Will you stick with me through whatever? — Alessandro & Luca

Aujourd'hui, c'est la première journée où je vais vraiment mieux depuis ma chute ; malgré tout, Alessandro a tenu à ce que je ne bouge pas trop de la journée. On a regardé plusieurs films, il a couru, j'ai tenté de préparer à manger - un désastre - et j'ai beaucoup dormi. Encore. Mais quand j'ouvre les yeux à 19 heures, je me sens vraiment bien. Alessandro est dans la cuisine, je l'entends s'énerver parce qu'il faut qu'on fasse les courses et qu'il ne peut pas me faire "encore" des pâtes.

— Mais moi j'aime bien les pâtes.

Je dis en arrivant en catimini derrière lui. Je ne le touche pas, même si j'ai très envie d'un câlin. Parfois, j'ai l'impression d'aller trop loin. Je ne sais pas comment ça fonctionne entre deux hommes, je ne connais pas les codes. Est-ce que trop de câlin envoie des signaux ? Je n'en sais rien.

— On pourrait sortir manger dehors ? Pour une fois. Je me sens bien.

J'affiche un vrai sourire.

— Tu peux vérifier.

Je dis en mettant sa main sur ma poitrine ; il a passé tellement de temps à toucher ou écouter ces derniers jours que je suis sûr qu'il connaît mes irrégularités par coeur.

— Pas de nausée, pas de fièvre. Pas de problème particulier. Il y a une fête foraine en ville. J'ai vu les affiches en allant à l'église. T'en dis quoi ? Je lâcherai pas ta main.

Je dis pour le rassurer.

J'ai l'impression d'avoir un Luca épanoui devant moi, qui veux profiter un peu de la vie et ne plus s'enfermer. Ça me fait tellement plaisir que je suis sûr que j'aurais dis oui s'il m'avait demandé à aller dans un stripclub. Mais si en plus, je peux l'avoir prêt de moi toute la soirée pour le protéger, c'est encore mieux.

— C'est vrai que ça semble aller pas mal ! Et la fête foraine c'est sympa : on s'amuse, on mange. Tu peux faire quelques attractions quand même ? Faut juste éviter les sensations fortes, non ?

Je lui demande, pour être sûr de ne pas faire de conneries.

— Moi je suis ok si tu lâches pas ma main. Je te perds pas là-bas. Nulle part, d'ailleurs. Mais encore moins quand il commencera à faire nuit

J'imagine que deux frères ne sont pas censé se tenir la main, mais après tout on ne sort jamais. Alors qui sait qu'on est deux frères ? Personne.

— Vas y je ferme tout et on file.

En a peine dix minutes, on a tout éteint dans la maison, on a enfilé des vestes un peu chaude et, en me souvenant du désastre de la dernière fois, je le laisse sortir de la maison avant moi et je ferme moi-même la porte derrière nous.

— Je suppose qu'on doit suivre le bruit qui vient de là-bas !

— En temps normal je peux tout faire mais... enfin là, j’ai pas envie. Je me sens bien alors la grande roue ça m’ira très bien. C’est histoire de sortir un peu, non ?

Une fois dehors, comme promis, j’attrape sa main et je lie nos doigts. Il fait froid mais là, je me sens bien.

Je hoche la tête ; c’est dans un grand parc donc on devrait trouver facilement. D’ailleurs, en moins de dix minutes on est à l’entrée.

— Whoa !! Mais c’est super !

Ça crie partout, tout le monde est content et moi aussi. Je n’arrête pas de sourire tellement je suis heureux d’être là. Avec Alessandro.

— On va manger quelque chose d’abord ? Tu veux bien ? J’ai un peu faim.

— Tu dis que t'aimes bien les pâtes, mais quand tu peux t'en passer tu dis pas non !

Je rigole en regardant autour de nous. Ça fait chaud au cœur de voir des gens, de voir de la vie et de voir Luca sourire sans s'arrêter. C'est la première fois depuis qu'on se connaît que je le vois aussi heureux, comme s'il avait oublié tout le reste et qu'il ne pensait qu'à cet instant précis.

— On se pose sur une des petites terrasses improvisées ? Comme ça on est quand même au cœur de la fête ! J'aime trop voir les gamins courir partout comme des fous.

Et au moment où je dis ça, on en voit une filer à toute allure à côté de nous avec un ballon dans les mains.

— C'était exactement moi gamin ça. Incontrôlable quand j'étais trop heureux !

— Et tu arrives à te contrôler maintenant ?

Je demande dans un sourire, avant qu’on ne fasse la queue pour commander à manger. Les petites terrasses, ça me convient. De toute façon, je suis content d’être là, de me sentir bien pour la première fois depuis le décès de mon père. Je ne lâche pas sa main.

— Tu vas prendre quoi ? Moi un hot dog avec des frites. Plein de mayo. Miam !!

— Ça depends!

J'avoue en éclatant de rire.

— Si a un moment tu me vois courir avec un ballon, tu sauras que j'arrive plus à contenir ma joie ! Je suis sûr que toi t'étais tout gentil, déjà doux et calme !

