Polynésie — Famille Saint-Clair

— Bah change alors. Et c’est pas dur à faire, crois-moi. Écoute-toi toi et pas le qu’en dira-t-on. Tu verras, c’est beaucoup simple après. Personne te demande d’être parfait. On te demande juste d’être heureux et le reste suivra. Tes enfants et ton mari ils s’en fichent que tu sois parfaits, ils t’aimeront quand même.

Tout ça pour une putain d’histoire de fromage et de vacances. J’hallucine vraiment.

— Je fais juste ce que je juge bon pour ma fille. J’ai pas du tout envie de la contrôler et de la foutre dans une case en lui imposant un rythme ou des activité en fonction de son âge. Elle sait même pas qu’elle peut pas le faire alors si elle a envie de tirer une chaise pour grimper sur la table et attraper un fruit, bah je suis qui pour lui dire qu’elle est trop petite ? Personne parce qu’elle a réussi. Alors oui, j’ai compris, c’est pas poli. Mais elle le fait pas pour être impolie, elle le fait parce qu’elle est contente de le faire toute seule. Mais je viendrais plus manger là, tout le monde m’a saoulé.

Je dis franchement.

— On n’a même pas eu le temps de vous dire qu’elle sait nager maintenant. C’est nul.

Ça aussi, c’est pas forcément de son âge. Bah elle a réussi, je vais pas lui dire qu’elle doit attendre. Les règles, les cases, la société… ça me gonfle vraiment.

— C’est le bordel dans ma tête, désolé. J’arrive même pas à suivre correctement la conversation. T’as dit des trucs gentils aussi, merci. Personne n’est parfait en tout cas. Donc essaie pas de l’être, tu vas te décevoir. Et désolé de pas avoir pris Blanche aussi, je sais que ça t’as fait chier. Je pouvais pas.

— T’es sûr ? Quand je fous pas tout en l’air c’est sympa quand même, non ? Les enfants jouent ensemble, on est tous réunis. Prends le temps d’y réfléchir, prends pas ta décision à cause de moi.

Puis on se voit plus trop en dehors d’ici. Y’a eu un moment où ils venaient beaucoup à la maison, et inversement, mais ces derniers mois on peut pas dire que ce soit le cas. Alors s’il viens plus, on va se voir encore moins…

— Elle a apprit à nager là-bas ? Toute seule ? C’est trop bien !

Elle est en avance sur plein de choses. Peut-être que c’est eux qui ont raisons et que laisser les enfants tester ça leur ouvre plus de portes.

— Ça m’a pas arrangé sur le coup, c’est vrai. Mais je me suis arrangé autrement, c’est pas grave. T’es pas à ma disposition, t’as pas à t’excuser.

Pour ce qui est de la déception, j’y suis abonné depuis longtemps.

— C’est pas toi, c’est maman.

Je dis avec agacement. Lui, il a juste fait tout péter parce qu’elle sait très bien faire la victime.

— Bah on lui a appris à faire la planche dans la piscine et finalement elle s’est super bien débrouillée et on a essayé plus et voilà ! Bon faut apprendre la brasse et elle se fatigue vite mais là elle savait vraiment bien se débrouiller.

Voilà, c’est ça que j’aurais voulu partager avec eux.

— On va manger ?

— Oui c’est sûr, mais j’aurais pas du m’en mêler. C’est terminé maintenant, je prendrais plus parti pour elle. Matthew à raison, j’ai pas envie qu’on se fâche à cause d’elle.

Même si j’entends qu’elle soit déçue, Gabriel a raison : partir en vacances avec elle, ça aurait été un calvaire et il aurait pas supporté.

— C’est normal, c’est encore une crevette ! J’ai bientôt 30 ans et je suis en pls au bout de 15 mètres, alors elle a de la marge ! C’est déjà super qu’elle ai appris aussi rapidement ! Oublie pas de m’envoyer les photos ! Elle est vraiment trop belle dessus.

Je souris en me retournant pour voir qu’ils sont tous installés.

— T’as raison, sinon on n’aura plus rien à manger !

— Surtout que je lui avais déjà proposé une fois et qu’elle avait dit non. Donc tant pis, faut la prévenir six mois à l’avance, nous on fonctionne pas comme ça.

Je dis quand même pour recentrer les choses. Malgré tout, je suis pas in connard et j’avais proposé. Maintenant, on partira avec Louise de temps en temps et elle pourra pleurer ça y changera rien.

— Je t’en enverrais.

