un peu excédé que tu fasses ta tête de mule et que tu me tiennes tête après.

C’était sa façon à lui de gérer sa colère et son deuil.

— Tu mens. T’étais en colère et agacé. Mais je sais que tu seras plus jamais comme ça maintenant. Tu m’aimes beaucoup trop.

De ça, je suis sûr.

— Moi, une fois, j’ai suivi un inconnu.

— Parce que j’étais inquiet. T’étais sous ma surveillance et dès la première sortie qu’on a fait je t’ai perdu ! C’était un comble ! Et en plus t’as fais un malaise, tout pour plaire.

Je lève les yeux au ciel en le serrant contre moi.

— C’est surtout qu’aujourd’hui je serais inquiet parce que je t’aime. Ce serait de la peur profonde. Là j’étais inquiet sur un terme professionnel, c’est différent.

Maintenant une heure sans nouvelle et je vascille.

— Pendant longtemps ? T’étais petit ?

— Tu sais toujours où je suis. Je te le dis.

Je sais que c’est source de stress pour lui. Je sors jamais quand il donne ses cours, par exemple. Alors je sors jamais sans lui. De toute façon, me promener sans lui, je ne vois pas l’interêt.

— Moi je m’en souviens pas, j’avais trois ans. D’ailleurs je sais même plus trop ce qu’il s’est passé. C’était à la plage. Ça je m’en souviens. Mes parents étaient très inquiets.

Je peux rarement raconter des choses de mon enfances parce que ça s’efface un peu mais mon père pourra me les rappeler et je vais raconter plein de choses à Alessandro.

— Veux mieux ! Sinon j’appelle Luke et dans la demi heure y’a toute la ville à ta recherche.

C’est excessif, mais j’en ai carrément rien à faire.

— Enfin t’es pas prisonnier non plus. Si tu veux sortir sans me dire où tu vas t’as le droit, mais que je sache au moins que tu pars quoi. Et avec qui, de préférence.

Que je puisse joindre une autre personne à tout moment au besoin. C’est vraiment que je ne veux pas qu’il puisse lui arriver quelque chose.

— J’imagine ! Si petit et avec un inconnu. Je demanderais à ton père, il doit forcément s’en rappeler. Il a du avoir une peur bleue ! Y’a d’autres choses comme ça que je ne sais pas ?

Je demande en passant mes jambes autour des siennes.

— Je préfère être avec toi et tu le sais.

On fait tout ensemble et ça me va parfaitement.

— Certainement oui ! Mais des choses que j’ai oublié, sans doute !

Là je me sens bien et je sens que je vais m’endormir bientôt.

— C’est aussi ce que je préfère.

Je réponds en embrassant sa tempe.

— J’ai encore plus hâte de voir ton père, je vais apprendre de ces choses sur mon mari ! J’imagine pas !

— J’ai jamais fait de trucs fous alors ne soit pas trop déçu, tu vas pas découvrir grand chose.

Je l’informe tout de même. J’aime pas quand il est déçu et si c’est de ma faute alors ça me rend vraiment malheureux.

— Je serais pas déçu. Je m’attends pas à des trucs fous. Je veux juste en apprendre encore plus sur l’homme de ma vie, c’est tout.

Même si c’est pour savoir des choses futiles. C’est toujours différent d’entendre nos parents parler de nous.

— D’accord. Je veux juste que tu m’aimes toujours.

Mes yeux se ferment tout seul, je me sens vraiment apaisé. Demain, à cette heure-ci, je serais avec mon papa. Et Alessandro pourra le rencontrer.

— Y’a aucun risque que je t’aime plus. Au mieux, je t’aime encore plus que je ne le fais déjà.

Et ce serait un exploit, parce que je ne vois pas comment je pourrais l’aimer plus que ça.

— Repose toi bien Trésor.