Je jette un œil à la liste de ce qu'on peut manger et je prendrais bien tout ce qui se présente.

— Sûrement un bon gros burger ! Plein de sauce aussi. Et des frites pour trois au moins !

— Je pense, oui. J’ai jamais été trop... turbulent.

Je ris doucement quand il parle de ce qu’il va prendre à manger.

— T’avais vraiment très faim alors. Oh et je prendrais une citronnade ! Ils en font, t’as vu ? J’adore ça.

Je suis vraiment heureux d’être là. Cette ambiance de joie me fait beaucoup de bien.

— Ça m'étonne pas vraiment de toi.

C'est à nous de commander et je me prends une citronnade moi aussi. Quand on s'installe sur notre table tranquillement, Luca me lâche la main et je le rends compte que j'aimais beaucoup trop cette proximité.

— Oh merde, on dirait celle que me faisait ma mère quand j'étais petit.

Je jubile en buvant une gorgée de ma citronnade. Je lui aurais bien envoyé une photo, mais comme j'ai pas non plus le droit d'utiliser mon portable perso. Au cas où il y a des fuites et qu'on me retrouve.

— Le portable qu'ils t'ont filé fait des photos ou pas ? Le mien a pas de capteurs !

Je fronce les sourcils.

— Pas de capteur ?

Je sors mon portable pour lui tendre. Y a rien de plus basique que ce truc.

— Je ne crois pas qu’il fasse de photo, celui-là.

— Ouais le truc là, l'objectif !

Je rigole en attrapant son portable, mais y'a rien de plus.

— Putain mais donc on est coupé du monde et en plus, on peut pas prendre de souvenirs ? Donc si je veux te prendre en photo à la fête foraine, faut que je demande à un passant de le faire et de me l'envoyer ?

Je souris un peu parce qu’il veut se souvenir de ce soir et que ça me touche beaucoup.

— Si tu promets de ne pas t’énerver, j’ai peut-être une solution pour toi.

Je dis, sans trop oser le regarder.

Je le connais à force. Et la je vois très bien qu'il évite mon regard parce qu'il a peur de se faire engueuler. J'essaie de garder mon calme avec lui, parce que j'ai bien vu ce que ça donnait quand je m'énervais, mais parfois ça a envie de sortir.

— Ok, promis. Mais ne pas s'énerver, ça veux pas dire ne pas t'engueuler si c'est une connerie.

— C’est pas vraiment une connerie.

De la poche intérieure de ma veste, je sors mon vrai portable. Mon ancien. Celui qu’on m’a demandé de couper.

— Il est sur mode avion depuis les États-Unis. Y a que là que j’ai des photos récentes de mon père. Pas de wifi, rien. C’est promis.

Je le pose au milieu de la table pour qu’il le prenne pour vérifier lui-même. Il n’y a pas de code de sécurité, il n’y en a jamais eu. Je voulais que mon père y ait accès si je mourrais. Avant lui.

Je regarde mes frites, ne sachant plus trop si j’ai le droit d’être heureux de cette soirée maintenant.

Quand je le vois sortir un portable de sa poche, mon sang ne fait qu'un tour. Mais j'ai pas promis de ne pas m'enerver, alors je l'écoute avant de dire quoique ce soit.

Et tant mieux, parce qu'il me rassure un peu. Je sais que Luca me mentirais pas, encore moins à ce propos. Je le crois quand il me dit que c'était juste pour avoir accès à ses derniers souvenirs avec son père. Mais putain, ça reste tellement dangereux que j'ai le cerveau qui se retourne.

— C'est pas grave, d'accord ? Je comprends et je te crois. J'ai pas besoin de regarder.

Je dis en repoussant son portable vers lui.

— Mais j'ai besoin que tu me fasses entièrement confiance. Est-ce qu'une seule fois, une seule, par inadvertence, t'as quitté le mode avion ? Même une seconde, en te trompant de bouton ou en faisant tomber ton portable ? Je m'enerverais pas, c'est promis. Mais j'ai besoin de savoir parce que si tu me dis oui, on prends nos affaires et on part tout de suite. Je te ferais courir aucun risque.

Et j'espère qu'il va me dire non, parce que j'ai déjà envie de gerber à l'idée que quelqu'un puisse être autour de nous à nous surveiller.

Je secoue la tête.

— Je t’assure que non. Déjà je m’en sers pas ou peu. Je regarde les photos, c’est tout. J’ai retiré la puce et je me suis jamais connecté au wifi nulle part. J’ai fait attention, c’est promis.

Je souffle de soulagement quand il dit qu'il a pensé à retirer la puce. Ça va aller, tout va aller.

— Ok, ça va. Tout va bien. T'aurais du me le dire.

J'attrape sa main par réflexe au dessus de la table et je serre fort ses doigts entre les miens. A un moment, pourquoi résister ? Je ressentirais pas tout ça pour quelqu'un de lambda. Il est tellement plus que ça, déjà.

—On pourra prendre des photos comme ça, c'est cool.