On rentre et je vais m’installer à côté de Matthew et Aria.

— Poulet et f’ites !
— Y a pas de légumes ?

Impossible à la table de ma mère.

— Choufeu !
— Ah t’as tout mangé déjà ?! C’est bien mon cœur.

Elle adore le chou-fleur. Ça me fait rire qu’elle appelle ça comme ça, d’ailleurs. Mais trop difficile à dire, je comprends.

— Tu veux du blanc Gabriel ?, demande mon père.
— Oui, s’il te plaît.

Je tends mon assiette pour qu’il me serve.

— Tu te doutes bien qu’elle s’est bien caché de me la dire cette partie là.

Ça m’énerve de passer encore plus pour un con, parce que ma mère fait sa victime et qu’en plus, elle ne prends pas la peine de me donner toutes les informations.

— Je veux bien le plat de poulet s’il vous plait.
— Je peux te servir si tu veux !

Ma mère se lève aussitôt et attrape mon assiette sans demander son reste. Je la soupçonne de très bien savoir ce que j’ai pu apprendre par Gabriel. Je comprends pas ce qu’elle cherchait à faire, mais bon.

— Merci.

Je reprends mon assiette et je me rends compte que Blanche, pour ne citer qu’elle, est très loin de les avoir terminé ses légumes. Mais je sais même pas quoi dire ou quoi faire, parce que la conversation que je viens d’avoir avec mon frère va me trotter en tête un moment. Puis je risque pas d’en parler avec Logan tout de suite, parce qu’il est loin d’accepter les excuses aussi bien que Gabriel peut le faire.

Finalement, maman sait très bien mener la conversation pour faire comme si de rien n’était et je me concentre sur ma famille à moi pour terminer de me calmer.

— Tu veux encore manger ou pas ?
— Un poulet !
— Ok, vas y. On va aller se laver les mains.

Elle picore un autre morceau. Il reste un peu de poulet et deux frites. Elle a bien manger, c’est le principal. Je sais que ça démange ma mère de dire qu’elle pourrait finir parce qu’il ne reste pas beaucoup mais elle a déjà assez fait aujourd’hui et elle le sait.

— Allez microbe.

Je l’emmène se laver les mains et elle retourne tout de suite s’asseoir sur son père avant de lui demander si elle peut sortir de table, finalement.

— Moi aussi je peux sortir de table ? J’ai tout fini !

Demande aussi Arthur, fier de nous montrer qu’il a tout mangé. Parfois je restais des heures à table parce que je ne terminais pas mon assiette. Est-ce que c’est ce que je veux pour mes enfants ? Est-ce que Logan est d’accord avec ça ? Je vois qu’il est déjà en train de dire à Arthur d’aller se laver les mains, Olivia suit et puis forcément, Blanche essaie à son tour.

— J’ai plus faim.

J’ai envie de lui répondre que tout à l’heure elle mourrait pourtant de faim au point de se rouler devant la porte, mais ça servirait à rien à part re créer une tension. Puis en fait, elle a bien mangé aussi. C’est pas comme s’il restait la moitié de son assiette. Je sais même pas quoi répondre et quand je cherche un soutien envers Logan, j’en ai aucun. Il me fait vraiment la gueule, beaucoup.

Aria va s’installer à table pour dessiner une fois qu’elle a récupéré ses affaires dans son sac et on peut terminer de manger tranquillement.

— Papaaaa ! J’ai plus faim…, répète Blanche.

Logan soupire parce qu’apparemment aucun d’eux n’a envie de se lancer dans un débat mais il se lève quand même.

— T’aimes pas le chou-fleur mon cœur ?
— Bah pas trop.
— Ok. T’as goûté ?
— Oui.
— Ok, va te laver les mains.

Logan prend l’assiette avec lui et vide les chou-fleur dans son assiette à lui. Aujourd’hui, il a un peu baisser les bras et ça désoriente Blanche mais elle va se laver les mains avant d’aller lire un livre avec Olivia dans un coin. Et c’est la paix sans hurlement alleluia.

Logan cède et je me demande si ça pourrait être comme ça tout le temps. Ca fonctionne chez Gabriel, alors pourquoi pas chez nous ? J’ai envie d’en parler avec mon mari, j’ai envie de savoir ce qu’il en pense, j’ai envie de me confier que tout ce qu’on vient de ses idée avec Gabriel et ça me coupe l’appétit de savoir que c’est pas là d’arriver. J’aimerais être un gosse et pouvoir quitter la table moi aussi.

— Adam !
— Oui ?
— Pour la troisième fois, est-ce que je pourrais avoir le pain steuplait ?

Matthew me regarde comme si ça faisait dix minutes qu’il me demandait.

— Ah oui, pardon ! Quelqu’un voudra du fromage d’ailleurs ?

Je demande en me levant.

— Moi moi moi moi moi !!

Aria arrive en courant pour regrimper sur Matthew.

— Bah tiens. C’est étonnant ça, je dis en riant.
— Moi aussi j’en veux.

Après le fromage, c’est la tarte aux pommes mais ça n’intéresse pas trop Aria, elle préfère les gâteaux moelleux aux pommes que les tartes.

Quand elle a fini son dessin, elle va l’accrocher toute seule sur le frigo avec les aimants à sa taille et elle réclame un câlin. En cinq minutes, elle dort sur son lit fétiche : son père.

— Bon bah du coup on va y aller.
— Tu veux pas la coucher là-haut ?, demande ma mère.
— Non, merci. Moi aussi j’ai besoin de dormir.

Ça m’a pompé toute mon énergie, je commence à avoir la migraine.

— On y va nous aussi ?

C’est la première phrase que j’adresse à Logan depuis qu’on est arrivé. Je me revois des années en arrière, quand j’osais pas lui parler et qu’il détestait ça. Il arrêtait pas de dire que ça se voyait que j’étais qu’un gosse. J’ai plus envie qu’il me voit comme ça.

— Ca va faire du bien à tout le monde.

De dormir, de se reposer ou de se recentrer un peu.

— Ouais.

Logan se lève et Blanche court directement lui donner la main alors il la prend dans ses bras. Je crois qu’elle a un peu peur qu’ils la laissent ici. Elle s’accroche à son cou pour lui faire un câlin.

— Merci Madeleine et Paul, c’était très bon, dit Logan.

Il aida quand même à fixer le cosy sur la poussette. Nous aussi on est à pied. Fait chier.

— J’espère que ça va pas la réveiller le trajet… ça va aller ton dos à la porter comme ça ?

— T’en fais pas ça va aller. J’ai repris le sport, ça me fait plus peur.

Matthew rigole, mais en douceur pour ne pas réveiller Aria et on se retrouve tous dehors à saluer mes parents.

— Papou je peux pousser Percy ?

Livie me demande avec des grands yeux et j’ai aucun mal à accepter.

— Tu te souviens de ce qu’on a dit qu’on tu tiens la poussette ?
— Je regarde devant et je le lâche jamais !
— Parfait ma puce ! La poussette est à toi.

Ça arrange bien Arthur qui vient aussitôt me donner la main. Les nôtre aussi auraient bien besoin de dormir, la sieste est de mise en rentrant.

— Merci encore pour les cadeaux ! Et pour les photos. Et pour tout le reste, aussi.

Je souris à Gabriel, à qui je demande encore pardon en silence.

— Ouais bah j’aime pas marcher tout seul, hein.

Je rale en trouvant ma place contre lui, moi aussi.

— De rien, ça nous fait plaisir.

C’était pas grand chose, mais bon. Les enfants sont toujours contents d’avoir un petit truc.

— Qui t’as parlé de marcher tout seul ?

Il lui suffit d’un mouvement d’épaule pour décaler légèrement Aria, qui ne se réveille même pas, et passer un bras autour de la taille de Gabriel.

— Bonne journée alors ! On essaie de se voir bientôt.

Ici ou pas, je sais pas trop ce que ça va donner. On en reparlera avec Gabou. Une fois qu’il n’y a plus que Logan et moi, et les enfants mais ils sont trop occupés à parler des oiseaux qui volent, je tente une approche.

— Je suis désolé pour tout à l’heure. C’était nul.

Je passe ma journée à m’excuser.

— Très nul, ouais.

Mais j’ai pas tellement envie de parler de ça devant les enfants, ils n’ont pas à participer à une autre conversation comme ça aujourd’hui.

— On pourra en discuter tout à l’heure ?

Ou est-ce qu’il n’a simplement pas envie de me parler ? C’est un roc. Je ne sais pas comment il fait, mais il est capable de ne pas m’adresser la parole pendant des jours.

— Ouais.

Le reste du trajet se passe au gré des conversations des enfants. Blanche veut finalement aller courir un peu avec son frère mais on n’a pas besoin de s’énerver pour qu’ils restent dans le coin.