— J’avais peur que tu cries encore au début. Après... c’était juste trop tard.

Il serre mes doigts dans les siens et je prends ça pour une trêve. Il ne m’en veut pas. J’ai véritablement fait attention et j’espère qu’il me croit. De toute façon, en un mois, on aurait largement été repéré.

— Tu pourras en prendre, oui. Si tu veux. Je n’en prends pas beaucoup.

Alors je pousse quand même le téléphone vers lui pour qu’il le prenne.

— Je te le confie pour ce soir.

Je lui souris et je lâche sa main uniquement pour manger mon hot dog.

— Eh j'apprends à ne pas crier grâce à toi, j'espère que t'as conscience de mes efforts !

Je réponds en riant et en attaquant la bouffe à mon tour. J'attrape son téléphone pour le garder en lieu sûr pour la soirée. Et parce que moi, maintenant que je le peux, il est hors de question que je ne penne pas de photos.

— On se prendra un petit dessert avant de partir ? Type barbapapa ou gaufre ! Les flics payent au moins ça, autant en profiter !

Je soupire de joie, en regardant autour de moi.

— Je suis content d'être ici avec toi tu sais. J'aurais pas cru au début, je ne t'aimais pas en plus, t'étais un petit con. Heureusement que j'ai changé d'avis sur toi !

— Des churros ! J’adore ça. Avec du sucre à la cannelle. Et une sauce caramel. Mais peut-être qu’ils font pas de sauce ici ?

Je demande, conscient qu’aux États-Unis, c’est toujours la surenchère du gras et du sucré.

— C’est pas sympa de dire ça.

Je lui dis, sans fuir son regard cette fois-ci. Il m’a dit de lui dire les choses et, moi aussi, je fais des efforts pour ça.

— Ça me fait de la peine de savoir que tu ne m’aimais pas et que tu pensais que j’étais un petit con. Parfois, tu es trop honnête, c’est vraiment dur.

— Ah. (Un Ah à la Denis Brognars t'as vu, étonné mdr)

Je reste interdit parce que je m'attendais pas à ça. Il n'a pas tort, mais il me cloue le bec et c'est bien la première fois que ça arrive.

— Pardon, je pensais pas. Je voulais pas être méchant, c'était plus... Une constatation.

— Je sais que c’est pas de la méchanceté mais c’est quand même difficile à entendre.

Je dis avec un sourire bienveillant.

— Allez, termine de manger qu’on aille se balader, j’ai hâte !!

Je dis alors que je termine mon hot dog.

C'est dit avec calme et gentillesse. Tout le contraire de ce que je suis, tout le contraire de ce que j'aurais fais. C'est sûrement pour ça qu'on s'entends bien, la complémentarité.

— Je me dépêche, oui !

Je dis en attrapant mon burger. En a peine une dizaine de minutes on a terminé de manger et la nuit commence à tomber un peu.

—Ce sera encore plus beau quand il fera nuit noire.

Je m'émerveille comme un gosse en allant jeter nos déchets, sans m'éloigner de Luca.

Je le suis comme son ombre jusqu’à la poubelle avant de récuperer sa main pour lier nos doigts. Je me blottis même un peu contre lui.

— Du coup, tu vas me gagner une peluche ? T’es doué au tir, je suppose ?

Je demande avec un sourire malicieux.

L'un contre l'autre, on part sillonner l'endroit.

— Je suis plutôt doué au tir, ca c'est certain. J'ai toutes mes chances !

Je réponds avec un sourire.

— J'ai droit à un baiser si je te gagne le gros lot ? C'est comme ça que ça fonctionne la plupart du temps.

Je hausse les épaules, à la fois surpris par cette requête et quelque peu déçu. Moi, je n’oserais jamais faire le premier pas et j’ai l’impression que je me suis trop emballé en prenant sa bienveillance et sa patience pour acquises. Pour lui c’est une blague. Ou alors une négociation grossière. Je me sens gêné et idiot. On ne parle pas de ces choses-là. On ne les demande pas. On les fait à un moment où on ne s’y attend pas, quand tout s’imbrique parfaitement. Prévoir un baiser, c’est tuer l’instant et la relation. Assassiner la spontanéité et la beauté de l’instant. C’est se mettre la pression et regretter ensuite de ne pas avoir su agir dans l’instant mais plutôt s’être imposé une conduite parce que c’est ce qui se fait normalement. J’aimais cette proximité, ce lien qu’on avait. Ces non-dits et ces sous-entendus qui disaient tant. J’aurais aimé qu’il me gagne cette peluche et peut-être lui donner un baiser, si j’en avais eu le courage. Si je n’avais pas eu peur d’être repoussé, de ne pas lui plaire. Mais... maintenant qu’il a demandé, est-ce que l’impact sera le même ? Non. Bien sûr que non. Ça me rend triste.

— Peut-être qu’on pourrait aller faire un tour de grande roue... ?

Je demande, alors que mon sourire s’est lentement gommé. Je lâche sa main car je ne me sens plus à l’aise.