Une fois à la maison, je sors tout de suite Poisson pendant que les enfants vont à la sieste ou au calme devant la télé et j’attends qu’Adam me rejoigne dehors pour discuter.

Arthur et Blanche ne chouinent même pas pour aller à la sieste, alors je n’hésite pas une seconde. Olivia elle préfère rester devant un dessin animé alors je lui mets un Disney et elle s’allonge sous sa couverture. Je pourrais parier qu’elle va finir par s’endormir là quand même. Elle est trop mignonne.

— Je vais voir papa dehors ma puce, si t’as besoin tu viens nous voir d’accord ?
— D’accord.

Elle me regarde un instant, puis elle poursuit.

— Vous êtes plus amoureux avec papa ? C’est parce qu’on est pas assez sages ?
— Mais non mon Coeur, jamais de la vie ! On s’aime très fort avec papa ! On s’est juste disputé un peu. Comme toi quand les jumeaux jouent avec tes affaires. T’es un peu agacée, mais tu les aimes très fort quand même. Pas vrai ?
— Oui.
— C’est pareil avec papa. T’inquiètes pas.

Elle acquiesce avant de reposer ses yeux sur la télé et après avoir embrassé son front, je vais rejoindre Logan dehors.

— Livie a compris qu’on s’était disputé. Elle grandit…

Je grimace en venant auprès de lui.

— Je veux pas qu’ils assistent à ça et je suis désolé parce que c’est arrivé par ma faute. J’avais envie de les retourner et c’est toi qui a prit.

— Bah bien sûr qu’elle comprend. Les jumeaux aussi. Percy aussi. Toute la Terre a compris parce que tu m’as parlé comme une merde devant tout le monde !

Je dis avec agacement.

— Je suis le papa cool et toi tu te tapes tout le taff, c’est bon. On a compris. T’es jamais aidé. Franchement quand je passe une mauvaise journée, je me venge sur personne donc là me faire passer pour le gars qui branle rien devant tes parents, très peu pour moi.

— Je le pense pas ! Tu le sais ! T’es tout le temps présent, parfois plus que moi. C’est pas du tout comme ça que je te vois.

Mais c’est vrai que c’est exactement ce pour quoi il est passé avec ce que j’ai dis.

— Et c’est pas non plus comme ça que mes parents te voient. J’ai peté un plomb, personne m’a prit au sérieux. Loin de là. T’étais en train de rigoler et de te foutre de notre gueule, ça m’a fait sortir de mes gonds. C’était stupide et je sais que c’est pas une excuse.

Et que je suis un gamin. Même s’il le dit pas tout haut, je sais qu’il le pense.

— Je me suis moqué de ta mère qui fait chier Gabriel avec un bout de fromage. Y a pas de nous. T’étais pas dedans, ok ? Mais apparemment t’as du mal à pas penser que pour toi.

Et ça c’est valable pour la réflexion qu’il a fair à Gabriel.

Je vois très bien où il veux en venir et je lève les yeux au ciel.

— Ouais bah Gabriel m’a déjà fait la remarque. A trop vouloir la défendre je me mets les autres membres de la famille à dos, j’ai compris.

Ado, j’aurais jamais pensé qu’un jour j’aurais cette relation avec ma mère. Mais maintenant que je suis adulte, ça me dessert aussi.

— Mais c’est quand même moi qui ai commencé avec le fromage. T’aurais dis oui toi ?

Je demande, curieux. J’ai toujours cru qu’on avait la même vision de l’éducation Logan et moi, mais peut-être que lui aussi trouve que j’en fais trop.

— Mais je m’en fous moi, qu’elle mange du fromage ! T’imagines la frustration ? Ta cousine mange un truc sous ton nez et toi t’as pas le droit ! Elle a un frère jumeau, on se butte à être juste toute l’année et elle subit des injustices chaque fois qu’elle voit sa cousine. Franchement elle va la détester.

Je dis très sérieusement.

— Ça me gonfle de faire le flic, Adam. Je suis pas le papa cool, au contraire. T’as pété un plomb et c’est quand même vers toi que Livie est allée. Je suis toujours en train de les punir parce qu’ils ont les coudes sur la table ou qu’ils s’éclaboussent dans le bain, franchement on a tous entendu ce que Gabriel disait et la conclusion c’est qu’on empêche nos gamins être des gosses et qu’on élève des mini adultes et pas des enfants. Mais je suivrais le mode d’éducation que tu veux suivre. Ça changera pas.